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Journée du 8 mars : pourquoi les femmes sont-elles toujours si peu représentées dans les sciences ?

Les filles ne représentent que 28,2% des effectifs étudiants des écoles d’ingénieurs en France. [ThisisEngineering RAEng/Unsplash]

En cette Journée internationale des droits des femmes, la question de leur représentation dans les filières et métiers scientifiques se pose. Les chiffres montrent que les femmes sont toujours victimes de stéréotypes à ce sujet en France.

En France, comme dans la plupart des pays développés, les femmes sont en moyenne plus diplômées que les hommes. Pourtant, elles restent largement sous-représentées dans les filières et professions scientifiques et techniques, encore perçues comme «masculines». Ce stéréotype pèse sur l'orientation des filles et les amène à croire que les sciences ne sont pas faites pour elles, les écartant de métiers rémunérateurs et d'avenir.

D'après le rapport «Les femmes au coeur de l'économie», rédigé par le Women's forum for the economy & society et remis au ministère de l'Economie et des Finances en février 2020, on compte seulement 28% de chercheuses dans la recherche scientifique française, soit moins que la moyenne européenne, à 33%.

Seuls 21,9% des professeurs d'université dans le domaine des Sciences, technologies, ingénierie et mathématiques (STEM) sont des femmes. Par ailleurs, les filles ne représentent que 28,9% des effectifs étudiants en sciences fondamentales et applications, 28,2% de ceux des écoles d’ingénieurs et 31,2% de ceux des CPGE (Classes préparatoires aux grandes écoles).

Pourtant, d'après l'Observatoire sur la féminisation des métiers du numérique, réalisé par l'école d'informatique Epitech en 2021, les jeunes filles se disent majoritairement intéressées par les matières scientifiques (54%) et l'informatique et le numérique (56%). Certes moins que les garçons (intéressés à respectivement 70 et 80%), mais pas «au point d'expliquer leur niveau de sous-représentation dans ces filières».

Pour Aline Aubertin, présidente de l'association Femmes Ingénieures et directrice de l'Institut supérieur d'électronique de Paris (Isep), «il faut surtout remettre en question le pourquoi elles se disent moins intéressées. Des études montrent que les stéréotypes qui laissent croire aux filles qu'elles ne sont pas faites pour les sciences sont à l'oeuvre dès l'école primaire, à partir du CE1. Parmi les élèves qui arrivent à l'Isep en cycle ingénieur, des jeunes filles me disent que leurs professeurs les ont découragées à faire des classes préparatoires parce que ce n'était "pas fait pour elles"».

Les données font effectivement apparaître un écart entre les compétences scientifiques des adolescentes et la perception qu'elles en ont. A la rentrée 2018, 47,4% des effectifs en Terminal S étaient féminins. Cette année-là, selon les chiffres du ministère de l'Education nationale, 38% des filles admises au bac S ont eu une mention bien ou très bien, contre 32% des garçons.

Les filles moins informées et encouragées

Cela n'empêche pas les lycéennes de juger plus durement leur niveau en sciences, d'après les résultats de l'étude menée par Epitech. Parmi celles dont la moyenne excède 14/20 dans ces matières, seules 43% pensent être capables de suivre une formation en école d'informatique, contre 78% des garçons. 76% des lycéens considèrent par ailleurs que le métier d'expert informatique est masculin.

Il apparaît que les adolescentes sont à la fois moins informées sur les filières scientifiques et moins encouragées à les choisir. 29% des jeunes filles interrogées par Epitech ont dit connaître le contenu de la formation en école d'informatique, contre 46% de leurs homologues masculins. 56% de ces derniers ont par ailleurs été poussés par leurs parents à s'orienter vers un métier scientifique, alors que seules 43% des filles peuvent en dire autant. L'écart est plus important encore concernant le secteur du numérique (61% contre 33%).

Or, les parents jouent un rôle crucial en matière d'orientation puisque ce sont à eux que les lycéens font le plus confiance en la matière (33%), devant les personnes rencontrées lors de forum ou salons dédiés (21%), les professeurs (17%) et les conseillers d'orientation (16%). Les attentes différenciées des Français selon le genre de leur enfant peuvent donc faire une différence.

Un autre sondage, réalisé en mars 2022 par IronHack, l’un des principaux organismes de formation spécialisé dans les métiers du numérique, traduit une tendance similaire. 58% des personnes interrogées déclarent qu'elles n'inciteraient pas leur fille à s'orienter vers un métier du numérique et 41% des Français jugent que les femmes ne sont pas capables de travailler dans le secteur de la Tech.

Des femmes scientifiques «invisibilisées»

Pourtant les premières figures de l'informatique «étaient des femmes», assure Catherine Ladousse, présidente de la commission «parité» du Haut conseil à l'égalité entre les femmes et les hommes (HCE). Mais dès que c'est devenu plus qu'un système de calcul, que ça a été au coeur de la stratégie d'une entreprise, les hommes s'en sont emparé parce que le pouvoir était là», assure-t-elle.

Les femmes scientifiques ont toujours existé, même minoritaires. Mais, historiquement, «elles n'ont pas toujours pu faire des sciences de manière explicitement autorisée, rappelle Aline Aubertin. Il a fallu du temps pour que les filles aient seulement le droit d'aller jusqu'au baccalauréat, alors les écoles d'ingénieures ne leur ont pas été ouvertes tout de suite. Ce sont des difficultés objectives qui sont tombées petit à petit mais, pendant ce temps-là, le stéréotype s'est ancré».

Puisque ces premières femmes de sciences ont été «invisibilisées», les jeunes filles d'aujourd'hui manquent de modèles. D'après Catherine Ladousse, cela «freine leur désir d'entrer dans ces filières» car, à l'école et dans l'espace culturel, femmes et sciences ne sont pas associées.

Dans un communiqué datant de février 2022, l'association Femmes ingénieures a par exemple souligné que, dans les programmes de première et de terminale d’enseignement scientifique, sur 45 scientifiques cités il n’y a que deux femmes : Marie Curie et Ada Lovelace. «C'est un cercle vicieux, moins les femmes scientifiques sont visibles, moins elles montrent à d'autres filles que c'est possible de les suivre», réagit Catherine Ladousse.

La Fondation L'Oréal s'est saisi de ce problème au travers du programme For Girls in Science, qui fait intervenir de jeunes femmes scientifiques dans les lycées franciliens depuis 2014. Aline Aubertin salue l'initiative et ajoute que les manuels scolaires scientifiques devraient aussi être «réécrits». Selon elle, ils contiennent encore des exercices de mécanique «d'un autre temps [...], avec papa au garage et maman à la cuisine. Ça n'a l'air de rien mais ce sont de petites choses qui s'infusent dans les inconscients», assure-t-elle.

Lors des premières Assises de la féminisation des métiers et filières du numérique, le 16 février 2023, ce point a été mentionné parmi les solutions concrètes à mettre en place pour favoriser l'accès des femmes aux sciences. Au total, 14 propositions ont été formulées et réparties selon quatre grands axes : créer une culture favorable au développement égalitaire du numérique, valoriser la transversalité des sciences et du numérique au service du vivre-ensemble, concevoir et déployer sur la durée un dispositif national de sensibilisation au biais de genre et créer les conditions favorables à l'entrée des femmes sur le marché du travail dans ces filières.

Au-delà de la formation des jeunes filles, l'accent a été mis sur l'intégration des femmes scientifiques à un milieu pour l'instant très masculin. Si Catherine Ladousse et Aline Aubertin évoquent toutes deux «une prise de conscience» du secteur, et une véritable volonté de mixité dans certaines entreprises, des difficultés subsistent.

Inégalités salariales et sexisme

Selon l'enquête Gender Scan sur la mixité dans l'innovation, 46% des femmes de la tech déclarent par exemple avoir été victimes de comportements sexistes. Dans son communiqué de février 2022, l'association Femmes Ingénieures ajoutait que les salaires médians des ingénieures, techniciennes ou scientifiques au féminin sont «sans raisons objectives» inférieurs à ceux des hommes. Cet écart existe parfois «dès les premières années d’activité professionnelle, et croît en fonction de l’ancienneté dans la carrière».

Au-delà du problème d'équité que cela représente, les difficultés d'intégration des femmes dans les sciences représentent aussi un frein pour l'avancement des nouvelles technologies et la croissance économique, en France et ailleurs. Une étude de l'OCDE publiée en 2018 montre en effet que les inventions portées par des équipes mixtes, ou uniquement féminines, ont un impact technologique plus large et mènent à des gains économiques plus importants.

Cela s'explique par le fait que le manque de diversité mène à l’accélération de biais de genre dans la société. Le rapport du Women's forum for the economy & society cite notamment l'exemple de l'Intelligence artificielle (IA) : la reconnaissance faciale est fiable pour 99% des hommes mais, à cause de l’absence de femmes parmi les professionnels de ce domaine, les algorithmes mènent à 35% d’erreurs quand il s’agit de reconnaître des femmes à la peau foncée.

«La plupart des enjeux auxquels notre société fait face, qu'il soit question de climat, d'énergie, de mobilité, ou de santé, sont des enjeux techniques et technologiques, souligne Aline Aubertin. On ne peut pas les résoudre avec un regard uniquement masculin». Sans compter qu'aujourd'hui, «on a une pénurie de talents», enchérit Catherine Ladousse. Alors, face aux défis de l'avenir, «on ne peut pas se permettre de se priver de la moitié de l'humanité».

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