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Cinéma : les distributeurs indépendants subissent les effets d'un marché sous tension

Bac Films distribue chaque année une dizaine de films, un catalogue restreint pour mieux promouvoir les oeuvres. [DR]

Depuis la pandémie de Covid-19, les distributeurs indépendants luttent pour se faire une place face aux mastodontes, alors que l'offre de films est plus chargée que jamais.

«La situation est mauvaise pour tous les indépendants, petits ou gros». Ce constat, c'est celui de la plupart des distributeurs indépendants du cinéma en France.

Ce métier moins connu de l'industrie consiste à faire l'intermédiaire entre les producteurs qui financent (et «fabriquent») les films et les salles de cinéma. Le distributeur achète les droits de commercialisation d'un long-métrage sur un territoire pour ensuite négocier avec les exploitants pour une diffusion nationale. Vous pouvez voir leurs logos en début de séance : Warner Bros, Disney, UGC, Pathé Films. Du côté des indépendants, on peut citer Bac Films, Les films du Losange, The Jokers ou encore Eurozoom.

Depuis la pandémie du Covid-19 et presque un an de fermeture cumulé, ces entreprises ont rongé leur frein, avec un catalogue de films qui n'attendaient plus qu'une chose : pouvoir être diffusés. Si on peut penser que seuls les salles de cinéma ont beaucoup souffert, c'est toute l'industrie cinématographique française qui a été touchée.

«C'est très préoccupant»

Après une année «complète», l'économie du 7e art n'a toujours pas retrouvé le niveau de l'avant Covid. Pour preuve, le Centre national de la cinématographie (CNC), dans son décompte mensuel, évalue la baisse des entrées aux alentours de 30%. Mais ce chiffre, qui comptabilise une situation globale à l'échelle nationale, cache des disparités en fonction des longs-métrages. Ainsi, rien que cet été, si les blockbusters américains ont fait le plein, les films indépendants peinent toujours à convaincre les spectateurs dits «occasionnels».

«Nous avons fait les frais d'une fermeture prolongée et injustifiée. Avec cette coupure, les gens se sont adaptés à une nouvelle réalité et ont intégré d'avoir une vie normale sans cinéma», témoigne Amel Lacombe, directrice d'Eurozoom. «Nous aurons du mal à revenir sur un marché qui soit cohérent pour nous tous. Mais nous espérons résister et revenir à ça. Toutefois, cela va prendre beaucoup de temps, c'est très préoccupant».

D'autres s'en sortent un peu mieux, à l'image de «Bac Films». La société, fondée en 1986, se focalise sur le cinéma indépendant, en ayant distribué dix Palmes d'or, dont la dernière en date, «Sans Filtre» de Ruben Östlund, qui sortira le 28 septembre. «La situation est très positive dans un contexte compliqué», admet Alexis Hofmann, directeur des acquisitions. «Nous avons eu cinq films projetés à Cannes, au bon potentiel commercial. Deux ont d'ailleurs reçu des prix, «Sans Filtre» et «Decision to Leave» de Park-Chan Wook, lauréat du Prix de la Mise en scène». Ce dernier a ainsi rassemblé 300.000 spectateurs, grâce à un bouche à oreille phénoménal et ce, malgré son statut de «film coréen inclassable de 2h20».

Mais tous l'admettent, la tendance est aux films «événementiels», notamment avec le carton de «Top Gun : Maverick» et ses plus de six millions d'entrées. Moins de places donc, pour des propositions singulières, dans un contexte économique et social difficile : «Le prix du billet est élevé pour les spectateurs occasionnels et l'offre est importante. Ils doivent en avoir pour leur argent. Il faut que la sortie en salles soit une expérience qui dépasse le cadre du simple film», poursuit Alexis Hofmann.

«Sur certains films, nous aurions dû faire trois fois plus d'entrées»

Le cas d'Eurozoom est quant à lui plus spécifique. Le distributeur fêtera en décembre vingt-cinq années de travail acharné sur le cinéma d'animation japonais. «Chaque film est un prototype pour nous. Ce sont des œuvres transgénérationnelles qui ont un public différent du cinéma art et essai traditionnel français. Mais ce ne sont pas des films de niche», détaille Amel Lacombe.

Ce sont eux qui ont fait découvrir en France les premiers films «One Piece», avant le phénomène mondial, mais aussi les œuvres de Makoto Shinkaï («Your Name»), ou Mamoru Hosoda («Les Enfants loups, Ame et Yuki» et en décembre dernier, «Belle»). «Eurozoom était le premier distributeur à sortir des films d'animation hors Ghibli et hors franchise. Nous l'avons fait pendant très longtemps sans que ça n'intéresse personne. Pour nous, c'est une passion pas pour des films «bankables» (à fort potentiel commercial, ndlr), mais pour les productions indépendantes, d'auteurs, de passionnés», précise la directrice du distributeur.

Au mois de juin, le distributeur a proposé «La Chance sourit à Madame Nikuko» d'Ayumu Watanabe. Le long-métrage, sorti face à «Top Gun», le même jour que «Jurassic World : Le Monde d'après» et deux semaines avant «Buzz l'Éclair», a attiré 40.000 cinéphiles. Un score honorable, mais en deça des attentes. «Nous avions fait presque deux fois plus d'entrées avec le précédent film du réalisateur («Les Enfants de la Mer», en 2019, pour un plus de 67.000 entrées), alors qu'il y avait moins de copies. En théorie, on aurait dû faire trois fois plus d'entrées».

Chez Bac Films aussi, quelques productions n'ont pas eu les chiffres escomptés. «On a souffert avec «Murder Party» sorti en mars, qui, avec un beau casting (Alice Pol, Eddy Mitchell et Pablo Pauly), a fait moins de 100.000 entrées, alors qu'il aurait dû faire au moins deux à trois fois plus en temps normal».

«La salle doit devenir un lieu de vie»

Dès lors, les distributeurs doivent s'adapter à une situation difficile sur tous les plans. Bac Films a gardé un catalogue très compact de «8 à 10 films par an», pour «y consacrer plus de temps, avant et après leur sortie», et fait désormais le choix d'une communication axée sur le numérique. «Pour «Decision to Leave», nous avons un fait un pari payant de ne pas faire d'affichage public et cela ne nous a pas porté préjudice. Aujourd'hui, les budgets alloués à la communication digitale sont plus importants», constate Alexis Hofmann.

Plus largement, Bac Films s'attèle à une campagne de promotion misant davantage sur «les moyens humains». «Nous faisons des tournées en régions, pour aller à la rencontre du public, avec des séances en présence des réalisateurs et comédiens. L'objectif, c'est de redonner le goût de la salle, pour événementialiser les sorties».

Selon le directeur des acquisitions de Bac Films, «la salle», plus qu'un lieu de projection, «doit devenir un lieu de vie». «On pourra y voir un film, mais aussi s'y restaurer, disposer par exemple d'une bibliothèque, qu'on se sente dans un lieu culturel riche».

Mais le chemin à faire est encore long, tandis que les distributeurs ne peuvent se permettre des échecs successifs. Durant la pandémie de Covid-19, la situation financière des entreprises s'est dégradée, certaines, comme Eurozoom, n'ayant pas touché les mêmes aides que leurs concurrents. «90% des sommes distribuées l'ont été pour le cinéma français, en lien avec le Fond de soutien audiovisuel du CNC. Je ne remets pas du tout ce système en cause, au contraire, mais qu'il y ait des bonifications pour tous les distributeurs français, même ceux qui ont une ligne éditoriale différente».

La directrice d'Eurozoom reste toutefois optimiste sur l'avenir du secteur, notamment grâce à un travail de longue haleine qui paye sur le public cible. «Les cinéphiles reconnaissent notre travail. Grâce à ça, la presse, les spectateurs, les salles nous connaissent. Nous, on garde notre fonds de commerce, mais surtout notre âme, notre primauté et notre passion».

Un travail qui paye aujourd'hui. Le 24 août, Eurozoom a ressorti en salles «Memories», un film d'animation japonais en trois segments datant de 1995 et coréalisé par Katsuhiro Ōtomo, le papa d'Akira, le film qui a fait déferler le manga en France. Près de 100 cinémas partout en France ont fait confiance à Eurozoom en diffusant cette anthologie, qui a déjà convaincu plus de 8.000 spectateurs.

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