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«Il faut un plan d'ensemble de relance de la filière livre», estime Fabrice Piault, rédacteur en chef de Livres Hebdo

Le rédacteur en chef de Livres hebdo Fabrice Pïault s'inquiète du manque de perspectives offertes au secteur du livre.[© Olivier Dion/LivresHebdo]

Le magazine Livres Hebdo lance #TousEnLibrairie, afin d'inciter le public à retourner acheter des livres lors du déconfinement, mais aussi lancer un message fort à l'executif pour qu'il soutienne l'ensemble de la chaîne du Livre en grande souffrance.

Leïla Slimani, Marc Levy ou encore le dessinateur Jul... Plusieurs auteurs reconnus se sont d'ores et déjà associés au mouvement #TousEnLibrairie lancé par Livres Hebdo, afin que le retour des lecteurs dans ces lieux puisse relancer la filière et «remettre le livre sur le devant de la scène».

Alors qu'Emmanuel Macron a lancé des pistes de réflexion ce jeudi 5 mai 2020 sur un plan pour la Culture à venir, Fabrice Piault, rédacteur en chef de Livres Hebdo, nous a expliqué pourquoi il faut sauver le secteur du livre, resté quelque peu dans l'ombre de son allocution à la télévision.

Votre projet #TousEnLibrairie est un message fort au moment même où Emmanuel Macron rencontre le monde de la Culture. Le monde du livre est-il particulièrement en danger depuis le confinement ?

Oui, il l'est. Pendant le confinement, du fait de la fermeture des librairies et des grandes surfaces culturelles, les ventes de livres ont chuté des deux tiers. Chez les éditeurs, qui n'ont pas pu écouler leurs parutions de fin février et début mars et qui ont dû totalement interrompre le lancement de leurs nouveautés depuis, l'activité s'est presque complètement arrêtée pendant deux mois. Cela a aussi des conséquences graves sur les revenus des auteurs. Sur l'année complète, les éditeurs estiment la chute du chiffre d'affaires entre 20 et 30%, et parfois beaucoup plus dans certains secteurs comme celui des guides de voyage. Cela fragilise toute la profession, et singulièrement les petits éditeurs, dont beaucoup sont menacés dans leur existence même.

La situation est plus inquiétante encore pour les librairies, véritable poumon économique du secteur. Après deux mois à l'arrêt, elles sont exsangues. Le succès de leur redémarrage après le 11 mai, compliqué par les conditions du déconfinement, repose sur la mobilisation des lecteurs et plus largement des citoyens. C'est le sens de la campagne #TousEnLibrairie lancée par Livres Hebdo. Des auteurs renommés ont accepté immédiatement de s'y engager et de la porter, tels Maylis de Kerangal, Jul, Leïla Slimani, Marc Lévy, Nina Bouraoui, Nicolas Mathieu, Aurélie Valognes et Michel Bussi. Nous leurs en sommes profondément reconnaissants.

Cette crise est-elle l’occasion d’un changement dans notre manière de « consommer » la lecture ?

Il est encore un peu tôt pour le dire. Pendant le confinement, la consommation de livres numériques, qui restait très marginale en France, a explosé. La consommation de livres audio téléchargés a également très fortement augmenté. Mais les attentes vis-à-vis du livre «physique», du contact et des conseils du libraire, des rencontres en librairie avec les auteurs, sont loin d'avoir faibli, au contraire. Au point que des centaines de librairies se sont lancées ces dernières semaines dans des initiatives de vente à emporter, ou «click & collect», qui rencontrent un très grand succès et que Livres Hebdo a répertorié dans une carte accessible en ligne. Reste à savoir si les librairies, structurellement fragiles et profondément ébranlées par la crise, seront en mesure de subsister demain pour répondre à ces attentes.

L'ensemble du monde de la Culture est aujourd'hui sinistréFabrice Piault

Dans son discours, Emmanuel Macron a eu peu de mots concernant le monde du livre. Êtes-vous déçu ? Vous vous y attendiez ?

Non, je ne m'y attendais pas, et, oui, je suis déçu. L'ensemble du monde de la culture est aujourd'hui sinistré. Il a besoin d'un plan de soutien global dans lequel le livre doit avoir toute sa place. Faut-il rappeler qu'il constitue la première industrie culturelle, loin devant le cinéma ? Il innerve aussi les autres secteurs à travers les adaptations au cinéma, à la télévision ou au théâtre. Et les librairies, qui déploient de multiples liens avec les autres institutions culturelles comme les théâtres, les musées ou les cinémas, constituent le réseau culturel de proximité par excellence. Les festivals et salons du livre jouent également un rôle essentiel à la diffusion culturelle sur tout le territoire.

Existent-ils des secteurs de la chaîne du livre plus en danger que les autres ?

La librairie est clairement le maillon le plus fragile. Si elle est affaiblie et si certaines librairies disparaissent, notamment dans des villes petites ou moyennes, toute la chaîne sera très profondément affectée, qu'ils s'agissent des auteurs, des éditeurs, des festivals et salons ou des bibliothèques. Mais je suis aussi inquiet de toutes les contraintes qui, au-delà des mesures sanitaires indispensables, sont imposées aux bibliothèques, risquant d'empêcher leurs réouverture pendant de longues semaines. Il est aussi très important pour l'écosystème du livre que les établissements de lecture publique puissent jouer leur rôle, a minima en assurant le prêt de livres dans le cadre de dispositifs de commandes à emporter.

Si vous pouviez faire des propositions au ministre de la Culture Franck Riester, quelles seraient-elles ?

En l'état actuel des déclarations, il me semble qu'il manque deux dispositions majeures. D'une part, des aides aux entreprises les plus fragiles qui ne consistent pas seulement en reports d'échéances et en prêts, que ces entreprises ne pourront jamais rembourser dans le contexte actuel, mais en apports directs en trésorerie. D'autre part, au-delà des mesures d'urgence, un plan d'ensemble de relance de la filière livre, qui passe autant par des mesures économiques et fiscales que par un soutien à la lecture sous diverses formes, et qui mobilise au côté des professions du livre non seulement les services de l'Etat, mais aussi les régions, l'ensemble des collectivités locales ou encore les médias.

Envisagez-vous déjà une suite à #TousEnLibrairie?

Nous souhaitons d'abord que cette campagne, ce mouvement #TousEnLibrairie prenne de l'ampleur, qu'il s'étende, qu'il mobilise très largement les auteurs et les lecteurs comme les éditeurs, les bibliothécaires, évidemment les libraires eux-mêmes et tous les amoureux du livre. Aussi allons-nous, pendant les semaines qui viennent, nous attacher à le nourrir et à le consolider.

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