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Leila Sy et Kery James : «un banlieusard est capable de transformer les inconvénients en avantages»

Les deux réalisateurs sortent leur tout premier film.[Saïd El Abadi]

C’est l’un des films les plus attendus de cet automne. A l’occasion de la sortie de Banlieusards, qui sera disponible sur Netflix à partir de samedi, CNews a rencontré les réalisateurs Leila Sy et Kery James. Au programme : ciné, banlieue, rap, solidarité et… lessive.

Onze années après la sortie du titre Banlieusards, qui faisait référence à la fierté d’être issue de la banlieue malgré son image dégradée, le rappeur co-réalise le film, issu notamment de la pièce de théâtre A vif, sortie en 2016.

L’histoire suit trois frères de la banlieue parisienne. Le premier, Demba (incarné par Kery James), est trafiquant, le deuxième, Soulaymaan (Jammeh Diangana) est un brillant étudiant en droit et le troisième encore élève au collège (Bakary Diombera).

On attend souvent la critique des spectateurs, des spécialistes, des médias pour la sortie d’un film… mais vous, que pensez-vous ?

Leila Sy : Je dirais que l’on est au-dessus de la moyenne mais on pourrait bien mieux faire. En l’occurrence, je fais exprès d’être dure avec nous parce que je sais qu’avec un peu plus de confiance et de conviction, on peut faire encore mieux.

Kery James : J’ajouterais aussi avec un peu plus de temps et de moyens. C’est un film qui a coûté deux millions d’euros. Ce n’est pas une superproduction américaine mais on s’en est sorti je pense. Parce qu’à la fin, ce qu’il reste, c’est de la véracité et de l’émotion.

Depuis quand ce projet de film existe ?

KJ : Ça a commencé il y a 4-5 ans. J’avais d’abord écrit dix phrases. J’avais imaginé que les habitants des quartiers se constituent partie civile et demandent réparation à l’état français. Au début, c’était un véritable procès, c’est devenu un concours d’éloquence jusqu’à devenir une histoire de famille. Et cela nous a pris cinq ans pour y parvenir car nous n’avions aucun diffuseur.

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Le film n’aurait pas existé du coup ?

KJ : S’il n’y avait pas Netflix, je pense que ce film n’aurait pas existé en France. Ça a vraiment failli ne pas se faire. Aucune chaîne, aucun producteur ne nous a ouvert ses portes.

Finalement, c’est une bonne chose que ce soit Netflix ?

KJ : Complètement. Doublé en huit langues, sous-titré en quatorze… le film pourra être vu par tout le monde. On n’a pas besoin d’avoir l’aval des gens du métier du cinéma parce que le public dira directement s’il aime ou pas. Et ça, c’est intéressant pour nous.

La pièce de théâtre n'a eu aucune nomination aux Molières… mais ils m'ont appelé deux semaines avant pour chanterKery James

Un peu comme avec la pièce de théâtre «A Vif»…

KJ : C’est hyper important si je peux avancer sans avoir l’aval des gens du métier. Ce qui m’importe, c’est l’avis du public. La pièce de théâtre a fait 100 000 spectateurs, 162 représentations et elle n’a pas eu une seule nomination aux Molières. Par contre, à deux semaines de l’événement, ils m’ont appelé pour me demander de venir chanter…

Vous sentez que les regards du «métier» changent avec la sortie de ce film ?

KJ : Les lignes commencent à bouger. Le film va faire bouger les choses. Ce sera désormais un peu plus facile de refaire des films. Mais on a déjà des producteurs. Et le second film, on compte le faire avec eux.

LS : … le deuxième ! Lorsque l’on dit «le second», ça veut dire qu’il n’y en aura pas d’autres.

Passer de la réalisation de clip à un film, c’est un grand changement ?

LS : Le clip est l’enfant pauvre de l’image. Mais le clip nous permet de travailler avec énormément de configurations différentes. C’est peut-être ce qui a posé problème d’ailleurs lorsque l’on a essayé de mettre en place et de produire ce film. Il fallait qu’on nous fasse confiance alors que l’on avait fait «que» 60 clips, ce qui n’est pas rien. Si on avait fait de la publicité pour de la lessive, on nous aurait peut-être pris plus au sérieux… Je dirais que pour moi, ça s’inscrit dans la continuité du travail que l’on développe depuis quelques années ensemble.

C’était une évidence de réaliser ce film ensemble…

LS : C’est le premier qui m’a accordé sa confiance pour réaliser un clip vidéo avec «Le combat continue part 3». C’est le premier qui me permet de réaliser mon rêve en passant derrière la caméra pour une fiction. J’ai pris cet objectif avec la même détermination et le même souci du détail que lorsque je réalise un clip vidéo. Pour moi, ça signifie être toujours à 100% et donner le meilleur de soi. J’ai énormément appris et c’est pour ça que je suis dure avec nous parce que je sais que de cet apprentissage on pourra en tirer beaucoup et c’est ce qui est beau dans cette aventure.

Il a fallu s’accrocher pour sortir Banlieusards…

LS : On a eu des moments très douloureux, très difficiles avec tous ces refus mais malgré tout on s’est relevé. Outre l’histoire qui est développée dans le film, il y a aussi notre histoire à Kery et moi. Celle que l’on a vécu avec la réalisation de ce film qui montre que dans la vie, il ne faut jamais baisser les bras pour se relever et croire en ses rêves. Parce que c’est possible, et j’espère que c’est ce qui ressort de ce film. On veut transmettre cette envie de faire des choses ensemble, de mettre en lumière cette France qui est si belle par sa diversité.

Si l'on avait fait de la publicité pour de la lessive, on nous aurait peut-être pris plus au sérieuxLeila Sy

Comment définit-on un banlieusard ?

KJ : C’est une personne capable de transformer les inconvénients en avantages. Un banlieusard, c’est quelqu’un de solidaire. C’est aussi quelqu’un capable de rebondir après avoir tout gâché en un instant. Moi, cette capacité de tout gâcher, je m’en suis servi pour me reprendre. Ceux qui n’ont pas vécu ce que l’on a vécu, ne seront pas capables de ça.

Est-ce plus facile de faire passer un message en musique ou en film ?

KJ : Je ne sais pas encore car c’est notre premier film. Mais l’impact du cinéma est très important… Les Américains, par exemple, l’utilisent comme un outil de propagande. A une époque, les Russes étaient les méchants, aujourd’hui ce sont les musulmans. Donc forcément, le grand écran est marquant dans l’esprit que ce soit en bon ou en mauvais malheureusement.

LS : Je crois que la forme dans la musique peut empêcher d’être sensible à certains propos, de prêter une oreille attentive, parce qu’une personne peut ne pas aimer pas la rythmique alors que le cinéma a une plus large possibilité. La forme du cinéma tout le monde l’apprécie. C’est toujours agréable de passer un bon moment dans une salle obscure ou encore dans son lit avec Netflix.

C’est pour ça que le rap est parfois mal compris ?

LS : Parfois, il y a des messages comme dans «Racailles !» de Kery, qui allaient beaucoup plus loin et qui n’ont pas été entendu comme il fallait parce que la forme pouvait bloquer certains auditeurs. Aujourd’hui, son message est toujours le même mais il va sûrement être plus audible. Certaines personnes qui ne l’ont pas suivi en tant que rappeur vont le suivre en tant que scénariste et réalisateur.

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Banlieusards, c’est aussi une façon de traiter un sujet par des gens qui connaissent le sujet ?

KJ : C’est l’histoire d’une famille de banlieue. En banlieue. Et nous, la banlieue, on la connait vraiment. Le film a aussi quelque chose de hip hop. Leila connait le hip hop, elle a baigné dedans. Donc le film a quelque chose d’authentique par rapport à d’autres réalisations qui ont prétendu connaitre le thème. D’ailleurs, parmi les choses les plus dures à jouer dans ce genre de film, ce sont les mecs de banlieue. Parce que déjà dans la vraie vie, les mecs de banlieue jouent un rôle. Donc jouer un mec qui joue un rôle, c’est archi complexe.

LS : C’est ce qui nous a touché dans le personnage de Soulaymaan (joué par Jammeh Diangana). Il est aussi brillant lorsqu’il interprète ce concours d’éloquence que lorsqu’il marche dans le quartier. C’est un «ghetto boy». J’ai toujours été fascinée par ces personnages. Je tente de les mettre en lumière avec tout le respect qu’ils méritent sans tomber dans le cliché car quand on parle de la banlieue, en général, il faudrait que ce soit une image documentarisée… Ici, on a essayé de faire de la belle image, de respecter les gens, de les mettre en lumière avec toute la beauté de ces personnages.

Sur Twitter, quand la bande annonce est sortie, beaucoup ont dit que c’était encore un film «cliché»…

LS : Déjà je ne suis pas sur Twitter, je préfère Instagram… Mais plus sérieusement, c’est contre ce type d’idée que l’on se bat. Ça suffit. En France il faut arrêter. Il faut qu’on réussisse à se soutenir les uns les autres plutôt que d’être sans cesse dans la critique. Il faut faire corps, il faut enfin réussir à construire quelque chose ensemble et aller de l’avant et se réjouir lorsque des gens réussissent à monter une marche parce que ça n’a pas été facile. Ce que j’ai envie de dire : avant de parler, allez voir le film. Et après, on discute.

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