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Les as du doublage, ces stars au visage inconnu

Le doubleur Patrick Poivrey, la voix française de l'acteur Bruce Willis, le 1er février 2013 à la Plaine [Pierre Verdy / AFP] Le doubleur Patrick Poivrey, la voix française de l'acteur Bruce Willis, le 1er février 2013 à la Plaine [Pierre Verdy / AFP]

Leurs visages sont inconnus, mais leurs voix familières. Ils font parler Bruce Willis, Eddie Murphy ou Homer Simpson. Souvent comédiens multi-cartes, les "stars" du doublage sont une poignée à bien vivre de cette activité, même s'ils déplorent l'accélération de leur rythme de travail.

Un après-midi à la Plaine-Saint-Denis. Chez Dubbing Brothers, le leader du marché français, une douzaine de studios rutilants, certains destinés à la télévision, d'autres au cinéma.

Devant un écran géant, un petit homme aux cheveux et à la barbe grise s'anime derrière une barre. Son nom, Patrick Poivey, n'est connu que dans le milieu, mais son timbre est immédiatement identifiable: c'est "la" voix de Bruce Willis, qu'il double depuis les années 1980.

A pied d'oeuvre sur le prochain "Die Hard", qui sort en France le 20 février, l'acteur de 65 ans rentre en quelques secondes dans le "costume" vocal de l'inoxydable inspecteur John McCLane, passant d'une émotion à l'autre. Une bande défile sous l'image avec son texte.

"C'est un travail de comédien. C'est un métier technique, qui nécessite une discipline personnelle importante", explique celui qui a prêté aussi sa voix à l'agent Dale Cooper de "Twin Peaks" ou au Clochard de "La Belle et le Clochard".

Quelques studios plus loin, Marjorie Frantz enregistre un épisode d'une série américaine. Cela fait 15 ans que cette brune à la voix grave a été contactée pour faire son premier doublage, celui de Julia Roberts. Depuis, elle alterne théâtre le soir et doublage la journée. Pour le cinéma ou la télé, elle passe d'Hilary Swank à Mila Kunis ou à Sidse Babett Knudsen dans la série "Borgen".

"J'ai pu faire des choses que l'image ne m'aurait pas permis de faire, parce qu'avec une image, on est forcément cantonné dans un emploi. Il n'y a rien de plus délicieux que de faire le matin une obèse complètement chtarbée, et l'après-midi une ravissante petite jeune fille", lance-t-elle.

Ils sont 1.785 hommes et 1.465 femmes à avoir fait au moins un jour de "post-synchronisation" (doublage) en 2011, selon Audiens.

Mais seuls quelques uns tirent leur épingle du jeu.

"Je suis dans une position confortable, mais ce n'est pas le cas de tout le monde", reconnaît Marjorie Frantz. "On doit être une centaine à en vivre, une vingtaine à en vivre très bien, et 2.000 à courir le cachet".

"On en vit bien. On est des intermittents heureux", renchérit Philippe Peythieu, 62 ans, voix d'Homer Simpson dans la série culte.

"Abattage"

Le tarif est théoriquement le même pour tous, fixé par une convention collective en train d'être renégociée: 6,22 euros pour une ligne (soit 50 caractères) pour le cinéma, et 5,91 euros pour la télévision, auxquels s'ajoute une dégressivité en fonction du nombre de lignes.

Avec ce barème, pour un épisode de "Mentalist", la série de TF1 aux plus de 8 millions de téléspectateurs, Thierry Ragueneau, qui prête sa voix aux héros, touche environ 750 euros.

Mais, pour leurs rôles importants et récurrents, les célébrités du milieu peuvent être payées "de gré à gré", à un tarif négocié.

C'est le cas pour Patrick Poivey quand il double Bruce Willis, pour Marjorie Frantz avec Mila Kunis, pour Philippe Peythieu avec les Simpson, pour Greg Germain, la voix française de Will Smith ou pour Med Hondo, celle d'Eddie Murphy et de Morgan Freeman.

En pleine polémique sur les salaires des comédiens de cinéma, "on n'est pas concernés", souligne cependant Patrick Poivey. "On n'est même pas au tarif de l'assistant du chef opérateur sur un film. Nous, c'est de la rigolade".

C'est donc avec incrédulité que ces comédiens ont vu depuis une bonne dizaine d'années les célébrités du grand écran venir doubler de gros dessins animés. "C'est une question de marketing. On prend des comédiens célèbres parce que ce sont eux qui vont faire les plateaux du 20 heures", analyse Philippe Peythieu.

Loin des paillettes, les comédiens de doublage doivent, eux, faire face aux réalités d'un métier qui évolue, et dont les cadences se sont emballées ces dernières années sous le double coup des progrès techniques et de budgets qui se resserrent.

Un phénomène accentué ces dernières années par la crise, tandis qu'un certain nombre de doublages se sont délocalisés en Belgique, moins chère.

"Les cadences se sont considérablement accélérées. Ce qu'on faisait en trois jours, on le fait en un jour et demi", indique Thierry Ragueneau, dans le métier depuis plus de 30 ans. Avec trois jours pour doubler deux épisodes de "Mentalist", il estime cependant être dans une situation "confortable".

"C'est parfois de l'abattage", abonde Greg Germain.

"Aujourd'hui, on vous demande de faire un film en quatre jours au lieu d'une semaine", renchérit Med Hondo, également réalisateur de films. "Les conditions de travail sont devenues difficiles par rapport à l'époque dorée que j'ai connue", ajoute ce barbu à casquette.

"Le manque de temps, c'est à tous les niveaux de la chaîne", détaille Patrick Poivey, qui se souvient que pour "Beaucoup de bruit" de Kenneth Branagh, il y a 20 ans, l'adaptation en français avait duré un an.

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