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Le cinéma et la guerre, une longue histoire d’amour

Aux Etat-Unis, le cinéma est la poursuite de la guerre par d'autres moyens, et Hollywood a presque toujours été un acteur consentant de cette instrumentalisation. Néanmoins, à plusieurs reprises, certains films, comme ici Apocalypse Now, furent très critique vis-à-vis de ces guerres menées par la nation au nom de la liberté.

Aux Etats-Unis, le cinéma est la poursuite de la guerre par d’autres moyens, et Hollywood a presque toujours été un acteur consentant de cette instrumentalisation. De Charlie Chaplin à Matt Damon, en passant par John Wayne, Stanley Kubrick et Francis Ford Coppola, retour sur les grands films de guerre hollywoodiens.

 

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"Polemos est père de toutes choses", tenait déjà Héraclite il y a 2 500 ans. "Polemos", c’est-à-dire la guerre. Ainsi, comme nombre d’industries modernes, le cinéma, particulièrement dans sa version hollywoodienne, a connu un essor inouï grâce aux liens noués avec les arcanes guerriers d’une nation militairement toute-puissante durant un siècle. Un mariage de raison entre les luxurieuses collines de Hollywood et Washington qui sera célébré dès la Première Guerre mondiale.

 

Industrie de guerre

A cette époque, Charlie Chaplin et Douglas Fairbank parcouraient les Etats-Unis pour convaincre les Américains de souscrire à l’emprunt de guerre. Toute la corporation soutenait la nation dans son effort. Les Etats-Unis dans leur ensemble ayant considéré dès l’origine le cinéma comme un moyen de souder le pays et de lui forger une légende, à destination des masses, l’armée prend vite l’habitude de collaborer matériellement à la production des films : ainsi, Naissance d’une nation de D. W. Griffith (1915) bénéficie des moyens de l’armée de terre américaine.

 

Vidéo : Charlot Soldat :

 

 

Acteurs et cinéastes participent à l'effort de guerre

C’est surtout la Seconde Guerre mondiale qui est l’occasion de faire jouer à plein l’industrie hollywoodienne comme instrument de propagande, en réponse à l’utilisation massive des images par le régime nazi. Dès l’attaque de Pearl Harbor, le président Roosevelt confie à Hollywood le rôle d’industrie «essentielle à la guerre». James Stewart est envoyé au front, Ronald Reagan – alors acteur – parade en uniforme dans les films de la Warner tandis qu’Orson Welles apostrophe ses concitoyens dans le New York Post.

La crème des réalisateurs est convoquée à la Maison Blanche qui leur passe commande de dizaines de films de guerre destinés à soutenir l’effort de la nation, et à prouver qu’elle est invincible. Jusqu’au Vietnam au moins, l’accord entre le gouvernement américain et l’industrie hollywoodienne est complet : celle-ci n’est en aucun cas forcée de se mettre au service du pays. Elle le fait volontairement dans un patriotisme traditionnellement américain. Frank Capra assure ainsi la direction des services cinématographiques de l’armée, John Ford couvre les opérations du Pacifique et George Stevens filme l’avancée des troupes en Europe. Hollywood sort la grosse artillerie.

 

Vidéo : La bataille de Midway, vue par John Ford :

 

 

Un outil de propagande

Après la victoire, le feu ne diminue pas : Hollywood est dans sa plus grande période "kiss kiss bang bang" et produit des blockbusters à la gloire des Etats-Unis comme le fameux Le Jour le plus long (The Longest Day), sommet de la coopération entre Hollywood et le Pentagone. Ce film, sorti en 1962, mobilisa des moyens colossaux. Tourné sous les ordres de pas moins de six réalisateurs (Ken Annakin, Andrew Marton, Bernhard Wicki, Gerd Oswald et Darryl F. Zanuck), il tente de reconstituer avec l’aide de l’armée américaine le déroulement des opérations le jour du débarquement allié en Normandie. Sorti en même temps en France et aux Etats-Unis, il connut un énorme succès – plus de 50 millions de dollars au box office mondial – et remporta deux oscars.

Dès 1950, le Pentagone ouvre un bureau de liaison à Hollywood chargé de détecter les projets intéressants et de surveiller ceux qui sont potentiellement dangereux pour l’image de l’armée. Il donne aussi son accord pour l’utilisation ou non des ressources de l’administration américaine.

 

Vidéo : Bande-annonce du Jour le Plus long, réalisé par Ken Annnakin :

 

 

La fiction guerrière devient une spécialité de la nation victorieuse qui s’est ouvert les marchés européens avant de conquérir le reste du monde. Hollywood est la continuation de la guerre par d’autres moyens, surtout quand celle-ci est froide. Il s’agit alors de répandre, l’"American way of life" sur toute la planète.

 

Les premières contestations surgissent dès les années 1960

Mais les années 1960 voient la fin (provisoire) de ce modèle : des cinéastes tels que Samuel Fuller, Sam Peckinpah et Stanley Kubrick sortent des œuvres antimilitaristes qui font scandale. Les Sentiers de la gloire, réalisé par Stanley Kubrick, est reçu à sa sortie comme une critique directe de l’armée française. En 1957, sous la pression d’associations d’anciens combattants français et belges, les producteurs du film décident de ne pas le distribuer. Ce n’est qu’en 1975, dix-huit ans plus tard, que le film est finalement projeté en France.

La collaboration devient plus houleuse avec la guerre du Vietnam. La chute financière des majors, concomitante à la guerre du Vietnam, laisse la porte ouverte à un cinéma indépendant critique très critique vis-à-vis de ces guerres menées par la nation au nom de la liberté. A part dans le très chauvin Bérets verts de John Wayne (1968), le Vietnam ne sera évoqué qu’a postériori et de manière très critique. Des films comme Le Retour, Apocalypse now, Voyage au bout de l’enfer, tous sortis en salle en 1978, mettent en scène la dure réalité de la guerre du Viet Nam et n’hésitent pas à dénoncer l’état major américain. Le but de Francis Ford Coppola dans Apocalypse Now était "de donner aux spectateurs la sensation de ce que fut le Viêt Nam ; l'immédiateté, l'insanité, la griserie, l'horreur, la sensualité et le dilemme moral de la guerre la plus surréaliste et la plus cauchemardesque de l'Amérique".

 

Vidéo : le Vietnam selon Francis Ford Coppola dans Apocalypse Now :

 

 

Un rapprochement

Les années 1980 voient un nouveau rapprochement, qui s’accélère après le 11-Septembre. Des liens étroits se tissent entre l’industrie cinématographique et les autorités soucieuses d’améliorer leur image. À l’exception notable de Full Metal Jacket de Stanley Kubrick (1987) et Outrages de Brian de Palma (1990). Mais le président Reagan clôt cette période critique : dans les années 1980, les héros s’appelleront désormais John Rambo ou Jack Ryan (À la poursuite d’Octobre rouge).

L’aide accordée par le Pentagone lors du tournage d’un film est plus ou moins développée. En réalité, il existe trois degrés de coopération. D’abord la coopération de courtoisie ("Courtesy Cooperation") qui se borne à une assistance technique et à une fourniture d’images (plans de sous-marins, de troupes en action, d’avions en vol…). Ensuite, la coopération matérielle ("Limited Cooperation") pour laquelle, en plus de l’assistance technique, une autorisation de tournage est octroyée dans l’une des installations des forces armées et un nombre réduit de personnel est mis à disposition. Enfin, la coopération totale ("Full Cooperation") où les forces armées fournissent, en plus de l’aide prévue par les deux premières coopérations, un nombre important de personnel (généralement des membres du contingent pour la figuration) et du matériel (armes, tanks, porte-avions...).

 

Vidéo : Bande-annonce de La Chute du faucon noir, réalisé par Ridley Scott :

 

 

Dans la décennie suivante, c’est à nouveau la lune de miel entre les côtes Est et Ouest, avec notamment La chute du faucon noir de Ridley Scott (2001) sur les combats de Mogadiscio des 3 et 4 octobre 1993. 100 soldats ont été mis à disposition par la Pentagone pour le tournage au Maroc de La chute du faucon noir, de Ridley Scott, un des rares films de guerre à relater l’histoire d’une défaite tout en faisant l’apologie de l’héroïsme des forces spéciales américaines. Représentatif de cette collaboration étroite, Nous étions soldats, de Randall Wallace, avec Mel Gibson (2001), a été montré en projection privée à George W. Bush.

 

Le 11 septembre change la donne

Les années 2000 chanteront la lutte contre le terrorisme et la défaite de Bagdad, comme en témoigne cette Green Zone de Paul Greengrass (2008) ou Démineurs (The Hurt Locker) de Kathryn Bigelow. Dans ce film, sorti en 2009, la profession a couronné le grand retour du film de guerre : six oscars, dont ceux du meilleur film et de la meilleure réalisation, pour récompenser l’histoire d’une équipe américaine de déminage, commandée par le sergent James. L’accent est mis ici autant sur les guerriers que sur les populations civiles et, évidemment, sur les horreurs de la guerre.

En 2012, le film Zero Dark Thirty, réalisé par Kathryn Bigelow et retraçant la traque de Ben Laden, est au cœur d’une polémique. La réalisatrice est, en effet, suspectée d’avoir eu accès à des documents militaires classifiés sur le raid qui a abouti à la mort de l’ancien chef terroriste. Ces dossiers auraient été révélés par l’ex-chef de la CIA, Leon Panetta. Cette révélation s’avère embarrassante pour l’administration Obama : elle suggère que la Maison-Blanche est prête à aider les réalisateurs du film à raconter la traque victorieuse de Ben Laden, alors même qu’elle luttait de manière agressive contre les fuites d’informations confidentielles. 

Depuis la polémique, les relations entre le Pentagone et Hollywood sont pour le moins tendues et elles seraient au point mort pour éviter que de tels incidents ne se reproduisent.

 

Vidéo : Bande-annonce Démineurs, réalisé par Kathryn Bigelow :

 

 

"Les documentaires sont toujours propres "

Selon l’historien du cinéma Jean Tulard, c’est dans les documentaires mettant en scène la guerre sont toujours plus propres que la réalité et la reconstitution filmée : "Il y a deux manières de concevoir l’adaptation de la guerre au cinéma : celle de Louis Lumière et celle de Georges Méliès.

Le film de guerre selon Lumière est un documentaire. C’est la guerre elle-même portée à l’écran. Il la filme sur le terrain. Le film de guerre selon Méliès est une reconstitution des conflits en studio. La conception de Lumière est beaucoup plus authentique. Mais sur le terrain, la caméra n’est pas toujours là où se passe la bataille. On ne peut pas choisir ses angles, les images que l’on voit. De sorte que tout est confus.

La supériorité de la conception de Méliès vient du fait que lors du tournage en studio on connaît déjà tous les tenants et les aboutissants de l’ensemble de la guerre. Dès lors, on peut placer la caméra au bon endroit. La reconstitution sera beaucoup plus intéressante.

Quand on voit les documentaires de la Seconde Guerre mondiale faits en temps réel, sur le terrain, c’est toujours propre. Il n’y a pas de morts, pas de blessures. Une réelle censure est opérée sur ces films. Au contraire, dans les reconstitutions (comme Il faut sauver le soldat Ryan), on voit des obus emporter des bras, le sang qui gicle… Lorsque Méliès reconstitue la guerre, paradoxalement, on en comprend mieux l’horreur que dans les films de la réalité".

 

Et le cinéma français ?

Le cinéma français s’est curieusement assez peu penché sur les guerres du XXe siècle, qu’il a pourtant côtoyées. Pudeur, refus esthétique, manque de moyens ou controverses ? Les explications sont multiples.

Si la Première Guerre mondiale a engendré Les croix de bois de Raymond Bernard (1932) et la sublime Grande illusion de Renoir (1937), c’est plutôt aujourd’hui qu’elle est évoquée, à travers Capitaine Conan de Bertrand Tavernier (1996) par exemple, ou La chambre des officiers, de François Dupeyron (2001). Avant les années 1980, aucun film ne fait référence à cette guerre. Il faut attendre 1978 et La Chambre verte de François Truffaut pour que son souvenir soit interrogé de face. Des films très noirs, loin de la simplicité hollywoodienne, qui ne croient pas à la guerre en dentelle et ne célèbrent pas l’armistice de Rethondes comme une grande victoire sur la barbarie. Puis vint le succès de La Vie et rien d’autre de Bertrand Tavernier (1989) qui ouvrit aux historiens un champ historiographique jamais exploré.

 

Vidéo : Bande-annonce de La Grande illusion, réalisé par Jean Renoir :

 

 

Les films traitant de la Seconde Guerre mondiale sont encore plus complexes. Au-delà des comédies ultra-populaires (Papy fait de la résistance) et qui sont souvent un moyen d’évacuer le fond du sujet, peu nombreux sont les films qui évoquent les soldats français entre 1939 et 1945.

 

Vidéo : Bande-annonce de L’Armée des ombres, réalisé par Jean-Pierre Melville :

 

 

La majorité des œuvres se concentre sur la Résistance : L’armée des ombres de Jean-Pierre Melville, adaptée de l’ouvrage de Joseph Kessel, La ligne de démarcation de Claude Chabrol ou La bataille du rail de René Clément. Il n’y a guère que le Paris brûle-t-il ? de ce dernier qui narre une partie de l’épopée de la France libre. Les films ultérieurs préfèrent le plus souvent se concentrer sur la collaboration, comme Le Dernier métro de François Truffaut ou Lacombe Lucien et Au revoir les enfants, tous les deux réalisés par Louis Malle.

L’Indochine et surtout l’Algérie soulèveront, encore une fois, les passions. Entre RAS, d’Yves Boisset et Avoir vingt ans dans les Aurès, de René Vautier d’un côté et les films de Pierre Schoendoerffer de l’autre, les avis sont plus que tranchés. Certains dépeignent la saleté d’une guerre presque civile, d’autres montrent la grandeur d’officiers et de soldats français qui firent leur devoir dans l’honneur. Reste qu’avec L’honneur d’un capitaine, et Diên Biên Phû, Pierre Schoendoerffer, reporter de guerre, demeure le dernier des cinéastes français à montrer véritablement la guerre sans avoir rien à envier, sinon les moyens peut-être, aux studios hollywoodiens.

 

(ARCHIVE)

 

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