En direct
A suivre

Dony S : «le battle rap est une joute oratoire»

Dony S, créateur du Rap Contenders. [©D.R]

Oreilles sensibles, s’abstenir. Rap Contenders, la première ligue française de battles de rap a capella va diffuser, ce dimanche, le premier épisode de sa 15e édition. Une histoire commencée en 2010 et suivie chaque mois par plusieurs millions d’internautes. Présentation de cet événement par son créateur, Dony S.

Les vêtements, les origines, les mères, rien n’est épargné par les MC’s (maîtres de cérémonie, rappeurs). Qui de mieux pour présenter cet événement, qui fait salle comble en quelques minutes à chaque édition, que son fondateur.

Qu’est-ce que les RC (Rap Contenders) ?

C’est une ligue de battle rap. Le battle rap, c’est un affrontement entre deux artistes. C’est une joute oratoire. Ça existe depuis très longtemps, ça remonte à l’antiquité. Il y avait déjà des joutes oratoires à l’époque de la Grèce Antique. Nous, on le fait avec du rap, mais ce n’est pas 100% du rap. On a aussi du slam. C’est beaucoup plus théâtral que du rap pur et dur.    

Pouvez-vous nous raconter comment ont été créés les RC ?

En 2010, j’attendais mon Visa pour aller vivre au Canada en tant que résident permanent. J’avais du temps à tuer et des amis au Canada m’ont dit «tu devrais le faire» car eux le faisait déjà dans leur pays. Donc je l’ai fait pour m’occuper et c’est devenu quasiment mon business aujourd’hui.

Quelles ont été les principales difficultés ?

Il n’avait pas de ligue a capella en France. On est donc la première. Il y avait des ligues de battle impro mais qui avaient existé quand «8 Mile» était sorti (2002). Quand j’ai créé ça au début, les MC’s n’étaient pas trop chaud. Moi, ça faisait longtemps que je voyais ça aux États-Unis à New York etc… Il a fallu que l'on se batte pour faire comprendre le concept mais les gens ont très vite accroché.

Je pense qu’on a été parmi les premiers phénomènes Youtube dans le rap. Quand on est arrivés, on était avec des gars inconnus. Quand on dit que Nekfeu était un inconnu à l’époque, ça fait bizarre, mais quand on l’a recruté il faisait 1.200 vues sur Youtube, je crois. Je pense que Gaïden était probablement le gars le plus connu et il n’était pas connu.

Les RC sont-ils un tremplin pour les artistes ?

A la base oui. Mais ça a un peu changé maintenant car il y a beaucoup d’artistes qui font du battle rap sans forcément faire de musique. Avant, quand Nekfeu, Deen (Burbigo) ou Lunik venaient, c’était pour promouvoir leur musique avant tout. Il y en a pour qui ça a marché, d’autres pour qui ça a moins bien marché.

Après, quand les mecs signent avec des labels ou des gros managers, certains leur interdisent de le faire. Ils pensent que si un adversaire les «tue», ça va desservir leur image. Ce n’est pas vrai d’ailleurs : Nekfeu et Alpha Wann se sont fait humilier au Québec et ça n’a pas changé la carrière de Nekfeu du tout.

Il est toujours au top et toujours excellent. Mais je comprends que les gars ne veulent pas essayer de revenir. Je n’ai pas appelé Nekfeu pour qu’il revienne, je n’ai même pas l’argent pour le payer durant une minute.

Comment sont choisis les participants ?

On fait des recrutements par sons ou vidéos. Et il y a plein de petites ligues qui se sont créées en France et qui recrutent pour nous. Un peu comme les clubs de foot pro, on laisse les autres travailler et on rachète les joueurs. On essaie de quadriller la France et on aide aussi les petites ligues qui ne sont pas affiliées à nous, on leur donne quand même des coups de main, même au Luxembourg. Parfois, j’aide les gens et deux, trois ans après ils ne s’en souviennent plus.

Pouvez-vous vivre du RC ?

Personne ne vit du RC. On est une association et je travaille pour le RC. Moi, je travaille dans l’immobilier, Batsam (un des animateurs) dans les assurances, Stunner (autre présentateur) est commercial. Je gagne super bien ma vie. Donc parfois je vois les RC comme un boulet qui ne me rapporte rien, je le fais vraiment par passion. Ce que je fais en trois jours avec mon boulot, ça mettrait deux ans à me rapporter la même chose avec les RC. Mais je me sens comme un devoir vis-à-vis du public.

Il n’y a pas d’argent à faire mais ce sont des expériences, je reviens en France je suis avec les amis. Ça nous garde un lien. Il y a aussi un gros public. Je me sens redevable de ces gens qui ont toujours été là. C’est aussi pour ça que l’on continue, pour le public, les MC’s. J’ai vraiment failli arrêter il y a deux ans parce que justement, ça ne rapportait pas d’argent. C’est super dur de s’en occuper, c’est à temps plein.

Il faut aussi gérer les crises d’ego. Les annulations ça me fait chier (sic). Les artistes qui annulent juste deux jours avant la mise en place de la billetterie... Quand ton «main event» (battle principal de la soirée) te dis qu’il ne vient plus…

Si tu me donnes des cacahuètes, je vais te parler comme un singeDony S

Même avec les millions de vues sur Youtube ?

Les gens pensent que des millions de vues, c’est des millions d’euros, qu’on est riche avec le RC. Mais c’est des carottes ces conneries (sic). De toutes façons, on est démonétisés par Youtube à cause des «grossièretés» et des attaques dites «racistes». Pourtant, c’était une source de revenus qui nous permettait d’aller d’un événement à l’autre sans être dans le rouge.

Pourtant, vos vidéos mises en ligne sont maintenant payantes, dans un premier temps…

On met des vidéos payantes car on a été démonétisés et on essaie de trouver un show à Paris à 25 balles. Un show qui commence à 17h et qui termine à 23h avec 18 artistes - 25 balles ce n'est rien ! Nous, on a voulu garder ce truc-là très familial. C’est pour ça que pour moi, je ne me prends pas pour une star.

Mais vas essayer de trouver un événement de rap où le public peut fumer une clope avec les artistes, parler avec eux, rigoler, prendre une photo etc… Moi, je vais voir les gens dans la file, je leur dis bonjour. Alors oui, on ne fait pas d’argent mais on s’amuse. (Là un passant le reconnait : «Oh Dony S ! T’es un tueur mon pote !)

Il y a des gens qui veulent en vivre, en devenant, youtubeur, influenceur… vendre du vide ça ne m’intéresse pas. Je suis un gars qui organise des événements et qui fait un des derniers événements, qui marche, vraiment hip hop en France.

Avez-vous été contacté par des chaînes de télé ?

Oui mais le problème c’est qu’elles voulaient trop contrôler. Certaines voulaient que les MC’s viennent gratuitement, et proposaient de juste les défrayer. C’était une grosse chaîne. Elle voulait faire de l’argent sur le dos des artistes sans les payer. Moi, je n’ai pas d’argent pour les payer. Mais qu’un des plus gros groupes de médias d’Europe ne veuille pas payer, c’est non directement. Une autre chaîne voulait qu’on produise tout et qu’ils nous diffusent gratuitement.

Si tu me donnes des cacahuètes, je vais te parler comme un singe. Les seuls qui pourraient nous proposer un truc correct c’est Netflix. Qu’ils lisent l’interview et nous contactent.

Quel rappeur aurait pu faire les RC ?

Alkapote a annulé au dernier moment. C’était avant qu’il fasse «Les marches de l’empereur» (2017). C’est un de mes rappeurs préférés donc s’il veut revenir clasher ou juger c’est quand il veut. Tout Montréal connait Alkapote car je l’écoute à fond dans la voiture l’été. Sinik aussi. Ça a été annulé au dernier moment pour aller sur Skyrock.

Quels sont maintenant les objectifs ?

Grâce aux vidéos à la demande, on peut faire beaucoup plus d’événements. Avant, on était sur un événement tous les ans. Là, en 2019, on va être sur trois événements. À partir du moment où on fait un truc payant, il y a plus d’événements, ça veut vraiment dire que l’argent est injecté dans les événements. Sinon on se mettrait l’argent dans les poches et on resterait sur une édition par an. 

Les gens ne se rendent pas compte. On doit payer des assurances, la sécu de la salle, notre sécu à nous, les frais bancaires, le management... Les vidéos ce n’est pas gratuit non plus. Les salles dans Paris même, ça coûte de l’argent. Quant au bar, c’est la salle qui prend l’argent. Peut-être que moins de gens regardent mais notre public de base est énorme. Ce sont des fidèles.

Vous voyez-vous arrêter ?

Mon modèle c’est Steinfield. C’est la plus grosse série comique américaine (9 saisons commencée dans les années 1980). C’est une série qui ne parle de rien. Il a toujours dit, «on s’arrêtera avant de faire la saison de trop». Nous, c’est exactement pareil. Si je vois que ça ne se renouvelle pas et qu’on ne prend plus de plaisir, on arrêtera. On veut finir en feu d’artifice. On y va au jour le jour.

À suivre aussi

Ailleurs sur le web

Dernières actualités