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YSL : une carrière au service de la beauté et de l’élégance

Yves Saint Laurent [Capture d'écran Youtube]

Yves Saint-Laurent réinventa la garde-robe féminine en modernisant la caban, le smoking, le trench-coat et en créant la saharienne, le tailleur pantalon, le jumpsuit… Au-delà de sa dimension artistique et créatrice, la vie d’Yves Saint Laurent est aussi une histoire passionnante. Parti de rien, il connaît un succès immédiat et fait de la maison YSL le symbole absolu de l’élégance contemporaine. Retour sur la carrière de ce créateur exceptionnel, longue de plus de quarante ans.

 

(ARCHIVES)

 

Yves Saint Laurent est décédé le 1er juin 2008 à l’âge de 71 ans, à Paris d’une tumeur au cerveau. L’ancien élève de Christian Dior a révolutionné l’univers de la haute couture et, selon Pierre Bergé, son compagnon de toujours, il restera avec Coco Chanel comme l’un des plus grands couturiers du XXe siècle.

À l’annonce de sa mort, les communiqués émanant de l’Élysée comme du monde de la mode étaient comme autant de reflets du rayonnement aussi puissant que discret qu’Yves Saint Laurent avait exercé sur son époque. Au-delà du génie dont il faisait preuve dans l’exercice de son art, ces éloges nocturnes et matinaux ont salué l’influence formidable du couturier sur le statut contemporain de la femme.

 

Premières rencontres

L’histoire d’Yves-Mathieu Saint- Laurent commence en Algérie, à Oran, où il voit le jour le 1er août 1936. Il y passe sa jeunesse jusqu’à l’obtention de son baccalauréat. C’est en 1953 qu’il arrive à Paris. Passionné par la mode, il suit les cours de la Chambre syndicale de la haute couture. Le directeur de Vogue, Michel de Brunhoff, le repère et le présente à Christian Dior qui, immédiatement séduit, l’appelle à ses côtés.

La collaboration dure deux ans (1955-1957) et s’interrompt avec la mort de Dior, à l’âge de 52 ans. Yves-Mathieu Saint-Laurent change alors son nom, devient Yves Saint Laurent, et prend la direction artistique de la maison. Il a alors 21 ans !

L’année suivante, en 1958, avec la collection Trapèze, il accède à la notoriété. En un défilé, il balaie le «new look» de Dior, impose la rigueur moderne de la ligne «Trapèze» et rompt radicalement avec la sacro-sainte «ligne de guêpe» en vogue à l’époque. Les robes sont un succès et s’arrachent dans les magasins du monde entier. A la question de savoir quel a été le moment le plus heureux de sa vie, Yves Saint Laurent répond : «Avoir rencontré Christian Dior.» Et le couturier de préciser : «Il m’a appris l’essentiel.» Comme Yves Saint Laurent se plaisait à le dire : «La haute couture n’est pas tout à fait un art, mais a besoin d’un artiste pour exister. » Dès lors, les créations de cet homme, formé par Christian Dior au milieu des années 1950, deviennent une œuvre à part entière. Moderne et sublime.

 

La mauvaise fille d'Yves Saint Laurent

En 1956, alors qu’il travaille encore chez Christian Dior, Yves Saint Laurent imagine une bande dessinée, intitulée La vilaine Lulu, qui sera son unique incursion dans le 9e Art. Qu’on ne s’y trompe pas, loin de la BD pour enfants et sous ses dehors naïfs, la vilaine Lulu est un petit personnage aussi mutin que décadent, irrévérencieux, et amoral. Selon le couturier son œuvre est un « conte pour enfants sadiques ou avancés ». L’occasion pour Yves Saint Laurent de se moquer, non sans férocité, de ses contemporains, du milieu de la mode jusqu’à la religion en passant par les écrivains du Café de Flore et la pensée dominante.

 

Vidéo : La Vilaine Lulu d’Yves Saint Laurent

 

 

Le rebond et l’envol

Mais en pleine guerre d’Algérie, il est appelé sous les drapeaux en 1960. Son homosexualité lui vaut brimades et humiliations. Victime d’une dépression, il est soigné au Val-de-Grâce puis réformé. Entre-temps, la direction de Dior, a décidé de se séparer de lui.

Saint Laurent accuse le coup. Mais avec Pierre Bergé qu’il rencontre en 1958, il décide de monter sa propre maison de couture. Le premier atelier est installé rue Bayard. Le premier défilé organisé en son nom a lieu le 29 janvier 1962. Le triomphe est complet. Yves Saint Laurent est lancé, et pour longtemps. Les années 1960 sont les années de la consécration et de la diversification. Parfumerie en 1964 avec le lancement d’«Y», prêt-à-porter féminin en 1966 avec l’ouverture de la première boutique Rive Gauche, déclinée pour les hommes en 1969.

 

Un couturier à l’avant-garde

La révolution selon Yves Saint Laurent passe par l’affranchissement des codes classiques, sans basculer dans l’anarchie créatrice. Dès le début de sa carrière, il a voulu faire bouger les lignes et changer les règles, sans renoncer à un impératif catégorique : l’élégance. «Les modes passent, le style est éternel» est sans doute l’adage de Saint Laurent qui résume le mieux sa conception du métier : dans l’univers de la couture, on peut tout tenter, pourvu que demeure l’élégance. «J’aime par-dessus tout la rigueur, la simplicité et la beauté du classique. Mais ma fantaisie, mes dons imaginatifs très prononcés me font aller quelques fois vers le baroque, l’étrangeté», résumait- il.

De fait, l’ancien disciple de Christian Dior aura tout osé, ou presque : le mythique smoking pour femmes, qui serait sans doute la création à retenir de toute sa carrière, selon Pierre Bergé. C’est une révolution dans le monde de la mode. Si ce modèle symbolise aujourd’hui le summum de l’élégance, grâce à la ligne et à l’assurance qu’il confère aux femmes, il fut en son temps l’objet de virulentes polémiques. Les conservateurs, dans l’univers de la mode et bien au-delà, lui reprochaient de confondre le masculin et le féminin, et in fine, de faire ainsi œuvre de perversion. A l’époque où les femmes portent beaucoup de jupes, Yves Saint Laurent déshabille les hommes pour habiller les femmes. «Les vêtements de l’homme étaient le symbole du pouvoir. En les empruntant et en les faisant porter par les femmes, Saint Laurent a conféré les attributs d’un sexe à l’autre», précisait Pierre Bergé. «Pour une femme, précisait le couturier, le smoking est un vêtement indispensable avec lequel elle se sentira continuellement à la mode, car c’est un vêtement de style et non un vêtement de mode. Les modes passent, le style demeure ». Les critiques passent, l’engouement sans précédent des femmes pour ce modèle les font taire sans tarder. En 1989, le smoking Saint Laurent se porte à même la peau puis avec un simple sous-vêtement.

 

Vidéo : Interview d'Yves Saint Laurent de 1959

 

 

Autre révolution introduite par le créateur : la démocratisation du luxe. Si ses défilés haute couture ont toujours enthousiasmé le public tout au long des quarante-quatre années pendant lesquelles il a exercé, «YSL» avait soin de rendre ses créations accessibles à tous. Ce grand de la haute couture veut habiller la femme contemporaine. «Mon rêve, expliquait- il, est de donner aux femmes les bases d’une garde-robe classique, qui, échappant à la mode de l’instant, leur permette une plus grande confiance en elles-mêmes.» En 1966, l’année du lancement du smoking pour femmes, il crée ainsi le prêt-à-porter et ouvre la première boutique Rive Gauche, située d’abord rue de Tournon puis place Saint-Sulpice. .

En 1967, toujours dans l’idée de faire porter aux femmes des vêtements masculins, Yves Saint Laurent détourne la saharienne et établit les nouveaux codes de la mode féminine. Cette année-là, il immortalise la saharienne grâce à Verushka, son mannequin fétiche, lacée de coton beige et ceinturée d’anneaux de bronze. Ce style masculin-féminin ambigu, inspiré des habits de travail, sera dès lors la référence dans les armoires des femmes qui souhaitent en finir avec les codes.

 

Au sommet de l'art

Cette aventure dans le prêt-à-porter est aussi un moyen pour le créateur  – qui confie la bonne marche de ses affaires à Pierre Bergé – de trouver de nouvelles sources de revenus. La création de lignes masculines, la diversification dans le parfum (Opium, Baby Doll, Kouros...) sont autant d’innovations qui connaissent un grand succès et permettent à Saint Laurent d’amasser une très grande fortune. Propriétaire avec Pierre Bergé des jardins Majorelle à Marrakech et d’un sublime riad, d’une villa à Deauville et de somptueux appartements, il possédait aussi une collection réputée de peintures, auxquelles il a toujours voué une grande passion. Les traits et les couleurs de Mondrian, Andy Warhol, Picasso ou Van Gogh se sont ainsi retrouvés dans plusieurs de ses collections. Il «pratiquait un dialogue permanent avec les autres arts, la peinture surtout, mais aussi la littérature et le cinéma», a souligné Nicolas Sarkozy dans son hommage nocturne.

Yves Saint Laurent est devenu une légende vivante. En 1977, il s’installe avenue Marceau, où siège aujourd’hui la Fondation Pierre Bergé-Yves Saint Laurent, fondée en 2004. Son aura devient mondiale avec des succès phénoménaux comme le parfum Opium (1977). Les distinctions, les honneurs s’accumulent. Chaque jubilé de la maison devient un événement comme les trente ans de la maison célébrés à l’opéra Bastille en 1992 et ses quarante ans de carrière, fêtés en 1998 sur la pelouse du Stade de France. Cette même année, Saint Laurent décide de se consacrer seulement à la haute couture et laisse le prêt-à-porter aux mains de jeunes talents : Albert Elbaz et Hedi Slimane.

 

Vidéo : Reportage sur Yves Saint Laurent

 

 

Une légende vivante

Pour autant, la réalité la plus concrète du marché de la mode rattrape Saint Laurent et Bergé au début des années 1990. Pour assurer la pérennité de la maison, les deux hommes ouvrent leur capital. D’abord à Sanofi, filiale d’Elf en 1993, puis à PPR en 1999, qui l’intègre dans la nébuleuse Gucci. La magie n’opère plus, Saint Laurent perd sans doute l’énergie et la foi qui l’avaient animé durant quatre décennies. En 2002, le créateur dévoile à Beaubourg, temple de l’art contemporain, son dernier défilé. Fidèle entre les fidèles, Catherine Deneuve est présente et clôt l’événement en chantant a capella «Ma plus belle histoire d’amour, c’est vous». L’assistance est bouleversée, l’émotion très présente. Chacun ressent ce que Pierre Bergé est le seul à pouvoir dire : «Ce n’est pas tous les jours qu’un couturier assiste de son vivant à ses obsèques.» Ce n’est pas tous les jours non plus qu’un homme accède de son vivant au statut de symbole national. Ce fut pourtant le destin d’Yves Saint Laurent, fait grand officier de la Légion d’honneur par Nicolas Sarkozy et qui, tout au long de sa carrière, cumula les récompenses et les rétrospectives.

 

La «vente du siècle»

Neuf mois après la disparition d’Yves Saint Laurent, une vente aux enchères est organisée afin de vendre les œuvres d’art que le couturier et son compagnon de cinquante ans, Pierre Bergé, avaient rassemblé. Leur complicité dans la vie et les affaires s’était également étendue à l’art, une passion qui les conduit à collectionner patiemment. Si dans un premier temps les murs de leur appartement restent vides, au fil des années et du succès, ils bâtissent une collection hors du commun. Leur premier objet – le seul que Pierre Bergé ait décidé de garder – est une sculpture africaine représentant un oiseau sénoufo. Ils devront attendre les années 1970, avant de pouvoir s’offrir des œuvres majeures, dont le Portrait de Madame L. R., un Brancusi en bois sculpté, aujourd’hui estimé entre 15 et 20 millions d’euros.

Après la mort de Saint Laurent, Pierre Bergé a décidé de se séparer de ces pièces. Les 700 œuvres de cette collection réparties dans leurs deux appartements de la rive gauche, n’auraient pu être réunies que dans un musée. Une solution que Pierre Bergé a finalement écartée, trop complexe, trop onéreuse, peut-être trop douloureuse aussi. Certaines œuvres ont été néanmoins offertes aux musées, comme la tapisserie L’adoration des mages de Sir Edward Coley Burne-Jones, estimée entre 400 000 et 600 000 euros, et léguée au Musée d’Orsay. Le Portrait de Don Luis Maria de Cistué par Francisco Goya, que le couple avait pourtant refusé de prêter au Prado pour une exposition, rejoindra finalement le Louvre.

 

Vidéo : Bande-annonce du documentaire L'Amour fou, sur l'histoire d'Yves SAint Laurent et Pierre Bergé

 

 

Considérée alors comme l’une des plus grandes collections privées, la collection d’Yves Saint Laurent et Pierre Bergé attise la convoitise des collectionneurs du monde entier. Estimé raisonnablement entre 200 et 300 millions d’euros, le résultat sera sans doute supérieur. Le chiffre de 500 millions d’euros se murmure en coulisses. Parmi les œuvres : Picasso, Léger, Matisse, Mondrian, mais aussi des meubles Art déco, des bronzes Renaissance, des sculptures, des tableaux et des dessins anciens (GainsboroughIngresGéricault), des pièces archéologiques, de l’art asiatique... La rareté des pièces et leur excellent état de conservation pour la plupart, confèrent à cette collection une qualité exceptionnelle. Pierre Bergé et Yves Saint Laurent ont amassé ces objets sans faire de liste, au gré de leurs coups de cœur, mais toujours avec goût et rigueur, guidés par des marchands d’art comme Alain Tarica ou les frères Kugel. De tout ce qu’ils ont pu acheter au cours de leur vie commune, les deux hommes n’ont jamais rien vendu. Il a fallu trois jours et le concours de huit commissaires-priseurs pour mener à bien cette vente aux enchères, dont les lots ont été répertoriés dans un catalogue lourd de 10 kilos, épais de 800 pages, et en cinq volumes

 

L’homme qui aimait les femmes

Yves Saint Laurent a développé, tout au long de sa carrière, une vision singulière de la beauté féminine. Selon lui, il manquera toujours quelque chose aux plus belles tenues, aux plus belles parures, aux plus beaux fards, si la femme qui les porte ne rayonne pas de l’intérieur. «Pour être belle, il suffit à la femme d’avoir un pull noir, une jupe noire et à son bras l’homme qu’elle aime», disait- il avec un sens de la formule qui ne l’a jamais quitté. Yves Saint Laurent créait avant tout pour les femmes, pour les rendre plus sûres d’elles, plus belles et plus épanouies, et non pour lui-même et la satisfaction d’un ego qu’il avait su préserver des boursouflures propres au monde de la mode et de la création. «J’ai toujours voulu me mettre au service des femmes», disait-il.

Les femmes lui rendaient bien cet amour : ces anonymes, qui un jour portèrent robe trapèze, saharienne ou autre smoking, mais aussi ces célébrités, comme Catherine Deneuve, inconditionnelle de Saint Laurent et sublimée dans Belle de jour, le chef-d’œuvre de Luis Buñuel adapté du roman de Joseph Kessel. Ce film s’inscrit pleinement dans l’univers de Saint Laurent, un univers où la femme, enfin libre de son destin, prend le pouvoir tout en conservant intacts sa capacité de séduire, sa féminité mais aussi sa fragilité. «Si Coco Chanel a libéré la femme, Yves Saint Laurent lui a donné le pouvoir», résumait Pierre Bergé après la disparition de son ami de toujours.

 

Vidéo : La femme de 1966 vu par Yves Saint Laurent

 

 

Comme Madeleine Vionnet et Coco Chanel avant lui, Saint Laurent a contribué à donner une autre image de la femme. «La femme Saint Laurent est une femme qui travaille, qui conduit, qui est maître de sa propre destinée», explique Pierre Bergé. Yves Saint Laurent a bouleversé les genres en puisant dans le vestiaire des hommes pour habiller les femmes. Pourtant, il n’a jamais été question d’une mode androgyne. Au contraire. Le choix des étoffes, des couleurs et des coupes semble toujours exister pour sublimer la femme, sa grâce et son élégance.

S’adressant à son ami, Pierre Bergé livre quelques pensées à ce sujet dans son ouvrage Lettres à Yves : «Tu as inventé le prêt-à-porter et rien que cela devrait te valoir une gloire éternelle. C’est difficile à croire de nos jours qu’avant toi il n’y avait pas de prêt-à-porter, et pourtant c’est vrai. Tu as créé la tenue de la femme moderne ; partout dans le monde ton influence est manifeste: les femmes en pantalon sont légion.» Tel est l’héritage qu’a laissé Yves Saint Laurent en se retirant de la mode en 2002. Il a d’ailleurs lui-même déclaré à propos de la femme contemporaine : «J’ai inventé son passé, je lui ai offert son avenir, et cela durera bien après ma mort

Étonnant paradoxe que ce contraste entre ce rôle d’émancipateur de la femme contemporaine et la personnalité timide, parfois torturée, de cet homme de génie. «Il ne sortait plus beaucoup, voyait très peu de gens. Il allait simplement, conduit par son chauffeur, de son domicile à sa maison de couture», raconte Pierre Bergé. Comment ne pas avoir été frappé, en effet, par son sourire timide – presque retenu – et son regard dissimulé par le reflet de ses lunettes aux larges montures d’écaille, lorsqu’il apparaissait discrètement à la fin des défilés, entouré des plus belles femmes du monde. Chez cet homme qui avait tant reçu – le génie, la créativité et la reconnaissance internationale – il manquait l’aptitude au bonheur complet. Il a connu l’épreuve des tranquillisants, des stupéfiants et des maisons de santé. Pourtant, il savait à ses heures faire preuve d’un esprit et d’une gaieté que ses proches ne manquent pas de souligner. Et parfois aller très loin dans l’audace, comme en 1971, lorsqu’il décide de poser nu pour accompagner le lancement de son parfum pour homme.

 

Voir aussi sur Directmatin.fr :

Smoking pour femme : la révolution selon Saint Laurent

Le prêt-à-porter YSL rebaptisé « Saint-Laurent Paris »

 

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