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Avec «Les jambes à son cou», Marie Lincourt offre un polar absurde et drôle en temps de Covid

[© Editions Sydney Laurent]

Une farandole de personnages dignes d'un polar noir, un récit mené tambour battant, et de l'humour, beaucoup d'humour... C'est la recette gagnante trouvée par Marie Lincourt pour son dernier roman, «Les jambes à son cou», véritable tourbillon linguistique pensé comme un remède à la morosité ambiante.

Si les éditeurs annoncent désormais eux-mêmes refuser le flot de manuscrits qui viennent témoigner de la vie en temps de pandémie, à l'inverse, le roman de Marie Lincourt, publié aux Editions Sydney Laurent, fait l'effet d'un remède réjouissant. Ici, même le covid est fait pour rire. La journaliste et auteure, déjà, de treize ouvrages, n'élude pas ce drame qui touche le monde entier, mais fait le pari d'en rire.

Avec cette rocambolesque aventure qui trimballe les nombreux protagonistes par monts et par vaux, du bouge le plus sordide au plus luxueux palace, l'auteure tient en haleine les lecteurs sans jamais lui laisser le temps de reprendre son souffle. 

Avant même l'entame du récit, Marie Lincourt annonce ainsi la couleur : à l'instar des romans russes et leur pléiade de personnages, elle pose la longue liste des différents phénomènes qui prendront vie dans cet univers absurde, et nul n'échappe au calembour. Tony, le truand, Voltaire le flic et son adjoint Candide - un certain lapin Zadig est aussi de la partie - le suisse Rousseau, forcément douanier, et son président helvête Jethro de Chok au Lat de Lamark Lindt sont quelques-uns des archétypes savamment revisités que l'on pourra croiser tout au long des 300 pages du roman. 

Une vadrouille revigorante

On l'aura compris, si le genre se veut celui du roman noir, ici pas question de se prendre au sérieux. « La période ne nous fait voir que les choses négatives. Il n'y a pas cinq minutes sans que les infos ne nous assènent en permanence des nouvelles épouvantables. J'avais envie d'offrir un contrepoint à cette morosité ambiante. Puisqu'aucune perspective positive n'est à prévoir, il faut trouver ailleurs les bouffées d'oxygène. Le but de ce nouveau roman est donc avant tout de donner envie de lire et s'amuser. Si les humoristes cartonnent en ce moment, je voulais montrer qu'on peut aussi s'évader et s'amuser en ouvrant un livre», explique Marie Lincourt pour justifier son basculement du récit romanesque vers un genre plus léger, mais pas sans ambition. 

On embarque ainsi dès la première page pour cette croisière en absurdie, en suivant les traces du truand Tony, jamais avide d'entourloupes quand il s'agit de sauver sa peau. Un règlement de compte intitial va l'obliger à prendre «ses jambes à son cou» et s'enfuir. Une fuite qu'il aurait voulu solitaire, mais qui va au contraire rassembler autour de lui un chapelet de personnages, de la prostituée Esmeralda à Dimitri, parrain de la mafia russe, en passant par un duo d'inspecteurs qui feraient passer les Dupond et Dupont pour des génies. Telle une pelotte de laine qui se déroule à vitesse grand V, les péripéties s'enchaînent sans temps mort et viennent sans cesse contrecarrer les plans et ambitions des héros.

«Tous les personnages sont inventés, et sortis de mon imagination. Je les voyais d'abord physiquement avant de les coucher sur papier», explique Marie Lincourt, avant d'ajouter : «J'ai choisi le genre du polar, mais j'avais envie d'aller aussi dans une autre dimension de l'imaginaire, avec un récit absurde, déjanté». 

Célébrer la richesse de la langue

Avec ces Tontons flingueurs qui auraient rencontrés les Pieds nickelés, le ton fait immanquablement penser à Frédéric Dard, orfèvre en la matière avec son icône San Antonio. Une référence revendiquée par l'auteure, mais surtout pour son talent à sublimer la langue française et ses expressions.

«Longtemps, les San Antonio ont été dénigrés, à cause de leur vocabulaire très cru. Il était pourtant d'une richesse rare et faisait vivre tout un champ lexical qu'on ne retrouve plus dans le roman français. C'est ce que j'ai voulu perpétuer avec mon livre. Du titre à la dernière page, j'utilise volontairement une foule d'expressions toutes faites, que je détourne, ou prends au pied de la lettre pour mettre en exergue la grande imagination de notre langue», précise l'auteure de «La petite fille dans le placard.» 

«A chaque personnage de mon roman correspond donc un type d'expression, un champ lexical particulier. Je me suis replongé dans l'origine de beaucoup d'entres elles, que l'on utilise tout le temps sans plus y faire attention, comme celle qui a donné son titre au livre. A l'origine, "prendre ses jambes à son cou" signifiait tout simplement partir en voyage, puis a dérivé vers l'idée de se dépêcher. C'est justement ce qui arrive à mes héros dans le roman.» Véritable fil conducteur de l'aventure, la langue française et ses détours surprenant justifient à eux seuls la lecture de l'ouvrage, loin d'une langue qui a parfois été rongée jusqu'à l'os dans l'autofiction, courant dominant de la littérature française de ces dernières années.

«Le Français reste une langue très vivante. Si dans l'Hexagone on peut avoir souvent l'impression qu'il se désseche, il est en permancence revitalisé par son évolution chez les francophones. C'est pour montrer cette formidable diversité que j'ai placé dans mon livre des personnages canadiens ou suisses, pour battre en brèche l'idée que l'on perd les racines de la langue française, qui ne correspond pas à l'idée d'une langue vivante», ajoute Marie Lincourt.

Véritable remède à la morosité ambiante, «Les jambes à son cou» se lit d'une traite, et saura satisfaire les amoureux de la langue comme les adeptes de récit choral, voir de théâtre à la Feydeau avec ces dialogues qui fusent et ce rythme tourbillonnant.

Les jambes à son cou, de Marie Lincourt, ed. Sydney Laurent, 300 p., 19,90€. Disponible sur les plates-formes de vente en ligne Amazon, Fanc et Cultura.

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