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«D'amour et de guerre», un vibrant hommage aux tirailleurs algériens de la Seconde Guerre mondiale

[DR]

Dans son roman, Akli Tadjer met en lumière un pan méconnu de l’Histoire : l’enrôlement dans l’armée française de milliers d’hommes algériens pour combattre l’Allemagne nazie. De l’apprentissage à la désillusion, un récit touchant, empreint d’humanité, qui interroge la mémoire collective et la transmission.

Dans le village de Bousoulem, au cœur des montagnes de Kabylie, les soubresauts de la politique française semblent lointains. Adam, jeune berger, n’a d’yeux que pour sa Zina, « la plus jolie des princesses » à qui il rêve d’offrir un nid d’amour à sa mesure. Enrôlé de force en 1939, il traverse la Méditerranée pour défendre, aux côtés des colons, un pays qu’il ne connaît pas et dont il méprise la domination. Il combat à Verdun avant d’être fait prisonnier par les Allemands et envoyé dans un camp de travail. « La France était battue et nous, les soldats des colonies, étions les laissés-pour-compte de ce conflit », lui explique alors l’ennemi.

Là-bas, Adam survit grâce à l’amitié de ses compagnons d’infortune, Tarik et Samuel, mais surtout à sa passion pour Zina. Dans un carnet rouge, il couche son amour au fil des pages comme une balise dans le chaos. Puis il gagne Paris occupé. Au sortir de la guerre : ses rêves de jeunesse ne sont plus qu’un souvenir.

Un récit tout en nuances 

Akli Tadjer est un conteur de talent. A travers le parcours d’Adam, il livre un récit tout en nuances sur la France coloniale. Dans le village natal du jeune berger, se mêlent des personnages hauts en couleur. Tante Safia raconte les derniers potins de la rue et sent poindre le malheur : « Y a rien à redire, il est très beau ce monsieur Hitler, mais je sens qu’il va nous apporter la catastrophe. Une plus grande que la dernière fois ». Slimane, « un vieux soldat à moitié fou que l’on surnommait 14-18 », lui, chante continuellement « Colonisé, t’es né pour en baver… ». Ici la reconnaissance envers les « roumis », les Européens, le dispute à l’amertume.

Certaines scènes, tels des tableaux, touchent par leur justesse et l’émotion qui s’en dégage. La lente déchéance du père d’Adam, ancien combattant de la Première Guerre mondiale, est de celles-là. Devenu fou, il ressasse ses faits d’armes « là-bas, dans la vraie France ». Pas un seul représentant de l’Etat ne se déplacera à son enterrement. « En jetant la dernière pelletée de terre sur le cadavre mutilé de mon père, je m’étais juré de ne jamais tomber pour la France ». Puissance écrasante ou mère nourricière ? Cette France, c’est aussi Monsieur Grandjean qui l’incarne. Devant la détermination d’Adam, l’instituteur de Bousoulem, lui apprend le français en dehors de l’école et le réconforte : « Ne perds pas de temps avec ces sornettes. Sang pur, sang impur, ça n’existe pas ». Un lien indéfectible se crée entre eux, bien au-delà de la guerre.

Un récit d'exil

L’identité fragile, bientôt bouleversée par l’exil. Un thème cher à Akli Tadjer, qu’il aborde avec une grande sensibilité. Où est notre place ? Quelle est celle d’Adam, berger dans une France coloniale, puis soldat malgré lui ? Voilà que sur le champ de bataille, l’armée valorise ses combattants enrôlés de force, « ses fils de l’Armée d’Afrique », et saura « récompenser les plus valeureux ». Face aux obstacles, les amitiés, espoirs et valeurs se muent en repères. Il y a ce que l’on gagne et ce que l’on perd à l’issue de ce déracinement. Reste à savoir si l’exil prend seulement fin un jour.

« Je n’avais même pas idée de ce à quoi pouvait ressembler un Allemand quand je suis parti de mon village. Si je meurs demain, pour quoi serai-je mort ? » L’auteur retrace également la quête de sens du combat et de la mémoire des soldats tombés pour la patrie. Quel souvenir la France gardera-t-elle d’eux ? Et que retiendront les générations suivantes ? Le récit et les mots semblent apporter l’ultime consolation. La découverte de la langue française, grâce à un petit dictionnaire, offre à Adam un refuge inespéré. Cette même langue qui lui permettra d’écrire à Zina dans son carnet rouge tout au long de ces années de guerre : « Il faudra que tu me promettes de le lire quand nous serons vieux car je ne veux pas gâcher une minute de notre vie à te parler d’horreurs ». De l’Histoire au roman. Un livre aussi poignant que lumineux.

«D’amour et de guerre», d’Akli Tadjer, Editions Les Escales, 331 p. 19,90€

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