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Guy Delisle publie ses Chroniques de jeunesse : «17 ans n'est pas un âge insouciant»

Guy Delisle publie «Chroniques de jeunesse» ce 27 janvier aux éditions Delcourt Guy Delisle publie «Chroniques de jeunesse» ce 27 janvier aux éditions Delcourt. [©Vollmer-Lo / Ed. Delcourt]

Guy Delisle revient avec de nouvelles chroniques. Cette fois, loin de l’Asie ou de Jérusalem - et sans poussette ! - l’auteur plonge dans ses souvenirs de jeunesse au Québec, faisant le grand écart entre job d’été dans une usine de papier et réflexions artistiques. Rencontre avec l'une des figures du reportage en BD.

Qu’est-ce que peut raconter un job d’été ?

Guy Delisle : En premier lieu, j’ai voulu dresser le décor. Quand je pars en voyage, j’aime décrire les ruelles de Jérusalem ou des paysages en Birmanie. Là, j’ai dessiné les tuyaux, les fumées, la chaleur de cette usine. J’y décris au final une période charnière de ma vie. 17 ans, c’est un âge de passage.

Comment avez-vous procédé ?

J’ai repris le même fonctionnement que pour mes autres chroniques. Quand je pars en voyage, je consigne tout dans un carnet. Malgré ma mauvaise mémoire, ces anecdotes se sont finalement bien imprimées dans ma tête, je me souviens même de certaines conversations. Ensuite, je suis retourné sur place pour faire des photos. L’usine n’a pas trop changé si ce n’est qu’il y a beaucoup moins de personnel qui fait tourner les machines, il y a moins de machines aussi et tout le monde porte un casque.

Pourquoi avoir fait le choix d’un travail si difficile (et dangereux) pour l’été ?

Mon père travaillait pour cette usine de papier, même si lui était dans les bureaux. Je n’avais aucune idée du travail que j’allais faire. J’avais rencontré quelqu’un qui s’occupait d’un chariot élévateur et ça avait l’air sympa ! Je ne me rendais pas compte du boulot qui m’attendait. C’était difficile, c’était physique comme travail. Il y avait aussi des histoires d’accidents terribles mais je n’ai jamais rien vu. Mais c’était surtout payant : grâce aux syndicats, on avait le même salaire que des ouvriers qui étaient là toute l’année. 

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© Guy Delisle / éd. Delcourt

Est-ce un documentaire sur le monde de l’usine ou une tranche de vie ?

Quand je parle de Birmanie ou Jérusalem, c’est à travers une photo de moi, à tel moment, dans une ville où je raconte ce que j’ai vu. C’est pareil avec cet album. Je raconte ma vie à l’usine dans le contexte de Québec, de ma jeunesse, de ce qui se passe quand on a cet âge, des débuts de mon parcours artistique avec la découverte de BD. Il y a un peu de tout, c’est pour ça que j’appelle « chroniques » cet album.

Il a fallu que j'ai un socle plus stable pour choisir de ne faire que de la BD

Ecrire sur sa jeunesse est-il plus intimidant que traiter de ses voyages ?

Oui. Parce que là, j’implique ma famille même si on ne la voit pas trop. Si je parle d’abord du travail à l’usine, il fallait que j’explique le contexte familial, mes liens sociaux, ma réalité du moment. Puis, ensuite, le contexte de l’usine. Les deux vont ensemble puisque mon père y travaillait, mais mes relations avec lui étaient quasi-inexistantes. Si je ne l’appelais pas, je ne le voyais pas. C'est en le croisant à l'usine qu'il m'a invité à visiter son bureau. C’était assez passionnant. Ne pas être présent pour un père ne constituait pas un problème à l’époque, c'est assez générationnel en fait. Aujourd’hui, les choses ont bien changé. Mon rapport avec mon fils est différent : les pères peuvent être câlin avec leurs enfants, être proche d’eux. Montrer ici un père si peu présent donne un éclairage à mes autres livres : la poussette dans les chroniques, le «Guide du mauvais père»… Tout ce qui montre ce que je suis devenu, c’est-à-dire l’inverse de mon père dans son rapport à ses enfants.

On parle souvent d’insouciance à 17-20 ans…

17 ans ne m'apparaît pas comme un âge insouciant. Quant à moi, mes parents étaient divorcés, nous étions quatre enfants. On n’avait pas beaucoup d’argent. Je voulais décrocher un travail pour pouvoir payer mes études dans l’animation. C'est une fois que je me suis mis à voyager, travailler, que j'ai pu devenir insouciant. Il a fallu que j’ai un socle plus stable pour choisir de ne faire que de la BD. Mais j’ai pris un tournant très progressif, je ne me suis pas lancé d’un coup.

Les ados ont des côtés très péremptoires, ce qui est une bonne manière d'avancer à cet âge. (...)Aujourd'hui, je suis pétri de doutes.

Le fait que votre fils ait 17 ans vous a-t-il donné envie d’écrire ?

Complètement. Je vois évoluer mon fils et je me demande ce que je faisais au même âge, comment je pensais. Il a des côtés très péremptoires comme tous les ados mais je trouve que c’est une bonne façon d’avancer à cet âge. Alors qu’aujourd’hui je suis pétri de doutes. Je le regarde avec bienveillance et je me regarde de la même manière : comme un jeune garçon dont l'existence est remplie de possibles. Cet âge comporte des côtés angoissants comme exaltants.

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© Guy Delisle / éd. Delcourt

Comment voyez-vous la jeunesse aujourd’hui ?

Elle a peur et je comprends : elle est soumise à un gros stress. Moi, j’ai pu démissionner trois fois de jobs pour voyager. Ce n’était pas les Trente glorieuses mais j’ai eu la chance de ne pas avoir à m’angoisser du manque de travail. Je vois désormais certains jeunes s’agripper à des boulots qui ne leur plaisent pas. C’est dommage.

Ces chroniques sont-elles aussi un hommage à votre Québec natal, vous qui vivez en France depuis très longtemps ?

Oui ça me fait plaisir de revenir à Québec, ma ville maternelle, mais aussi de retrouver le phrasé québécois, et cette usine au milieu de la ville avec en fond, mon père qui a travaillé là-bas. Je vis en France depuis plus longtemps que je n’ai vécu au Québec. Je me sens autant québécois que français. On ne perd pas une culture au profit d’une autre, on s'enrichit juste un peu plus. Maintenant, je me sens toujours un peu en train de voyager et en même temps, je fais partie du décor. Quand je vais à Québec, on m’explique ce qu’est le sirop d’érable, ça me fait sourire.

Amnesty International vous a surnommé « l’anthropologue de la bd ». Êtes-vous d’accord avec ce terme ?

En tout cas, cela me fait plaisir. A un moment, j’ai lu pas mal de livres sur l’anthropologie : cette recherche de petits détails me fascinait. Et l’observation reste vraiment mon truc. Je pratique donc la première partie de ce que fait l’anthropologue mais pour la deuxième partie, je ne veux pas m’imposer en tant que juge, le laisse toute cette liberté au lecteur. Je décris ici par exemple ce gros bonhomme qui était à moitié torse nu toute la journée ou celui qui faisait du culturisme, cette activité me semblait folle alors que pour lui, la BD était un autre monde. C’était chouette de mettre en scène ces deux solitudes qui se rencontraient.

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© Guy Delisle / éd. Delcourt

On vous voit vous éveiller à de nouveaux types de musique, de lectures, de films. Quelles sont les œuvres qui ont compté pour vous ?

Le soir, je regardais ce qui passait à la télé : j’y ai découvert les films de Buñuel ou de Fellini, les films indépendants puis plus tard, la Nouvelle Vague. J’avais aussi envie de montrer qu’à l’époque, il fallait aller chercher le contenu, on n'avait pas Internet. Grâce à la médiathèque, j’ai pu découvrir plein de choses nouvelles et notamment en BD. Après l’école de Marcinelle quand j’étais plus jeune, j’ai pu découvrir les magazines A suivre, Pilote, Métal hurlant et ensuite des oeuvres comme «Silence» de Comès, «Le transperceneige» de Lob et Rochette, tout Gérard Lauzier… Cela m’ouvrait des portes artistiquement et narrativement. Le dessin de José Muñoz a été un choc artistique aussi. En une année, on passe de choses qu’on n’aime pas à des révélations artistiques, comme le trait d’Hugo Pratt que je trouvais très raide lorsque je lisais Pif Gadget et qui m’a passionné plus tard. Aujourd'hui, je reviens encore régulièrement à la lecture des œuvres de José Muñoz qui pour moi, reste l’un des plus grands artistes de cette génération.

C’est à ce moment-là que vous avez su que vous alliez devenir auteur de BD ?

Non. Je n’avais rien à raconter à l’époque. Je ne me disais pas qu’un jour j’en vivrais, surtout dans ce contexte québécois : il y avait à l’époque un magazine de BD qui n’était pas du tout ma tasse de thé, comparé à maintenant, il y a de très belles maisons d’édition au Québec. Je suis arrivé en France, j’ai découvert L’Association, le monde de la BD noir et blanc, la BD indépendante et ça s’est fait. Mais c’est une série de hasards, j’ai été là au bon moment. Un parcours artistique est beaucoup construit de ce genre de choses.

Chroniques de jeunesse, de Guy Delisle, éd. Delcourt, 15,50€. A paraître le 27 janvier 2021

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