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Quand une marseillaise scrute les dragueurs de rue

Des manifestants participent à la "Marche des salopes" le 28 septembre à Paris contre le sexisme et les agressions sexuelles [Thomas Samson / AFP] Des manifestants participent à la "Marche des salopes" le 28 septembre à Paris contre le sexisme et les agressions sexuelles [Thomas Samson / AFP]

Les témoignages sont parfois poétiques, mais le plus souvent vulgaires jusqu'à l'écoeurement: Anaïs Bourdet, graphiste marseillaise, invite les femmes à partager leurs expériences de drague, voire de harcèlement de rue, dans un blog au succès tel qu'elle vient d'en faire un livre.

Alors que se tenait samedi en France la 3e édition de la "Slutwalk" (ou Marche des salopes), qui vise à lutter contre les clichés liés au machisme, au viol et à la culpabilisation des victimes d'agressions sexuelles, cette jeune femme de 28 ans combat à sa manière le "sexisme ordinaire" trop souvent banalisé à son goût.

C'est en découvrant la vidéo d'une étudiante belge, Sofie Peeters, tournée à l'été 2012 en caméra cachée à Bruxelles, qu'elle a eu l'idée de lancer ce site. Sifflements, regards appuyés et insultes: "Je me suis reconnue, et en discutant avec mes amies je me suis rendu compte qu'on avait toutes des anecdotes sur le sujet", raconte Anaïs Bourdet.

Sur son blog baptisé "Paye ta Shnek" ("Ecarte les jambes", en argot alsacien), les témoignages ont rapidement afflué et la fréquentation au rendez-vous. "Jusqu'à 30.000 visites par jour!", dit-elle, encore "surprise" de l'écho rencontré par sa démarche. Elle y retranscrit les propos bruts, entendus dans la rue de Marseille à Lille, dont elle a fait une sélection dans un ouvrage paru en juillet après une collecte de fonds sur une plateforme de financement participatif.

Une militante participe à la "Marche des salopes" à Paris le 28 septembre 2013 [Thomas Samson / AFP]
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Une militante participe à la "Marche des salopes" à Paris le 28 septembre 2013
 

Plus de 3.000 "tentatives de séduction en milieu urbain" sont compilées. Dans le chapitre "Zieuter", on découvre ainsi un florilège de remarques autour des yeux: "photocopie de la mer", "couleur bus RATP", "de chat" ou "qui crient braguette"...

Des hommes tentent la flatterie - "si vous étiez une fleur, je vous aurais butinée jusqu'au cou", "vous êtes belle à un point qu'y a même plus besoin de virgule" -, d'autres tentent leur chance - "Mademoiselle! Si tu veux m'épouser y'a pas de souci, je t'attends ici!", "Il est sympa ton rouge à lèvres. On le partage?".

Beaucoup n'hésitent pas à lancer aux passantes des grossièretés - "Vas-y, fais pas ta pute, donne-moi ton arobase" -, apostrophes sexuelles - "Salutérus, ça vagin?" - ou insultes de très mauvais goût, le livre se concluant même par la rubrique "effrayer" avec des phrases du type "Hey! Te baisse pas comme ça, tu vas prendre neuf mois".

"Pas un délire de femme parano"

A chaque fois, les citations sont localisées (Paris gare du Nord, Lyon place Bellecour, Nancy en boîte...) pour montrer que "le machisme s'exprime partout et touche toutes les sphères de la société et tous les âges", insiste Anaïs Bourdet, alors que le film de Sofie Peeters, ciblant un quartier populaire à forte population immigrée, avait été accusé de racisme.

"Le harcèlement de rue, ce n'est pas un délire de femme parano. Le but, ce n'est pas de blâmer la drague en général, mais de pointer des méthodes indélicates avec humour et ironie" et par là-même de susciter une prise de conscience, poursuit la graphiste qui "se dit plus égalitariste que féministe". "Souvent, les lecteurs sont morts de rire au début, puis au bout de plusieurs pages, ils finissent par être écoeurés".

Des militantes participent à la "Marche des salopes" à Paris le 28 septembre 2013 [Thomas Samson / AFP]
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Des militantes participent à la "Marche des salopes" à Paris le 28 septembre 2013
 

Parmi la gent masculine, nombreux "tombent des nues", tandis que les internautes féminines y voient un "exutoire" et trouvent le courage de "baisser moins les yeux dans la rue".

D'un point de vue juridique, ces invectives semblent "pouvoir relever de l'injure commise envers une personne en raison de son sexe", passible quand elle est publique d'une peine de six mois de prison et de 22.500 euros d'amende, relèvent, en préface du livre, les avocates Leila Hamzaoui et Valence Borgia.

Pourtant les décisions en la matière sont rarissimes car "le réflexe demeure l'évitement plutôt que la contre-attaque, quand bien même les mots proférés seraient particulièrement dégradants et choquants", déplorent-elles, appelant à "un changement radical des mentalités" pour "ne plus assimiler des propos sexistes à de la séduction potache".

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