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L'édito d'Eugénie Bastié : «Lutter contre le complotisme : rôle de l'Etat ?»

Dans son édito de ce 29 septembre, Eugénie Bastié, journaliste au Figaro revient le projet du gouvernement de créer une commission contre le complotisme.

Le président de la République, inquiet de la montée du conspirationnisme et de la perte de rationalité dans le débat public a chargé une commission, présidée par le sociologue Gérald Bronner de «mesurer les dangers du numérique sur la cohésion nationale et nos institutions afin de mieux y faire face». La commission devra rendre un rapport en décembre avec plusieurs pistes et recommandations dont pourront s’emparer les candidats à la présidentielle.

Une proposition a déjà émergé, celle d’une régulation des «médias conventionnels» sur le modèle du CSA avec la parole politique. «Ne pourrait-on pas s'inspirer de cette logique pour le monde scientifique ? Il ne s'agit pas de censurer des points de vue, mais de donner la parole à la mesure de ce que ces paroles pèsent dans le monde scientifique», a déclaré Gérald Bronner. Avec tout le respect que j’ai pour le travail de Gérald Bronner, dont j’ai particulièrement apprécié le livre Apocalypse cognitive, je pense que ce genre de réponse est totalement irréalisable, voire contre-productive.

Prenons l’exemple de la crise du Covid. Bien sûr, il y a eu des thèses totalement délirantes et complotistes sur les vaccins, mais pouvait on vraiment réguler la prise de parole dans les médias sur le modèle du CSA ? Sur quels critères ? Un quart d’heure pour les «rassuristes» un quart d’heure pour les «enfermistes» ? Priver de micro le professeur Raoult ? Quand on sait que les autorités elles mêmes ont proféré des fake news (notamment sur les masques) on se demande comment un tel contrôle peut être mis en œuvre, sans susciter immédiatement des accusations de partialité et de deux poids deux mesures.

Ne rien faire contre le complotisme ?

D’abord, il faut peut-être cesser de surestimer une menace complotiste qui si elle existe, reste marginale. 75% des Français sont vaccinés, une large majorité a approuvé le passe sanitaire. Ensuite sur les moyens. En France, nous pensons qu’il n’y a pas de solution en dehors de l’Etat. Mais la vérité peut-elle être décrétée par l’administration ? Si les Français ne savent plus faire la différence entre le bien et le mal, le vrai et le faux, est-ce une commission, ou un quelconque comité Théodule qui va les convaincre ? Je ne le pense pas.

La question d’une dérégulation du marché de l’attention, de plus en plus capté par les GAfam, est une réalité. Il y a un énorme travail d’éducation à faire la dessus. Mais ce n’est pas avec une surveillance permanente des opinions qu’on y parviendra. On ne résoudra pas la crise de confiance profonde qui affecte le monde politique, les médias, et dernièrement les scientifiques, par davantage de contrôle, mais par davantage de crédibilité, et d’efficacité. Je crois qu’il faut faire confiance au débat démocratique. C’est par une discussion franche, libre et rationnelle, sans tabous, que la vérité peut émerger. Ce n’est pas à l’Etat de lutter contre le complotisme, mais chaque citoyen (y compris contre le complotiste qui est en lui). Je crois bien davantage à notre tradition de liberté qu’au contrôle tatillon et mécanique de l’Etat.

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