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Alexandre Arcady : "J’avais envie d’être du côté de ceux qui ont souffert"

Le réalisateur Alexandre Arcady. [© E.George]

Réalisateur concerné par l’Histoire et l’actualité, Alexandre Arcady porte cette semaine à l’écran l’affaire du gang des barbares. Avec "24 jours, la vérité sur l’affaire Ilan Halimi", long métrage qui relate à la fois les étapes de l’enquête policière et le calvaire de toute une famille, le réalisateur confie avoir voulu témoigner de cette affaire qui l’a fortement marqué. 

 

Quand avez-vous commencé à vous intéresser à l’histoire d’Ilan Halimi?

Depuis la disparition d’Ilan, je pensais qu’on allait oublier ce fait dramatique de notre République. Ce jeune Français de 23 ans de confession juive a été séquestré, enlevé, torturé et assassiné au prétexte qu’il était juif.

Donc, c’est un événement plus que choquant, plus que troublant et qui, en tant que citoyen français, m’a profondément bouleversé.

Et en tant que cinéaste j’ai très vite eu envie de pouvoir laisser une trace, un témoignage, une réflexion, une interrogation. Je ne savais pas quel chemin prendre. Il m’a fallu attendre le livre de Ruth Halimi, "24 jours, la vérité sur la mort d’Ilan Halimi", qui est le cri d’une mère, et qui m’a indiqué le chemin pour pouvoir bâtir cette fiction qui est la retranscription exacte de ce qui s’est passé puisque le sous-titre du film est  "la vérité sur l’affaire Ilan Halimi".

 

Le film s’intéresse aux proches d’Ilan Halimi.

Ce n’est pas un film sur le gang des barbares, c’est un film sur Ilan Halimi. C’est toute la différence du projet. Je ne voulais en aucun cas être du côté des bourreaux.

En France, on a souvent tendance à mettre en exergue ceux qui fomentent le mal. J’avais envie d’être du côté de ceux qui ont souffert.

 

C’est la première fois qu’un film est tourné au 36 quai des Orfèvres.

C’était un geste à la fois Républicain et normal au regard du travail immense que la police a fait pendant cette enquête. Elle s’est trompée de chemin, elle a échoué. Mais elle a mis tout en œuvre pour essayer de trouver Ilan vivant.

Le ministre de l’intérieur Manuel Valls est venu sur le tournage dans un lieu emblématique qui est Sainte-Geneviève-des-Bois. Il a visionné le film et m’a apporté son soutien ainsi que celui de la police puisque le directeur général de la PJ nous a ouvert les portes du 36 quai des Orfèvres pour qu’on puisse y tourner.

Cela montre que le film n’est pas une charge vis-à-vis de la police, mais que pour elle, cette cicatrice est si forte qu’elle souhaitait être, d’une certaine manière, liée au film.

 

Quelle a été la réaction de Ruth Halimi quand vous lui avez annoncé que vous alliez faire un film sur l’histoire de son fils ?

En écrivant ce livre, Ruth Halimi avait une pensée en tête : que la mort de son fils serve à donner l’alerte. L’adaptation cinématographique que je voulais faire allait dans le même sens.

Ce que je ne savais pas, c’est que Ruth avait modifié tous les prénoms dans son récit avec Emilie Frèche, qui a coécrit le livre avec Ruth et le scénario avec moi, pour préserver ses filles et les membres les plus proches de sa famille. A la lecture du scénario, les sœurs et les proches d’Ilan ont tenu à ce qu’on remette leurs vrais prénoms tant l’adhésion a été immédiate avec ce que j’avais écrit.

 

On reproche parfois au cinéma français de ne pas réaliser de films sur son histoire immédiate, comme a pu le faire par exemple Kathryn Bigelow avec "Zero Dark Thirty".

Il y a des films en France qui reflètent notre société. Pas chaque semaine, mais au moins un ou deux par an.

Quand on aborde des événements aussi graves, aussi percutants que l’affaire Ilan Halimi, il faut avoir un tout petit peu de recul. Nous, les cinéastes, ne sommes pas des journalistes, des reporters. Nous ne faisons pas œuvre de tract politique.

Nous passons de l’intelligence et du cerveau au cœur. Le chemin est court, mais il est important de prendre ce recul pour transmettre l’émotion. C’est ça qui donne sa force au cinéma.

Et c’est pour ça que "24 jours… " s’apparente à des films qui sont dans notre mémoire comme "La Déchirure" qui parlait du drame cambodgien, "La liste de Schindler" de Spielberg, ou dernièrement "12 Years a Slave". Quand le cinéma aborde des sujets de société, il faut essayer de toucher juste.

 

Avez-vous été soutenu pour le financement du film ?

J’ai pris en charge, en grande partie tout seul, la production du film. Je n’ai absolument pas eu, comme pour mes précédents films - c’est mon 16ème film -, de partenaires télévisuels, ni le soutien de Canal+, ni du CNC. Seuls la région et Studio Orange ont contribué à m’aider à faire ce film.

 

La réalisation de "24 jours… " était nécessaire pour vous ?

Je crois que c’était indispensable. Il y a des mouvements d’alerte comme ça qui font que des films prennent tout à coup une résonance véritable.

Il y a encore quelques semaines, on entendait dans les rues de Paris des phrases comme "Juif dehors, la France n’est pas ton pays". Il y a deux ans, il y a eu la dramatique affaire de ce sanguinaire Mohamed Merah.

Aujourd’hui il faut être vigilant, en alerte. Il faut essayer de contrecarrer les esprits malveillants, les prédicateurs antisémites et tous ceux qui accompagnent cette montée de l’antisémitisme, du racisme, de l’homophobie. Ce sont des mots. Mais ce sont des réalités dans le quotidien.

Pour Ilan en l’occurrence, cette réalité a été jusqu’à l’assassinat. On n’était plus dans l’humour ou dans les blagues nauséabondes. On était dans une réalité. C’est un film qui est juste.

A l’issue d’une récente projection du film, une spectatrice s’est adressée au public en disant : " Alexandre Arcady a fait son film, maintenant c’est à nous de faire notre travail. D’aller chercher ceux qui disent encore aujourd’hui que la mort d’Ilan n’était pas un crime antisémite, qui ne veulent pas regarder la vérité en face, qui pensent que l’exclusion, le racisme, l’antisémitisme n’existent pas dans notre pays, que ce n’est pas important. Il faut les amener à voir ce film". J’ai trouvé que c’était une prise de position presque Républicaine et ça a été assez étonnant de l’entendre.

 

24 jours, la vérité sur l’affaire Ilan Halimi, de Alexandre Arcady, avec Zabou Breitman, Pascal Elbé, Jacques Gamblin et Sylvie Testud. En salles.

 

La bande-annonce  :

 

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