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Dombrance : «La musique a toujours été politique»

Dombrance dépeint avec brio le paysage politique actuel grâce à la musique électronique © Sébastien Dolidon

Depuis quatre ans, le producteur et musicien Dombrance compose en solo, et dépeint avec brio le paysage politique actuel grâce à la musique électronique. De Poutou à Trump, tout le monde y passe. Rencontre avec l’artiste à l’occasion du festival Pete the Monkey, qui a eu lieu mi-juillet sur la Côte d'Albâtre (76).

Vous avez commencé par la musique classique avant de venir au rock puis à la musique électronique. Quel a été votre parcours ?

J'ai commencé par le violoncelle quand j'avais six ans, j'étais au conservatoire de Bordeaux jusqu'à mes 14 ans. Mes premiers émois étaient donc clairement du côté de la musique classique, Bach, Mozart... Vers 14 ans j'ai appris la guitare et j'ai eu mes premiers groupes de rock. J’oscillais entre la découverte des années 1960 - avec Pink Floyd, les Beatles... - et l'arrivée du grunge avec Nirvana etc... Puis au fur et à mesure des années 1990, j'ai découvert la musique électronique qui est arrivée quand j'étais ado. 

 

Pour moi, tout a commencé avec une comédie musicale.

Je suis parti de Bordeaux en 1998 pour venir faire une école du son à Paris, je ne savais pas trop où j'allais à l'époque, je ne pensais pas que j'allais faire ma vie en tant que musicien mais en tant qu'ingé son. Très rapidement j'ai eu la chance de rencontrer Charlélie Couture, par un hasard de la vie. Tout a commencé comme ça, avec une comédie musicale. Puis à peu près à la même époque j'ai signé sur une maison de disque pour un premier album. Et après ça j'ai eu 15.000 vies.

Le projet Dombrance est né car vous avez entendu «François Fillon» dans un morceau c'est ça ?

Exactement. J'avais une séance de mix avec Léonie Pernet, elle était un poil en retard donc j'ai branché les synthés, j'ai commencé le morceau et j’ai soudainement entendu «François Fillon c'est François Fillon». Donc ça m'a fait rire, je l'ai enregistré pour avoir une trace de ça. J'étais sous cortisone, je venais d'arrêter de fumer, j'étais vraiment dans un mood très spécial ! (rires). J'ai fait une petite vidéo pour mes amis, je l’ai postée sur Facebook et les gens ont commencé à réagir. J'avais même des amis étrangers qui commentaient sans savoir qui était Fillon. 

Le soir même je n'ai pas dormi de la nuit, j'avais une intuition autour de ce projet. J'ai réalisé que je pouvais en faire plein, tout seul. Pendant trois semaines je n'ai pas arrêté, j'en ai fait une dizaine. Mon ami et booker Anthonin a écouté, il est parti avec une clé USB, il l'a fait écouter à Jean-Louis Brossard à 3h du matin dans une chambre d'hôtel, et j'ai été pris pour le hall 9 des Transmusicales. Je n'avais plus le choix, c'était génial. Maintenant ça fait quatre ans que je m'amuse avec ça.

Qu’est-ce qui a changé dans le fait d’être en solo ?

C’est quelque chose qui me faisait un peu peur avant, puis finalement j'ai vraiment pris goût au fait d'être seul sur scène, même de voyager seul. Ça m'arrive souvent d'être à l'étranger tout seul avec mes valises et mes synthés, et en fait j'adore ! Quand tu es dans un groupe tu peux vite être enfermé avec tes amis, alors que quand tu es seul tu n'as pas d’autre choix que de t'ouvrir au monde. 

 

Quand tu es en solo, tu n'as pas d'autre choix que de t'ouvrir au monde.

Après le premier confinement j'ai participé à «j'irai jouer chez vous», j'en ai fais une quinzaine entre 2020 et 2021, et pareil c’est impossible à faire quand tu es un groupe. Je partais avec mes petits bagages et je jouais chez des gens que je ne connaissais pas, je jouais dans leurs jardins, je faisais la fête avec eux. Souvent quand tu es DJ tu es sur-sollicité, on va venir te voir pour te demander du Céline Dion, là comme c'est un live électronique il n'y a pas cet aspect-là. Et puis ça m'a vraiment bouleversé dans ma notion de "pourquoi je veux faire de la musique", parce que quand tu fais un concert tu joues, au maximum tu bois un coup ou deux et voilà, là les gens venaient me chercher à la gare, je dormais chez eux, je passais la soirée avec eux, le lendemain, humainement c'est radicalement différent.

Comment est-ce que vous choisissez les personnalités politiques pour vos morceaux ?

Au début j'ai vraiment fait au feeling, je pouvais être sous la douche et chanter «Copé Copé», tout peut partir du nom, d’un son. Au début c'était un terrain de jeu, puis c'est devenu un terrain d'expression. J'ai cette frustration un peu personnelle car à mes yeux la musique raconte toujours beaucoup plus qu'un discours. J'adore les beaux textes mais je trouve que même une interview ou un discours racontera toujours moins que la musique. Aujourd'hui on est presque ensevelis par les points de vue et les opinions. Dans la musique il y a quelque chose de très pur, même si c'est hyper connoté et casse-gueule de scander le nom de politiciens ! 

Si on écoute Taubira, il y a un ressenti, mais j'invite aussi les gens à se raconter leurs propres histoires. C'était intéressant de se détacher vraiment de la personnalité. Quand je fais De Gaulle ou Pompidou je parle d'une époque, d'une atmosphère. C'est aussi du fantasme quelque part, je fantasme les années 1950 et 1960. Je voulais parler de la France électronique, de la France qui danse. Voir l'évolution de chaque époque, l'arrivée des clubs, des raves, c'est passionnant ! Au début je tâtonnais puis maintenant en travaillant avec l'INA sur les vidéos, c'est carrément devenu une BO.

Il y a des personnalités que vous vous interdisez de faire ?

Oui, il y en a que je n'aime pas du tout, après c'est subjectif. Mais pour moi Le Pen ou Zemmour c'est rédhibitoire. Ça ne m'a pas empêché de faire Trump mais il y avait une distance, et ça raconte toute une histoire avec Obama. Ce sont deux morceaux mais c'est comme une seule piste qui dure 15 minutes. J'ai essayé de me questionner sur ce passage des Etats-Unis. Je n'ai toujours pas la réponse d'ailleurs ! Ce n'était pas comme en France  les gens en avaient marre et voulaient changer les choses, Obama était presque à 60% de satisfaction. 

 

Pour le titre "Macron", j'ai fait un morceau à son image, assez rapide, nerveux.

Pour le titre Macron ce n'était pas simple d'évoquer une personnalité encore au pouvoir, mais j'ai raconté les cinq années qu'on a vécu qui sont quand même complètement dingo. J'ai fait un morceau à son image, assez rapide, presque trop rapide, nerveux. Et puis ça vrille, et il y a un côté presque fin du monde. Pas forcément lié à Macron mais à la guerre, au changement climatique... Aujourd'hui on est tous affectés psychologiquement.

Vous avez vous-même développé un personnage sur scène.

Oui tout à fait, je suis sur scène avec un costume de politicien. Et ça a été une libération personnelle. Quand j'étais dans les groupes de rock il y avait toujours un côté un peu «poseur» qui me frustrait. Là j'ai compris que je pouvais vraiment m'amuser. Et puis j'ai aussi un peu un problème avec le fait de mettre les gens sur un piédestal, que ça soit un artiste ou un politicien. Le plus important c'est ce que tu créé avec les gens. Et ce personnage me permet de dire dès le départ «tout ça ce n'est pas important, ce qui compte maintenant et ici c'est l'aspect libératoire». Je joue sur ce décalage. Les gens crient «Dombrance président» et c'est drôle car c'est indolore.


De manière plus générale, musique et politique font-elles bon ménage ?

On me dit souvent que non, mais je ne suis pas d’accord. La musique a toujours été politique. Quand je dis politique je ne parle pas du fait d’aller voter, je parle du fait d’utiliser l’art pour s’exprimer. La musique a toujours été un mégaphone incroyable pour des minorités. Il suffit de regarder le punk ! C’est ça la magie de la musique. La Jamaïque n’a pas rayonné dans le monde entier grâce à son président mais grâce à Bob Marley ! Après je ne suis pas de ceux qui pensent que tous les politiciens sont pourris, je pense que la démocratie est imparfaite, mais à force de dire que tout est nul tu te retrouves avec des mouvements totalitaires. C'est là où il faut prendre du recul, accepter la défaite. C'est ça aussi la démocratie. 

 

Si l'art n'était pas là, on serait tous en train de se foutre sur la gueule.

Et puis dans la musique il y a beaucoup de beauté, de pureté et de messages. Si tu es passionné de musique tu ne peux pas passer à côté du métissage par exemple. La musique détruit les barrières. Il y a beaucoup de choses à apprendre et à vivre avec la musique, ce n'est pas que du divertissement. Moi c'est un truc qui m'a sauvé et qui me nourrit. Et je dis ça parce que je suis un privilégié et que j'ai de la chance, de vivre dans ce pays et de vivre de ça. Avec le Covid on a bien vu que les choses n'étaient pas figées, que ce qu'on avait n'était pas acquis. Si l'art n'était pas là on serait tous en train de se foutre sur la gueule. Ou tous complètement déprimés.

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