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Patrice Leconte : «Si l'on reste à écrire sans bouger, on se transforme vite en huître»

Patrice Leconte revient à la BD avec «Deux passantes dans la nuit» chez Bamboo. Patrice Leconte revient à la BD avec «Deux passantes dans la nuit» chez Bamboo. [© Claire Garate]

Co-scénariste de «Deux passantes dans la nuit» (Bamboo) avec son complice de cinéma Jérôme Tonnerre et Alexandre Coutelis au dessin, Patrice Leconte publie également «Faites la tête» (Flammarion). Discussion à bâtons rompus autour de la BD, du dessin, du cinéma, des séries… et du vélo.

Vous aviez confié que la BD et vous c’était fini. Un changement de cap ?

J’ai fait de la BD avec grand bonheur entre 1970 et 1975 pour le magazine Pilote, mais ma réelle ambition était de faire des films. A l’origine de «Deux passantes dans la nuit», Jérôme Tonnerre et moi-même voulions d’ailleurs tourner un film mais assez vite, je me suis dit qu’on courait après quelque chose d’impossible. La décision de faire une BD nous a d’ailleurs donné des ailes de liberté. En BD, rien ne nous arrête, alors que ça aurait été un vrai casse-tête rien que pour tourner nos scènes de nuit dans un Paris passé.

Est-ce que vous avez quand même tiré un trait sur une adaptation de « Deux passantes dans la nuit» ?

Si un producteur est prêt à tourner cette histoire, on ne va pas se gêner !

L’album n’est pas très bavard et le fait que tout se déroule la nuit est, même pour un dessinateur, un vrai pari.

Oui mais cela laisse la part belle à l’image. Un film n’aurait pas été plus bavard. Concernant la nuit dans ce Paris occupé, il faut savoir qu’il n’y avait même pas de réverbères, que les phares des voitures étaient semi-occultés : je trouve donc qu’Alexandre Coutelis s’en est sorti merveilleusement parce que ce n’est jamais plombé, il y a quand même de la lumière et des couleurs.

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© Coutelis, Leconte, Tonnerre / Bamboo

Comment est venue l’idée du Paris de l’occupation ?

Je ne suis pas très historien dans l’âme. L’idée vient de Jérôme Tonnerre, passionné par cette période. On a convenu assez vite qu’on voulait faire une histoire plutôt stylisée, peu encombrée par les détails. Le fait que ce soit deux héroïnes nous plaisait beaucoup également : j’ai souvent réalisé des films qui racontent des rencontres entre des personnages aux caractères et destinées différentes. Dans ce contexte, j’ai tout de suite pensé à deux filles qui auraient pu ne jamais se rencontrer. L’une très légère, libre dans un Paris occupé, et l’autre traquée et inquiète. Pour aller vite en besogne, on pourrait dire qu’il y a une optimiste et une pessimiste.

On ne peut s’empêcher de penser à un hommage à «La Traversée de Paris»…

Avec le recul, c’est une évidence, j'adore ce film, mais ça ne nous a pas traversé l’esprit lors de l’écriture, du seul fait que ce soit deux jeunes femmes peut-être... Mais il y a une forme de parenté lointaine, certainement.

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© Coutelis, Leconte, Tonnerre / Bamboo

Combien de tomes sont-ils prévus ?

Un deuxième tome est déjà prévu pour le début de l’année prochaine et l’histoire est déjà bouclée. On ne voulait pas attendre trop longtemps. C’est un peu comme pour les adeptes des séries télé, les lecteurs n’aiment pas attendre trop longtemps.

A propos de séries, cela vous intéresserait-il d’en réaliser une pour la télévision ?

Les séries françaises sont souvent très sérieuses, très formatées entre intrigues policières, espionnage, fantastique. A ma connaissance, en ce moment, il y a peu de séries qui dégagent de l’humour et de la légèreté en France, mis à part «Dix pour cent». Quand on m'a proposé de réaliser une série, j’ai donc pensé à quelque chose d’assez léger, à défaut d’être une comédie bidonnante. Le projet, un peu décalé, est en cours et maintenant dans les mains d’Arte.

Vous avez rencontré Alexandre Coutelis à l’époque de Pilote, mais vous n’aviez jamais travaillé ensemble…

Les cinq années que j’ai passées chez Pilote étaient extraordinaires. Les lundis après-midi, avec Goscinny, tout le monde proposait ses sujets, il y avait affluence. Alexandre Coutelis faisait partie de cette équipe. Il n’était pas scénariste, il attendait qu’on lui propose des pages. De mon côté, je dessinais les histoires que je proposais. Je n’ai donc jamais travaillé avec lui. Quand on a eu l’idée de la BD avec Jérôme Tonnerre, je n’ai pas pensé à Coutelis tout de suite mais à Blutch, qui pour moi, est un génie. Blutch n'était pas disponible mais au même moment, j’ai reçu un album de Coutelis : quand j’ai vu ses formidables dessins, j’ai sauté sur mon téléphone.

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© Coutelis, Leconte, Tonnerre / Bamboo

Vous parlez de Blutch. Avez-vous d’autres dessinateurs présents dans votre Panthéon personnel ?

Il est plein à craquer ! Je peux citer Sempé, mais aussi Giraud/Moebius et chez les américains, Steinberg me transporte de joie.

Le cinéma est devenu une affaire très incertaine

Le septième art est dans une position délicate avec ce virus notamment. Est-ce que la BD pourrait-être une seconde vie ?

Ma passion reste le cinéma. Je ne suis pas en train de me recycler. Malheureusement le cinéma est devenu une affaire très incertaine hélas. Quand je constate ça, j’en ai des frissons. Je n’ai rien pu tourner depuis six ans. J’ai le moral quand même et l’énergie mais passer son temps à voir s’annuler les projets est assez décourageant. En février-mars, je vais tourner un Maigret avec Gérard Depardieu. Espérons qu’il se fasse car mes autres projets avortés étaient déjà bien avancés. Depuis mon dernier film, il y a eu quatre réalisations qui se sont annulées.

Même avant le covid, il y avait de quoi s’inquiéter. Il y a beaucoup de films que j’ai fait que je ne pourrais plus tourner aujourd’hui. Si je présentais «Le mari de la coiffeuse» ou «La fille sur le pont» à des producteurs, personne ne voudrait de mes scénarios. Aujourd’hui les films français sont souvent très formatés, notamment pour les comédies. Je ne veux pas tomber dans le détestable «C’était mieux avant» mais c’est vrai que je n’aimerais pas être aujourd’hui un jeune cinéaste. Les réalités du métier sont trop dures.

Vous êtes un brin pessimiste.

Dans les mauvais jours, je me dis que je vais faire ce Maigret, qui va être magnifique je l’espère, puis après j’arrêterai… Ce que je ne ferais pas, évidemment ! Les illusions et les désillusions pour des films qui ne se font pas, c’est à chaque fois très cher payé. Même ce tournage peu onéreux, jouissant d’un casting de rêve avec Gérard Depardieu, peut être compliqué à monter. Il y a tant de choses à imaginer côté cinéma. J’aimerais encore juste tourner un dernier film.

Que feriez-vous si vous deviez arrêter le cinéma ?

J’aimerais vivre toute l’année à la campagne, continuer à faire mes virées à vélo, à assistance électrique depuis peu. Je fais plus de 50 km par jour. Cela me permet de réfléchir, d’oxygéner mon cerveau et de penser mieux aux histoires que j’écris. Si l'on reste à écrire sans bouger, à côté d’une piscine, on se transforme vite en huître.

Vous sortez également «Faites la tête !» chez Flammarion, dans lequel vous dessinez. Finalement, c’est le retour de Patrice Leconte dessinateur ?

C’est la faute de L’imagerie d’Epinal ! Cette vieille institution a été reprise il y a quelques années par des jeunes gens afin de la dépoussiérer. On m’a contacté à ce moment-là pour que je leur fournisse quelques dessins. J’ai eu l’idée de dresser une galerie de têtes et de m’amuser un peu avec une « tête de con », « tête de gland », et puis celles qu’on peut retrouver dans ce livre comme « tête de linotte » ou « tête de clou ». Patrice Margotin, le directeur général de Flammarion, m’a suggéré de raconter un peu qui étaient certaines de ces « têtes ». Je me suis aussi souvenu que quand je lisais des histoires à nos filles, je préférais les inventer plutôt que les lire car les tournures de phrase sont souvent en décalage avec l’esprit des enfants. Donc je me suis amusé à faire quelques textes assez courts, de plain-pied avec les enfants, qui les fassent rire et qui n’ennuient pas les parents.

Le fait que les deux publications soient concomitantes reste un hasard ?

Oui ! D’ailleurs, j'ai aussi un nouveau projet de roman avec les éditions Arthaud. Un projet n’empêche pas un autre.

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«Deux passantes dans la nuit», tome 1 : Arlette, de Patirce Leconte, Jérôme Tonnerre, Alexandre Coutelis, éd. Bamboo, 16,90€.

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Faites la tête ! avec Patrice Leconte, éd. Flammarion, 12€. A partir de 10 ans.

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