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La semaine de Philippe Labro : Maylis défie la mort, le livre reste en vie

Philippe Labro, écrivain, cinéaste et journaliste. [THOMAS VOLAIRE]

Philippe Labro est écrivain, cinéaste et journaliste. Chaque vendredi, pour Direct Matin, il commente ce qu'il a vu, vécu et observé pendant la semaine. Un bloc-notes subjectif et libre.

 

VENDREDI 21 MARS

Ouverture du 34e Salon du livre, Porte de Versailles, à Paris. Comme chaque année, je me réjouis d’y participer – avec cette traditionnelle séance de signatures, à l’occasion desquelles la rencontre avec les lecteurs et les lectrices est toujours pleine d’enseignements.

Pendant quatre jours, des allées noires de monde, devant les entrées de stands de centaines de maisons d’édition – des plus minimalistes aux plus gigantesques – on redécouvre que le livre n’est pas mort, qu’il occupe, dans la vie quotidienne des Français, une place singulière.

Combien de temps cela durera-t-il ? L’e-book modifiera-t-il les perceptions, les habitudes ? Surtout, la concurrence constante de tous les accessoires de la modernité va-t-elle réduire cette activité, qui est, aussi, une industrie : le livre.

Mon espoir, sinon une certitude : le besoin de lire ne peut pas, ne doit pas, s’éteindre.Je me réjouis, aussi, particulièrement cette année, du choix que cent lecteurs de tous âges et toutes catégories professionnelles ont fait pour le Grand Prix RTL-Lire. Au côté de François Busnel, directeur de Lire et brillant animateur de La grande librairie sur France 5, je préside le jury qui sélectionne cinq romans – lesquels sont, ensuite, proposés à vingt libraires de vingt villes différentes. Ceux-ci composent, chacun à leur tour, des jurys régionaux choisis parmi leurs clients les plus fidèles qui vont lire les cinq romans en question.

Au bout du compte, ces cent lecteurs décident. Il nous a toujours paru que ce système de sélection était fiable, honnête, et révélateur du goût d’un vaste public. Nous avions, cette année, procédé à une sélection de haut niveau : il y avait, entre autres, En finir avec Eddy Bellegueule (Seuil) (dont on parle beaucoup), La petite communiste qui ne souriait jamais (Actes Sud), tous parus en janvier.

Une majorité absolue a choisi Réparer les vivants (Gallimard) de Maylis de Kerangal. Cette romancière n’en est pas à son premier ouvrage. Elle avait déjà reçu le prix Médicis en 2010 pour Naissance d’un pont. Son Réparer les vivants est, tout simplement, remarquable. Il raconte les vingt-quatre heures d’une transplantation cardiaque, depuis l’accident mortel d’un jeune surfeur, Simon Limbres, jusqu’à la transmission de son organe à Claire Méjean, plus âgée que celui dont elle ne connaîtra jamais l’identité.

Au service de ce parcours, passionnant, bouleversant, Maylis de Kerangal a mis son art de la documentation allié à son imaginaire. Elle a observé ce genre d’opération, interrogé les différents acteurs comme ceux qui greffent, ou ceux qui «coordonnent» la séquence délicate de l’annonce de la mort à des parents anéantis, suivi d’une question sur leur accord, ou non, du don d’organe.

Mais ce roman va plus loin. Il est construit à travers les personnages les plus divers qui entourent cet événement : une infirmière, un Basque qui «shape» les planches de surf – un anesthésiste –, la fiancée du disparu, un Italien qui présidera au prélèvement, tout un «casting» surprenant d’humanité, des personnages aux existences décrites avec un ton lyrique, ancré dans son époque (Bob Dylan, Godard, Brautigan, Paul Newman, la voix de Macy Gray, et «le chant de la belle mort»).

C’est riche, profond, rythmé comme une symphonie, avec des allegros et des andantes. C’est le beau travail d’une femme qui, avec ce livre, a atteint sa plénitude en mariant le suspense d’un polar avec la réflexion d’une essayiste de l’amour. Retenez bien ce nom, si vous ne l’avez déjà rencontré : Maylis de Kerangal.

 

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