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Journée du 8 mars : qu'est-ce que l'effet Matilda, dont sont victimes les femmes scientifiques ?

L'astrophysicienne britannique Jocelyn Bell n'a pas été reconnue pour sa découverte des pulsars, qui a valu le prix Nobel à son directeur de thèse. [KELLY SULLIVAN / GETTY IMAGES NORTH AMERICA / GETTY IMAGES VIA AFP]

L'effet Matilda décrit le phénomène selon lequel les femmes scientifiques sont souvent dépossédées de leurs recherches au profit des hommes.

Jocelyn Bell, Lise Meitner, Rosalind Franklin... Ces noms, inconnus du plus grand nombre, sont pourtant ceux de chercheuses à l'origine d'avancées considérables pour la science. Toutes ont été victimes de l'effet Matilda, ce phénomène qui invisibilise les femmes scientifiques.

Cette idée a émergé grâce à l'historienne Margaret Rossiter dans les années 1980. Elle s'est appuyée sur le travail de Robert King Merton, le sociologue qui, deux décennies auparavant, avait théorisé l'«effet Mathieu».

Il s'intéressait alors à la manière dont la gloire est selon lui inéquitablement partagée. Robert King Merton étudiait ces situations où toute la reconnaissance est attribuée à une personne, qui devient une figure, au détriment de potentiels proches ayant participé à l'avènement de cette renommée.

Margaret Rossiter a poussé le concept plus loin lorsqu'elle a réalisé que les femmes scientifiques étaient particulièrement victimes de ce phénomène. Elle a nommé le résultat de ses recherches «effet Matilda» en référence à la sociologue et militante féministe américaine Matilda Gage, qui soulignait déjà dans ses travaux l'attribution fréquente de travaux intellectuels féminins à des hommes.

Dans ces cas-là, la participation des chercheuses, techniciennes ou scientifiques est soit minimisée, soit complètement niée, au profit de quelqu'un d'autre. La reconnaissance qui leur est due, si elle intervient, n'apparaît que des années après leurs découvertes.

L'effet Matilda est étroitement lié au stéréotype selon lequel les disciplines scientifiques sont plutôt masculines. Historiquement, les femmes «n'ont pas toujours pu faire des sciences de manière explicitement autorisée», rappelle Aline Aubertin, présidente de l'association Femmes Ingénieures et directrice de l'Institut supérieur d'électronique de Paris (Isep).

«Il a fallu du temps pour que les filles aient seulement le droit d'aller jusqu'au baccalauréat», alors l'enseignement supérieur scientifique ne leur a pas ouvert ses portes immédiatement. «Ce sont des difficultés objectives qui sont tombées petit à petit mais, pendant ce temps-là, le stéréotype s'est ancré», développe Aline Aubertin.

L'histoire de Lise Meitner est un bon exemple. Deuxième femme diplômée Docteure de l'université de Vienne, elle a dû travailler pendant un temps dans les sous-sols du laboratoire Fischer, à Berlin, car l'établissement n'était pas ouvert aux femmes à l'époque.

Elle a découvert le principe de la fission nucléaire en collaboration avec deux chimistes, Otto Hahn et Fritz Strassman, qui ont été récompensés du prix Nobel en 1944 pour ces recherches. Lise Meitner, qui était juive et avait dû fuir l'Allemagne nazie pour se réfugier en Suède, n'a même pas été citée comme co-auteure de la publication.

Des exemples remontant jusqu'au XIe siècle

Rosalind Franklin, chimiste d'origine britannique, a subi le même sort. Alors qu'elle avait joué un rôle crucial dans la découverte de la structure de l'ADN, elle est simplement apparue dans les remerciements lors de la publication des résultats de recherches. James Watson et Francis Crick, ses collaborateurs, ont obtenu le prix Nobel de médecine en 1962.

L'astrophysicienne Jocelyn Bell, de son côté, avait construit son propre radiotélescope qui lui a permis de découvrir en 1967 ce qui a par la suite été appelé «pulsars» (des astres très denses émettant un faisceau de rayonnement électromagnétique, ndlr). L'étude finale a pourtant été publiée sous le nom d'Antony Hewish, son directeur de thèse, prix Nobel de physique en 1974.

Il existe des exemples plus anciens encore, qui montrent que les femmes scientifiques ont toujours existé, même si elles étaient minoritaires par la force des choses. Au XVIIIe siècle, «Emilie du Châtelet traduisait les travaux de Newton, assure Aline Aubertin. Il y avait une compétition entre elle et Voltaire».

Un manque de modèles féminins

Avant cela, au XIe siècle, l'Italienne Trotula de Salerne, médecin et chirurgienne, écrivait «Le Soin des maladies des femmes». Devenu l'ouvrage de référence en matière de gynécologie au Moyen-âge, il a été traduit en plusieurs langues, mais attribué à un homme. A l'époque il était tout simplement impensable qu'une femme puisse exercer la fonction de médecin.

Contrairement à ce qu'on pourrait croire, l'effet Matilda subi par ces femmes scientifiques il y a des décennies voire des siècles a encore des conséquences à l'heure actuelle. En disparaissant de l'Histoire, Rosalind Franklin, Emilie du Châtelet et les autres ont aussi disparu des manuels scolaires.

Parce qu'elles ont été invisibilisées, les jeunes filles d'aujourd'hui manquent de modèles scientifiques auxquels s'identifier et subissent toujours les effets du stéréotype selon lequel les professions techniques et scientifiques sont davantage masculines que féminines.

Selon Catherine Ladousse, présidente de la commission «parité» du Haut conseil à l'égalité entre les femmes et les hommes (HCE), il s'agit d'un «cercle vicieux : moins les femmes scientifiques sont visibles, moins elles montrent à d'autres filles que c'est possible de les suivre».

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