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Régis Loisel : «quand on raconte une histoire en BD, il y a des choses qui surgissent tout le temps»

Olivier Pont et Régis Loisel publient «Un putain de salopard», une nouvelle saga BD aux éditions Rue de Sèvres Olivier Pont et Régis Loisel publient «Un putain de salopard», une nouvelle saga BD aux éditions Rue de Sèvres[© Pont/Loisel/RuedeSèvres]

Régis Loisel s’est glissé dans la peau du scénariste pour signer, avec Olivier Pont au dessin, «Un putain de salopard» aux éditions Rue de Sèvres, le premier tome d’une ébouriffante saga qui prend racine dans la moiteur de la jungle amazonienne des années 1970. Pour l’occasion, CNEWS a rencontré le duo, bourré de talent.

Comment a germé l’idée d’ «Un putain de salopard» ?

Olivier Pont : Régis et moi nous connaissons depuis 25 ans. Il y a 20 ans, nous étions partis en vacances en Guyane, avions visité le bagne, la forêt vierge, croisé quelques orpailleurs et échafaudé un début de scénario. Puis j’ai arrêté un peu la BD et suis passé à la réalisation. Quand je suis retourné à la BD, j’ai pensé à cette ébauche de scénario et à Régis donc. Le temps avait passé, Régis Loisel avait perdu les notes de ce projet et surtout avait en tête autre chose qui se passait dans le même genre d’ambiance : la base d’ «Un putain de salopard».

Comment avez-vous décidé que Régis Loisel s'attellerait au scénario et Olivier Pont au dessin ?

Régis Loisel : Ce projet vient simplement d’une envie de travailler ensemble. C’est aussi une histoire d’amitié. On a juste mis nos egos au vestiaire. J’ai amené un thème, Olivier avait envie de la partie dessinée. Il me donne désormais son avis et n’hésite pas à me dire ce qui peut, ou non, être fait.

Olivier Pont : Régis n’hésite pas à me dire quand mon dessin ne fonctionne pas. Donc, chacun donne son point de vue sur le travail de l’autre, juste dans le but d’améliorer le tout.

Olivier Pont, travailler avec Régis Loisel était un rêve d’enfant ?

Régis Loisel : Je ne suis pas si vieux quand même !

Olivier Pont : c’était un rêve d’adolescent, on va dire. Le travail de Régis Loisel fut pour moi une révélation : sa façon de dessiner, de découper, était si novatrice quand je l’ai découvert. Quand j’ai commencé à faire de la BD – j’ai commencé par le dessin animé -, j’ai débarqué chez Vents d’Ouest (l’éditeur de «La quête de l’oiseau du temps» de Régis Loisel, ndlr) en espérant le croiser. Un vœu exaucé ! Régis est ensuite parti au Canada et nous nous sommes perdus de vue pendant des années. A l’occasion de ce projet, on a pu se retrouver. C’est un vrai plaisir de travailler avec quelqu’un qu’on a admiré d’abord et qui est devenu un ami.

Régis Loisel : Quand je travaille avec quelqu’un, je cherche juste à ce que tout se passe bien. On peut un peu trouver des désaccords parfois. Notre phrase c’est : «J'entends ce que tu dis mais je ne t’écoute pas».

Olivier Pont : Oui et c’est normal, c’est le travail. Concrètement, Régis me pousse dans mes retranchements car il est très exigeant dans les personnages. Il souhaite que les personnages soient investis, que les attitudes soient justes. Alors il ne me lâche pas.

Régis Loisel : L’idée n’est pas de me plaire mais de faire le mieux possible. Et Olivier de son côté, possède une mise en scène formidable.

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La forêt amazonienne, entre Brésil et Guyane, est un territoire hostile. Qu’est-ce qui vous a plu dans ce décor ?

Olivier Pont : Croiser des orpailleurs sur un radeau de fortune nous a donné des idées de western.

Régis Loisel : Notre guide qui habitait la Guyane depuis 20 ans connaissait tout le monde côté fleuve et forêt, parce que c’est un petit milieu.

Olivier Pont : ils se croisent, se dépannent, se côtoient. A cette occasion, nous sommes montés sur le radeau.

Régis Loisel : On a vu un peu comment ça se passait. Le big boss était un Hollandais, un grand type sec, mystérieux, inquiétant.

Olivier Pont : Nous avons tout de suite voulu décrire ce milieu hostile, aux codes empruntés au western.

Régis Loisel : Et raconter la vie de ces types dans des bleds où il ne se passe rien : il y a l’alcool, les femmes, la survie, et puis ces pauvres gens qui sont là juste pour gratter leur bout de terre.

 

Pourquoi avoir choisi les années 1970 ?

Régis Loisel : Parce qu’il n’y avait ni téléphone, ni GPS.

Olivier Pont : Aussi pour l’état d’esprit un peu différent.

Régis Loisel : Oui, le côté un peu « peace and love » des années 1970 nous a attiré. Max, le héros de l’histoire, aurait pu choisir d’aller à Katmandou. Retourner à ses origines dans cette forêt est pour lui un prétexte à l’aventure : retrouver son père n’est pas son véritable moteur.

Olivier Pont : Mais je suis sûr qu’inconsciemment, Max souhaite retourner sur les traces de son enfance.

Régis Loisel, vous n’avez pas connu votre père tout de suite non plus…

Régis Loisel : Les trois premières années de ma vie, je ne connaissais pas mon père, militaire parti en Indochine. A cette époque, les militaires avaient de rares permissions. Ma mère m’a raconté que lorsque j’ai vu mon père la première fois à l’âge de trois ans, j’ai dit «Non, mon papa, c’est lui » en montrant la petite photo sur le frigo. C’était un inconnu pour moi.

Olivier Pont : A longueur d’albums, il cherche le père ! (rires)

Connaissez-vous la fin de cette histoire ?

Olivier Pont : Nous savons à peu près comment vont finir nos personnages. Régis a écrit le tome 2, nous espérons que l’histoire tiendra en trois albums. Mais les choses peuvent évoluer.

Régis Loisel : Olivier est optimiste en disant 3, je dirais plutôt 6 ou 7 volumes (rires). En fait nous nous sommes fixés un maximum de quatre albums. Là, on a quand même deux albums de 84 pages. Ce n’est pas un choix. Quand on arrête une histoire, il faut savoir le faire à un moment qui devient intéressant, il faut que ça se tienne. Je trouve extraordinaire les scénaristes qui parviennent à formater des albums en 46 planches par exemple. J’en serais incapable.

Olivier Pont : je confirme (rires) ! Au début de ce projet, Régis et moi n’avions pas envie d’un travail qui s’étale sur 15 ans. Chaque album peut nous prendre un an et demi,  voire deux ans. Donc, mine de rien, trois albums, ça peut prendre six ans. Or, Régis a plein de projets à côté et j’aimerais, quant à moi, revenir à la réalisation. L’idée était donc d’une création plus ramassée dans le temps.

Régis Loisel : ce qui est difficile, c’est que quand on raconte une histoire, il y a des choses qui surgissent tout le temps. Afin de conclure le récit, il faut ensuite passer par des détours, des méandres - qui font le sel d’un récit certes - , mais qui prennent du temps et des pages.

La mise en scène est très cinématographique, dans le sens où la tension ne retombe jamais au fil des pages. Votre expérience du cinéma a-t-elle joué ?

Régis Loisel : Il faut faire le distinguo entre le ciné et la BD, deux médiums qui utilisent le cadrage. En BD, il faut qu’on entraine le lecteur de haut à gauche jusqu’en bas à droite sans qu’il reparte en arrière. C’est une mise en scène spécifique.

Olivier Pont : Au cinéma, il y a d’autres exigences comme par exemple emmener le spectateur d’un point A à un point B sans faux raccords, avec l’aide de certaines règles de champs - contre champs. Mais que ce soit en BD ou au cinéma, c’est une histoire de narration, de cadrage, de rythme. Nous sommes forcément influencés. Quand j’ai commencé à faire de la BD, on m’a dit que j’avais un découpage cinématographique et quand je suis retourné à la réalisation, on m’a dit que j’avais un style très BD. Il y a des ponts entre ces deux médias. Au final, dans les deux cas, on ne fait que raconter une histoire.

Régis Loisel : Quand j’ai réalisé un court métrage de 15 minutes, je me suis dit d’abord que c’était de la BD en images mouvantes. Puis nous avons essayé d’exécuter mon story-board… Là, je me suis rendu compte que ça ne fonctionnait pas à l’image, qu’il y avait des longueurs. C’est un tout autre art.

Vous aimeriez voir «Un putain de salopard» porté à l’écran ?

Régis Loisel : Attendons déjà qu’il soit lu !

Olivier Pont : Si on nous contacte pour l’adapter, je serai bien entendu heureux.

Régis Loisel : Il se trouve que dernièrement, j’ai appris que l’adaptation au cinéma de «Magasin général» allait être retardée. On m’avait aussi approché pour «Peter Pan» et pour «La quête de l’oiseau du temps». Mais je ne me fais aucune illusion sur le cinéma. Je ne vais pas refuser des adaptations mais si un jour, on me propose quelque chose, je vends les droits et ensuite, je ne veux pas du tout m’en occuper. Il est toujours flatteur que quelqu’un s’intéresse à adapter votre création mais une adaptation t’échappe forcément pour des tas de raison. Quand ils vous disent que vous avez un «droit de regard», en réalité, oui, on peut regarder mais c’est tout en gros ! Ce sont eux qui ont le «final cut». Le cinéma pour moi est le miroir aux alouettes.

Olivier Pont : Le cinéma est finalement une histoire de compromis. Parfois, sur un tournage, je me levais le matin plein d’envies et au fur et à mesure de la journée, il fallait revoir ses exigences à la baisse pour tout un tas de raisons très pragmatiques. C’est un tout autre exercice.

«Un putain de salopard», tome 1 : «Isabel», Pont & Loisel, éd. Rue de Sèvres, 17 €.

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