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«Rebel» : pour Adil El Arbi et Bilall Fallah, «Daesh fait du cinéma une arme»

Bilall Fallah et Adil El Barbi lors de la présentation de «Rebel», à Cannes, le 26 mai dernier. [CHRISTOPHE SIMON / AFP]

Ce mercredi 31 août sort le long-métrage «Rebel», réalisé par Adil El Arbi et Bilall Fallah. Cette œuvre, centrée sur la question du jihad, montre les méthodes de propagande de Daesh. Les réalisateurs confient à CNEWS leur travail de recherche et de reconstitution.

Entre séquences intimismes et scènes spectaculaires. Ce mercredi 31 août, le long-métrage belge «Rebel» sort dans les salles françaises. Film choc sur le jihadisme, dont l'action se passe entre la Belgique et la Syrie, l'œuvre a été pensée par ses réalisateurs Adil El Arbi et Bilall Fallah («Bad Boys for Life», «Black») comme un pamphlet contre Daesh.

L'histoire suit le parcours de Kamal, jeune rappeur de Molenbeek (Belgique) qui rejoint la Syrie pour aider les civils sur un territoire en guerre. Embrigadé de force par Daesh, il tente de survivre en assurant la propagande. En parallèle, des recruteurs ciblent son petit frère en Belgique.

Après «Black», vous réalisez des clips aux Etats-Unis, puis vous revenez en Belgique avec «Patser». Même schéma pour «Rebel», tourné après «Bad Boys for Life». Pourquoi toujours ce retour «chez vous» ?

Adil El Arbi : Je pense que c’est intéressant de revenir, de remonter aux sources pour des histoires très personnelles, comme dans «Gangsta» ou «Patser», qui parle de la drogue à Anvers, où on connaît des gens qui sont dans ce milieu-là. Pour «Rebel», c’est une réalité qu'on voulait déjà porter à l’écran en 2013-2014, lorsqu’il y avait les premiers départs en Syrie de personnes qu’on connaissait. Ce sont des histoires qu’on ne peut pas raconter à Hollywood. Là-bas, c’est l’occasion de faire des gros films d’action, avec des stars, ou faire des projets avec Marvel et DC, qu’on ne peut pas faire en Belgique.

Sur l’affiche, on remarque que c'est un film «d’Adil et Bilall». D’ailleurs, vous semblez répéter que Rebel est votre film le plus personnel ? En quoi est-ce le cas ?

Adil El Arbi : On voulait faire Adil et Bilall parce qu’on trouvait nos noms trop longs et on voulait en même temps faire une marque de fabrique : «Un film d’Adil et Bilal», ça sonne direct.

Bilall Fallah : C’est aussi très personnel, comme des potes. 

Adil El Arbi : Forcément, c’est très personnel parce qu’en 2012-2013, des gens qu’on connaissait partaient en Syrie. Des personnes qui sont nées en Belgique, de nos âges, d’origine marocaine, comme nous, et qui ont décidé de participer à une guerre qui n’était pas la leur. Puis, ça a évolué vers l’extrémisme, Daesh, le terrorisme et enfin, des natifs de Belgique qui se font exploser là-bas. C’était un phénomène qui ne s’était jamais produit auparavant. Voir des gens qui parlent avec le même dialecte, la même langue que nous dans des vidéos de Daesh, on n’avait jamais cru ça possible. Nous nous étions dit qu’un jour, on devrait raconter cette histoire-là. C’est pour ça qu'on a lancé le projet en 2013-2014, mais les choses ont évolué car il n’y avait pas encore eu les attaques terroristes. C’est là qu’on a découvert tout ce qu’il se passait avec l’esclavage, les Yazidis (communauté kurde visé par Daesh en Irak, ndlr), les enfants soldats. Nous avions besoin d’un peu de recul pour créer un document historique sur cette décennie.

Vous revenez à un film à fort ancrage social, avec les événements que l’on connaît à Molenbeek, comment avez-vous travaillé en amont ?

Bilall Fallah : Nous avons pris huit ans pour travailler sur cette histoire. Nous sommes allés très loin dans les recherches, en parlant avec des personnes qui ont été au sein de Daesh, avec des mères qui ont perdu leurs enfants, avec des soldats qui se sont battus contre Daesh.

Adil El Arbi : Le début de nos recherches, c’est un peu comme le début de l’histoire, avec des gens qui partaient en protéger d'autres, comme Kamal. Et puis, Daesh est venu dans l’histoire, tout comme les attaques terroristes, les enfants soldats, donc il fallait rajouter ces éléments. On a créé cette famille, basée sur plusieurs histoires qu’on a combinées. Cela a mis beaucoup de temps à se construire, car nous avions beaucoup de personnages et il aurait fallu une série pour traiter tout ça. Or, nous voulions une histoire qui se tienne sur deux heures.

Votre film Black (2015) avait été privé d’une sortie France en raison de sa classification aux moins de 16 ans. Quand on fait un film sur le jihadisme, qui plus est un film de guerre, montrant des actes de torture, est-ce qu’on s’autocensure ?

Adil El Arbi : Il y a toujours de la violence, mais elle est plus psychologique que graphique. C’est parfois suggéré, plutôt que de montrer frontalement la cruauté. Pour «Black», la sortie était programmée au moment des attaques terroristes, avec une stigmatisation sur la ville de Molenbeek (où se déroule en partie l’action de «Rebel», ndlr). On nous avait dit que le film ne correspondait pas au climat politique du pays à ce moment donné.

Bilall Fallah : Pourtant, on croyait que c’était le moment.

Adil El Arbi : On avait été très déçu. Par la suite, on a pris en expérience à Hollywood et je pense qu’on a eu le recul pour sortir ce film maintenant. Nous craignions le sujet car on est dans le vif. C'était un jeu d'équilibriste. Dans une œuvre qui parle d’un sujet très dur, où on sait que la guerre est très difficile, sale, que des horreurs s’y passent, cela peut faire trop aseptisé de ne rien montrer. On a toujours tourné les scènes violentes de façon à ce qu’on puisse «montrer l’horreur». Mais dans la salle de montage, quand on a vu toutes ces scènes graphiques, c'était parfois trop et on ne ressentait plus trop l’émotion. En tout cas, il n'y a pas de censure spécifique.

Votre protagoniste tente de survivre en faisant la propagande de Daesh. Est-ce ça veut dire que sur le champ de bataille et dans l’art, la caméra est une arme ?

Adil El Arbi : Dans nos recherches, on a pu observer des vidéos de Daesh qui sortait chaque semaine. Plus on en voyait, plus on se disait que c’était vraiment «réalisé» (il fait le signe des guillemets), avec des castings, des répétitions, du matériel. On a poussé de ce côté-là pour constater à quel point ils étaient méthodiques. Il y a une froideur psychopathe, quelque chose de calculé, très clinique. Ce ne sont pas des psychopathes filmés à la va-vite. Au fur et à mesure, on était persuadé que ces personnes pourraient faire de vrais films, mais ils utilisent tout leur savoir-faire, leur technicité pour faire des monstruosités, pour faire du terrorisme, c’est encore plus terrifiant.

Bilall Fallah : Cela rappelle d’ailleurs ce que pouvaient faire les nazis, avec les films de propagande à la gloire du régime (comme Leni Riefenstahl, cinéaste officielle du régime hitlérien, ndlr).

Adil El Arbi : Daesh fait de notre job, du cinéma, une arme. C’est l’aspect qui nous intéressait et nous touchait le plus. Cet aspect n'est pas vraiment présent dans les films et séries qui traitent ce sujet-là. Je crois que cela montre un autre aspect du jihadisme.

«Rebel» est autant un drame social, qu’un film de guerre, qu’un musical, ce mélange des genres étaient-ils la base du projet ?

Adil El Arbi : Le côté musical est venu dès le départ. Déjà en 2014, on avait un sujet tellement complexe, tellement difficile qu’on se demandait comment on allait raconter toutes ces choses en 2h15, tout en touchant le spectateur plus qu’avec des dialogues. C’est l’idée de créer un conte arabe moderne, notre version des «Mille et une Nuits», cela nous a tout de suite parlé. Cela faisait en sorte de rendre le film plus accessible, avec un sujet tellement difficile, ramener le spectateur dans une expérience un peu spéciale, un peu transcendantale, en les amenant dans un autre pays. Cela permettait d’avoir un aspect de pamphlet contre Daesh car ils sont contre la musique, radicalement. Les chants féminins, les instruments étaient interdits. Si on veut réaliser un film qui les dénonce, cela semblait être la meilleure arme contre eux. Surtout que la culture arabo-musulmane est très musicale, avec la poésie, et même aujourd’hui, avec les jeunes il y a le rap, c’est leur genre de prédilection. C’est le clash que vit le personnage principal, Kamal, qui est un rappeur et qui se retrouve dans un monde sans musique.

Bilall Fallah : C’est quand il rappe qu’il exprime au mieux ses émotions, alors que quand il ne peut pas le faire, il a peur.

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