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Pour les journalistes afghans, «la mort fait partie du métier»

Des journalistes afghans se refugiant derrière une ambulance à Kaboul le 21 janvier 2018 [SHAH MARAI / AFP/Archives] Des journalistes afghans se refugiant derrière une ambulance à Kaboul le 21 janvier 2018. [SHAH MARAI / AFP/Archives]

Ils se connaissent tous, à force de se retrouver d'attentats en massacres sur des sites dévastés. Jeunes pour la plupart, les reporters afghans ont appris à vivre avec la mort : «Elle fait partie du métier».

La mort de dix journalistes en une seule journée, lundi en Afghanistan, dont celle du chef de la photo du bureau de l'AFP, Shah Marai, n'entame pas leur résignation à couvrir le conflit qui ronge leur pays, parce qu'ils estiment ne pas avoir le choix.

Comme Shah Marai, tué avec huit confrères au cœur de Kaboul, à chaque explosion ils attrapent leur caméra ou leur bloc-notes et foncent sur le site attaqué où, chaque fois, les attendent les mêmes visions cauchemardesques de corps déchiquetés, de vies brisées.

Lundi, un second kamikaze, posant au journaliste avec un appareil photo à l'épaule, les attendait aussi et s'est fait sauter au milieu des reporters.

Tous étaient conscients du risque d'une deuxième salve qui viendrait faucher les secours accourus sur place.

«La mort est partout, tu ne peux pas savoir où ni quand elle frappera», relève Zakarya Hassani, 27 ans. «J'ai dû faire taire la peur au fond de moi, il le fallait, la mort fait partie du métier, de ma vie professionnelle», confie-t-il à l'AFP.

Pendant trois ans, Zakarya, aujourd'hui free-lance, a travaillé pour la chaîne de télévision 1-TV, qui a perdu un caméraman et un reporter lundi.

Le reporter Ghazi Rassouli, 21 ans, était un proche ami de Zakarya - «le meilleur gars du monde» -, qui devait se marier le mois prochain, comme deux autres victimes.

«Je dois continuer de travailler, je ne peux pas arrêter de penser à ce qui se passe ici car j'y suis, physiquement. Même si je me sens en danger».

Pressions familiales

«Bien sûr que j'ai des pressions de ma famille pour changer de travail. Hier tous m'appelaient en me disant 'lâche ce travail avant qu'il ne t'enlève à nous'. Mais pour le moment la réponse est non».

Zainab, reporter à 23 ans de l'un des plus grands quotidiens du pays, Hasht-e-Subh, a, elle aussi, résisté aux appels pressants de sa mère : «Elle veut que je démissionne, mais je ne peux pas arrêter d'informer ; c'est exactement ce que cherchent les talibans et Daesh». «Ils auraient gagné».

Le rédacteur-en-chef de Zainab joint par l'AFP, Parwiz Kawa, souligne «le niveau d'engagement des médias afghans, pour la plupart composés de jeunes gens éduqués qui pensent avoir une responsabilité sociale de continuer d'informer».

Journalistes Tués en 2018 [Gal ROMA / AFP]
Journalistes tués en 2018 [Gal ROMA / AFP]

«Les médias afghans ont affiché leur résilience, hier» estime aussi Lotfullah Najafizada, directeur à moins de 30 ans de la chaîne Tolo News, dont un caméraman est mort dans l'attentat, lundi. «Plus de 50 directeurs et rédacteurs-en-chef se sont rassemblés (quelques heures après l'attentat) sur le site de l'attaque, pour dire: Si vous tuez un groupe de journalistes, un autre viendra dans l'heure, encore plus important».

Mais M. Najafizada dénonce aussi le manque de protection offert par le gouvernement, qui «laisse les journalistes à l'extérieur des barrages, au milieu de la foule».

Pour Waliullah Rahmani, directeur du site d'information en ligne Khabarnama Media, «la liberté de la presse doit être protégée. Certains de nos journalistes ont déjà quitté leur poste en raison des menaces... Les femmes surtout redoutent d'être prises pour cibles» par les insurgés extrémistes.

Pour Ahmad Farid Halimi, reporter de la chaîne d'information en continu Kabul News, la coupe est pleine. En rentrant lundi soir, ce jeune père de 28 ans a trouvé son épouse en larmes. «Cela fait trois ans que je travaille pour Kabul News, j'ai décidé hier de démissionner».

«On arrive sur le lieu des attentats, personne ne vérifie si on est vraiment reporters, c'est la responsabilité des forces de l'ordre», accuse-t-il. «Je ne sais pas ce que je ferai demain, mais je ne veux pas mourir pour mon travail».

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