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Vingt ans après la chute du mur : l’Ostalgie, camarade

«L’Ostalgie» exprime aussi les doutes de la plus grande nation d’Europe qui n’envisage pas plus clairement son avenir qu’elle n’arrive à se dépêtrer de son passé.[CC/frans1661]

Plus de vingt ans après la chute du mur de Berlin, l’Allemagne a laissé une partie de sa population sur le quai. Souvent issue de l’ancienne RDA, elle cultive un curieux regret de ce régime policier, qui incarne dans ses rêves une ancienne douceur de vivre.

 

Archives – Article publié le 9 novembre 2009

 

L’image est devenue presque trop commune : à Checkpoint Charlie ou devant la porte de Brandebourg, là où l’antique Mur séparait les deux Berlins, là où précisément John F. Kennedy puis Ronald Reagan ont tenu leurs discours historiques qui défiaient, en face, l’hydre communiste («Ich bin ein Berliner» et «Ouvrez cette porte, M. Gorbatchev !»), les touristes se font aujourd’hui photographier en masse aux côtés de faux soldats en uniforme américain, soviétique ou de Grepo (les gardes-frontières est-allemands). Vingt ans après, l’Allemagne a grandi et Berlin s’est métamorphosé. Ma​is pas sans mélancolie ni dégâts collatéraux.

Ce que l’on appelle «l’ostalgie» («ost» signifiant «est» en allemand) recouvre plusieurs réalités. Il y a d’abord tout ce folklore destiné aux touristes, qui ont l’impression de revivre brièvement les moments d’une histoire sombre à travers les gadgets qu’on leur vend. C’est peut- être le moins intéressant, mais cela reste le plus visible. Les balades en Trabant, dites «Trabi-safaris» font un carton. La Trabant était le premier modèle de l’unique voiture produite en RDA sort de l’usine du constructeur VEB Sachsenring en 1957. Son moteur est à deux temps et ne dépasse pas les 100 km/h. Avant 1989, les Allemands de l’Est rêvent tous de pouvoir s’acheter une «Trabi», considérée comme un signe extérieur de réussite sociale.

Le monde de la nuit berlinoise surfe aussi sur les vestiges du régime d’Erich Honecker, en investissant d’anciennes friches ou des bunkers désertés, mais pour les réinterpréter essentiellement dans cette dimension industrielle dont les Allemands raffolent depuis les années 1980. A Berlin, capitale du Reich où se déroulèrent les ultimes combats d’une défaite annoncée et où s’étendit le rideau de fer dans sa partie la plus visible, entre bunker de Joseph Goebbels et reliefs du Mur, l’esprit demeure, de toute façon, historique, même si les immeubles de verre et d’acier se sont élevés rapidement sur les lieux tragiques.

 

La Tranbant est l’emblème de l’Ostalgie [CC/cliff1066™]

 

Une vision idéalisée…

Mais, au-delà, «l’ostalgie» exprime aussi les doutes de la plus grande nation d’Europe qui n’envisage pas plus clairement son avenir qu’elle n’arrive à se dépêtrer de son passé. Les enquêtes réalisées auprès des adolescents à propos de cette époque révèlent des lacunes culturelles prodigieuses. On note ainsi dans plusieurs études que ces adolescents ont une vision idéaliste de l’ancienne RDA en raison de sa politique sociale qu’ils estiment foncièrement rassurante par rapport au monde moderne, en particulier pour la sécurité de l’emploi et le système éducatif. Etrangement, les riches enfants du capitalisme de l’Ouest regrettent une Atlantide disparue où la vie matérielle y semblait plus aisée. C’est le monde à l’envers.

 

Déracinement

Mais ce n’est pas forcément le cas des enfants qui ont grandi dans la finissante RDA. Cornélia, qui a été «rachetée» à l’âge de 8 ans avec sa famille par la RFA, un an avant la chute du Mur, garde des souvenirs douloureux de la vie sous le régime communiste. Son père étant un dissident, elle était persécutée à l’école par ses professeurs et l’objet de brimades continuelles. Elle se rappelle notamment la fameuse question des enseignants sur les horloges que les enfants voyaient à la télévision : celle du JT de l’Ouest étant ronde et celle de l’Est carrée, les professeurs profitaient de la naïveté de leurs écoliers pour savoir ce que regardaient leurs parents. Mais Cornélia confesse s’être toujours sentie un peu déracinée par cette fuite.

Cette «ostalgie» s’exprime aussi politiquement dans les scores importants du parti Die Linke (La gauche) ou du NPD, le parti néo-nazi, témoignage d’un changement social trop rapide qui a laissé sur le bas-côté les classes laborieuses, condamnées à l’exclusion. Elles regrettent l’égalité de traitement du régime ancien. L’écrivain Thomas Brussig résume tout cela d’une phrase : «La RDA a disparu sans que nous en fassions le deuil. L’ostalgie en tient lieu.»

 

Le Nudossi, un ersatz de Nutella, est redevenu à la mode [Capture d’écran youtube]

 

Lieux insolites à visiter

Des «Trabi- safaris» sont organisés dans les rues de la ville et remettent à l’honneur la petite voiture symbolique de la RDA. Il y a encore quelques années, les Allemands n’aimaient pas vraiment se produire en public au volant de la Trabant, qui revient aujourd’hui à la mode. Les agences touristiques permettent de partir à la découverte des rues de Berlin dans une ambiance «nostalgique du passé de l’Est».

Les nostalgiques de la RDA feront un véritable voyage dans le temps en séjournant à l’Ostel DDR. Cet hôtel rappelle en effet le lourd passé de Berlin-Est : architecture stalinienne, papiers peints fleuris aux couleurs ocre et fades... De prime abord, rien n’invite les visiteurs à s’y aventurer. Pourtant, la nostalgie de l’univers de l’Est opère. L’hôtel ne désemplit pas et fait des heureux parmi les Berlinois et les touristes.

Le "bar de la Stasi" prouve bien l’engouement de plus en plus fort pour l’époque du Mur et de la vie à l’Est. Le Zur Firmase fait même appeler le «bar de la Stasi» (ancienne police secrète est-allemande)... Les mêmes fleurs orange et le papier peint couleur parchemin parsèment les murs, des objets kitsch typiques de l’époque décorent l’unique pièce. On y commande un verre de schnapps ou encore «le menu de la cuisine est-allemande».

 

Vente de T-shirts portant l'insigne « DDR » (RDA) à Berlin [CC/Mangan2002]

 

Souvenirs, souvenirs…

Parmi les condiments les plus célèbres de l’ex-RDA et encore fort apprécié des allemands : le Vita-Cola est une imitation est-allemande du célèbre soda américain Coca-Cola. Au plus fort de son succès, plusieurs centaines d’usines implantées en RDA mettaient en bouteilles cette boisson. «L’ostalgie» a fait renaître ce soda qui avait presque disparu des rayons après la chute du Mur. Aujourd’hui, le Vita-Cola est principalement vendu sur son marché d’origine, le territoire de l’ex-RDA.

Le Nudossi, toujours en vente, est la version est-allemande du Nutella. Le goût de cette pâte à tartiner très – voire trop – riche en noisettes diffère de celui qui est déjà vendu à l’époque dans le reste du monde.

Les cornichons de Spreewald, ces gros cornichons de l’ex-RDA ont notamment été rendus célèbres en France grâce au film Good Bye Lenin ! de Wolfgang Becker. Aujourd’hui, ces cornichons ont une appellation d’origine protégée.

 

Vidéo : Bande-annonce du film Good Bye Lenin !, un exemple de l’Ostalgie

 

 

Le Mur se vend, le Mur s’achète …

Casquette de sous-officier Vopo (la «police du peuple» de la RDA chargée, entre autres, de surveiller les allées et venues autour du Mur) à 24 euros, photos du Mur dites «authentiques et introuvables» à 0,99 euro, pages de journaux «d’époque», éclats du Mur pour la plupart colorés et même des pans entiers du Mur... Ces débris s’éparpillent sur la Toile et se vendent sur eBay pour une poignée d’euros. «C’est un membre de ma famille qui m’a ramené ce bout de Mur. Je n’ai que ma bonne foi pour certifier son authenticité», raconte un vendeur qui propose son trésor à 25 euros. «Cet éclat évoque mes nombreux voyages à Berlin-Ouest dans les années 1980 et tous les interdits que nous avons bravés : prendre le dernier métro pour se faire enfermer à l’Est et faire la fête clandestinement, pénétrer dans le cimetière juif fermé au public, faire passer des marks de l’Ouest en fraude...»

 Un autre vendeur raconte vendre des éclats du Mur qu’il est allé chercher en 1989 avec son marteau et son burin. L’un comme l’autre ne rencontrent pas le succès escompté. Deux à trois appels seulement pour le premier qui compte baisser son prix, quatre enchères montées à... 6,50 euros (pour un prix de départ de 1 euro) pour le second. Que dire alors de ce pan du Mur pesant 3 tonnes pour 3,30 m de hauteur, mis à prix à 7 500 euros pour une valeur de 40 000 euros ?

 

Une source d’inspiration sans limites

Le 9 novembre 1989, l’effondrement du Mur rappelait aux observateurs avertis les sonorités du groupe Einstürzende Neubauten. La formation phare ouest-berlinoise de la «révolution industrielle», née au début des années 1980, avait préfiguré dans son étrange musique bétonnée le bruit des «bâtiments neufs qui s’effondrent». Le groupe se reformera habilement en 1989 pour l’album Haus Der Lüge, sur lequel on entend le son des émeutes qui éclatèrent lors de la chute du Mur. Si les émeutes sont bien terminées, de même que les explosions de joie, Berlin, nouvelle capitale européenne des arts et de la nuit, dissimule dans sa fête perpétuelle les plaies d’une séparation qui ne veulent pas se refermer. Comme le succès phénoménal du film Good Bye, Lenin ! l’avait laissé pressentir en 2003, il y a bien un sentiment de mélancolie, véhiculé par les objets emblématiques de la vie quotidienne en ex-RDA.

 

Vidéo : « Haus der Lüge » de Einstürzende Neubauten

 

 

La East Side Gallery, un des derniers vestiges véritables du Mur qui s’étend sur 1,3 km le long de la Spree, le prouve. A travers 106 fresques, les peintres venus du monde entier ont trouvé avec le Mur le support idéal de leurs dénonciations. Même si le succès concomitant et contradictoire du film La vie des autres prouve aussi que parmi la jeunesse allemande, personne ne rêverait de vivre sous le régime gris et policier d’Erich Honecker.

La confrontation d’une époque toujours plus riche et consumériste avec un pays qui n’existe plus ne pouvait manquer d’inspirer les artistes contemporains. Lesquels doivent de toute façon beaucoup à un art est-allemand qui n’a jamais été totalement inconnu en Europe de l’Ouest. Symbolique est ici le cas de Nina Hagen, jeune fille venue à la musique en pleine RDA, et qui irriguera plus tard de son génie les courants punk et new wave lorsqu’elle passera à l’Ouest pour suivre son beau-père, Wolf Biermann, célèbre poète et compositeur dissident. Celui-ci comparait déjà dans les années 1970 un Ouest hédoniste à un Est policier dans des termes choisis : «Je suis passé de la pluie au purin...»

 

David Hasselhoff à Berlin pour protéger les restes du Mur

Mobilisation contre la disparition du mur de Berlin

Un segment du Mur de Berlin graffé par le Brésilien Nunca aux enchères

 

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