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Pénélope Bagieu à propos de «Sacrées Sorcières» (Gallimard) : «je place très haut la littérature pour les enfants»

Pénélope Bagieu publie «Sacrées sorcières» chez Gallimard, adaptation libre et très (très) réussie d'un des chefs d'oeuvres de Roald Dahl. L'occasion de rencontrer l'une des plus célèbres dessinatrices de BD de France.

Comment est né votre désir d’écrire pour les enfants ? Est-ce qu'il est antérieur à l’idée d’adapter Roald Dahl ?

Non, avant d’adapter Roald Dahl, j'avais une crainte énorme d’écrire pour les enfants, avec surtout beaucoup d’intimidation. En fait, je place très haut la littérature pour enfants car ces livres peuvent, esthétiquement, être très réussis. Côté écriture, ne pas prendre les enfants pour des débiles reste une véritable prouesse comme celle de parvenir à ne pas écrire pour les parents, avec second degré et «private jokes» agaçantes. Donc écrire pour les enfants me paraissait au-dessus de mes forces. Avec l'adaptation de «Sacrées sorcières», quelle merveilleuse occasion que de s’appuyer sur une histoire 100 % validée. Je n’ai pas eu à me poser des questions sur l’écriture.

En fait, on m'a proposé d'adapter un roman de Roald Dahl au choix, avec un petit penchant pour «Matilda». Même si j'aime beaucoup «Matilda», j’étais certaine de vouloir faire «Sacrées sorcières» car je trouve que ce livre est une BD toute trouvée : il réunit de l’action, des côtés hyper visuels, assez spectaculaires et en même temps, il a quelque chose de très farce.

«Sacrées sorcières» est votre Roald Dahl préféré ?

Oui. J’adore Roald Dahl en général, notamment «La potion magique de Georges Bouillon» ou «Matilda» mais «Sacrées sorcières» est celui qui m’a traumatisé complètement. Je passe désormais le flambeau de mon «trauma» !

Et les illustrations de Quentin Blake sont peut-être un peu moins présentes que dans les autres…

Elles sont assez neutres surtout. Le garçon, on le voit à peine, il n’a même pas de nom, il sert juste à être le narrateur. Je me souviens de la grand-mère : c'est en fait celle de Roald Dahl : massive, grande. C’était sûr que je n’allais pas dessiner cette grand-mère comme il la décrit. Et puis, les illustrations de Blake sont parfaites, c’est un binôme, ça n’avait pas de sens de refaire des illustrations. Enfin, je voulais réécrire un peu à ma façon.

Il y a quelque chose d'intemporel dans la peur des sorcières...

D'autant plus que ces sorcières ne sont pas celles que l'on voit d'habitude. Elles n’ont pas le nez crochu, le chapeau et le balai. Ici, ce sont des créatures maléfiques qui prennent l’apparence de dames pour duper les enfants et les exterminer. C’est leur obsession. C’est pour ça qu’elles m’ont fait peur. C’est assez terrifiant et ça, ça ne vieillit pas. La sorcière du début de la BD, au pied de l’arbre est peut-être la plus terrorisante. Car à quelques détails près, elle ressemble vraiment à une dame. Une sorcière peut ressembler à n’importe qui : la maitresse, la caissière du supermarché… C’est ça qui est terrifiant quand on est enfant.

J’ai une capsule temporelle très efficace pour me remettre dans ma peau de petite fille de 8 ansPénélope Bagieu

Quelles ont été les difficultés pour adapter le livre de Roald Dahl ?

Il y a eu tout un tas de difficultés légales mais ça, je ne m'en suis pas occupé ! J'avais peur d’être intimidée par la tache mais pas du tout, j’avais tout le temps hâte de dessiner. Et un peu plus à partir de la moitié du livre, car il y a de véritables défis de dessin : le point de vue est celui d’une souris donc l’échelle change complètement. Quand on fait une BD, il faut qu’on joue toutes les scènes intérieurement. Là, j'ai du me mettre dans la peau d'une souris, imaginer comment je ferais si je devais ouvrir une poubelle ou tenir une potion.

Etait-ce difficile de se remettre dans la peau d'un enfant ?

J’ai une capsule temporelle très efficace pour me remettre dans ma peau de petite fille de 8 ans. Je me souviens de ce qui me rassurait, ce qui m’effrayait, ce qui était drôle. Quant à l’apparence des personnages, je savais exactement à quoi je voulais les faire ressembler. J’ai juste testé plusieurs têtes pour la «grandissime sorcière» car je voulais qu’elle fasse vraiment peur.

La grand-mère est truculente loin des archétypes de la sage mamie mais elle fait aussi partie de ces grands-mères qu'on aime aimer. Qu’est-ce qui vous a poussé à la dessiner comme ça ?

Chez Roald Dahl, elle fume des cigares tout le temps et est assez cool au niveau des bains du petit garçon. Elle se montre très transgressive mais réconfortante. La mienne ressemblait plus à la grand-mère de la BD : un peu à la marge, avec des côtés un peu «barrés» avec tout un folklore autour de la religion. Elle me rassurait tellement, avait plein de bagues et la peau fripée à cause d’avoir trop pris le soleil, elle mettait trop de parfum et avait un certain goût pour le mélange des imprimés, je lui dois mon amour pour le léopard !

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© Pénélope Bagieu / Gallimard

Mais pourtant, quand j’étais avec elle, c’était pareil, j’avais l’impression que rien ne pouvait m’arriver. C’était très facile de la dessiner. J’ai vraiment l’impression d’avoir passé un an avec elle, de la faire parler comme la mienne parlait, c’était réconfortant. Me replonger dans mes 8 ans faisait partie de l’expérience.

Je dois mon amour du léopard à ma grand-mèrePénélope Bagieu

Les parents de la copine du petit garçon, eux, sont moins cools…

Dans le roman, ils sont bien pires. Les parents rejettent leur enfant une fois qu’il a été transformé. C’était peut-être ce qui me faisait le plus de peine, et donc c’était important pour moi qu’on ne fasse pas le pire truc qu’on puisse te faire quand on est enfant : ne plus t’aimer si tu as changé. Selon Luke Kelly, le petit fils de Roald Dahl, ce qui est rassurant dans ce livre, est le fait qu’on aimera toujours les enfants quelle que soit leur apparence.

Est-ce la morale de «Sacrées sorcières» ?

En tout cas, je pense que c’est le thème transversal. Mais il y a aussi un autre sujet sous-jacent : expliquer aux enfants que tous les adultes ne sont pas gentils et que les gentils ne gagnent pas toujours à la fin. Mais c’est le thème des livres de Roald Dahl en général : la vie peut être cruelle.

Quelle est la place de Sacrées sorcières dans votre bibliographie ? Vous auriez pu l’écrire il y a dix ans ?

On ne me l’aurait pas proposé il y a dix ans. Et puis j’aurais eu un syndrôme de l’imposteur trop fort, persuadée de ne pas y arriver, de forcément décevoir. Aujourd’hui ça m’a plus excité qu’intimidé. Maintenant, je peux surmonter le fait de décevoir et j’ai surtout vu à quel point ça allait être une aventure formidable car c’était fait sincèrement.

Pourquoi selon vous, les éditions Gallimard ont-elles pensé à vous alors que vous n'aviez jamais écrit pour la jeunesse ?

Ça s’est fait en deux temps. En fait, ce sont les héritiers de Roald Dahl qui ont pensé à Gallimard en se disant que de tous leurs éditeurs dans le monde, c’est Gallimard qui fait de la BD et plus généralement que c’est la France qui fait de la BD. Ce qui est cool ! Il faudrait ensuite demander à Gallimard pourquoi ils ont pensé à moi, même si mon éditeur sait bien que j'adore Roald Dahl. Je pense que c’est tout de même un vrai pari de leur part car je n’avais jamais fait de jeunesse.

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© Pénélope Bagieu / Gallimard

Beaucoup vous assimile encore à la catégorie «BD de filles», vous en avez marre ?

Heureusement, les éditeurs ne surfent plus là-dessus. Il y a quelques années, on parlait d' «être une fille dans la BD», aujourd’hui, je trouve que ça s’est transformé. Mais ce n'est pas forcément mieux : car tout est bon pour contourner le véritable propos des BD faites par les filles. Ce serait super qu’on trouve le moyen de juste parler de leurs livres. On est passé des «filles dans la BD» à «les femmes prennent le pouvoir dans la BD». D'ailleurs, ça m’a énervé les quelques réactions – heureusement pas majoritaires – à propos de la nomination de Catherine Meurisse pour le Grand Prix d'Angoulême alors qu’elle a une œuvre extraordinaire.

Est-ce que vous avez la sensation qu’on vous ramène encore tout le temps au fait que vous soyez une femme ?

Non, je n’ai plus cette sensation. Mais on a parfois envie de trouver un lien dans mes livres autour de la féminité. Mais si je choisis des personnages féminins, c’est peut-être que c’est ma vie ! Les femmes parlent de personnages féminins et ce n’est pas une volonté militante. Tous les livres devraient être féministes. Ce n’est pas un genre comme la science-fiction. Je n’ai pas de message, je ne suis pas une chef de file.

Vous êtes hyper populaire sur les réseaux sociaux désormais. Vous ne souhaitez pas écrire de la BD sur les réseaux sociaux ?

Je trouve qu’Instagram a pris le relais sur les blogs pour la BD et c’est beaucoup moins libre. Un blog, c’est un peu chez toi, tu y fais ce que tu veux. Sur Instagram, le format est figé, sans compter la censure au cas où tu veuilles dessiner un bout de sein. De mon côté, j’alterne entre finir mes livres dans les temps et la volonté de ne plus jamais dessiner. Je ne suis pas contre dessiner sur les réseaux sociaux mais j'ai du mal à imaginer trouver le temps. Parfois, je fais des dessins qui ne servent à rien. Dans ce cas là, j’aime bien les montrer. Sur Instagram, je poste plutôt des trucs que j’aime bien, et Twitter me sert à m’énerver, ou annoncer des dates de dédicace.

Avez-vous des projets ?

Aucun. Je ne peux pas réfléchir en ce moment mais a priori, j'aimerais faire quelque chose qui n’a rien à voir : pas d’adaptation, pas de biographie... même pas de femme ! (Rires)

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«Sacrées Sorcières» de Pénélope Bagieu, Gallimard Jeunesse, 23,90€.

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