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Naoki Urasawa : «je suis un auteur qu'on ne contrôle pas»

Naoki Urasawa a vendu près de 130 millions de mangas dans le monde. [© n.cailleaud/CNEWS]

Auteur de génie derrière les succès Monster, 20th Century Boys, Billy Bat ou encore Pluto, Naoki Urasawa offre au public français une exposition événement, dès ce mardi 13 février et jusqu'au 31 mars. Nous avons pu interviewer le maître, lors d'une visite particulièrement instructive.

Déjà dévoilée lors du festival de la BD d'Angoulême en janvier dernier, ce rendez-vous intitulé «L'art de Naoki Urasawa» est à découvrir à l'Hôtel de Ville de Paris (4e). Plus de 450 dessins et planches originaux y sont présentés, dont certains révèlent en avant-première sa nouvelle série, encore inédite en France. Un manga baptisé Mujirushi : Le Signe des Rêves, réalisé en partenariat avec le musée du Louvre. Au Japon comme en France, l'homme inspire le respect et quelques chiffres parlent pour lui : 127 millions de mangas vendus dans le monde, plus de 30 000 pages publiées et des déclinaisons de ses œuvres réalisées en animés et en films. Rares sont les mythes vivants du manga et ce forçat de la BD japonaise, âgé de 58 ans, ne compte pas s'arrêter là.

Vous venez de passer plusieurs jours en France, depuis votre venue à Angoulême en janvier. Si vous deviez retenir un souvenir très particulier de ce séjour, quel serait-il ?

Un jour, je suis rentré dans une boulangerie pour demander «une demi-baguette, s'il vous plaît ?» (NDR : en français dans le texte) et j'ai été très heureux de constater que la personne m'avait compris et m'a rapporté ce que j'avais demandé !

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Dans cette exposition, on remarque que la plupart de vos personnages sont métissés et vos récits ont souvent une dimension internationale. Dès le début de vos travaux, avez-vous eu l'ambition de voir sortir vos mangas hors des frontières du Japon ?

J'aime la culture étrangère depuis toujours, que ce soit la littérature ou les films. Donc, de manière spontanée, j'ai tendance à écrire des histoires qui se déroulent à l'étranger. En réalité, c'est plutôt les éditeurs japonais qui me demandent de «mettre une petite sauce japonaise» dans mes récits, pour que les lecteurs de mon pays puissent s'identifier aux personnages.

Votre admiration pour Osamu Tezuka (Astro le petit robot, Le Roi Léo...) est bien connue et vous lui avez rendu hommage, notamment à travers le manga Pluto (éd. Kana). Si un mangaka souhaitait faire de même à votre égard que lui conseilleriez-vous ?

J'avoue que je ne me suis jamais posé cette question. Mais pour moi, il est important de transmettre le patrimoine à des générations futures. Donc si un jour quelqu'un veut rendre hommage à mes œuvres, je trouverai cela très bien. Selon moi, le côté original n'est pas très important et j'utiliserais facilement les personnages créés par quelqu'un d'autre. Donc, je n'ai aucun problème avec cela et il est même très sain de pouvoir créer des œuvres aussi librement.

Il y a une relation individuelle entre l'auteur et chaque lecteur.Naoki Urasawa

Makoto Tezuka, le fils d'Osamu, a semblé très satisfait du travail que vous avez mené sur Pluto et cite en référence vos travaux, si d'autres auteurs voulaient rendre hommage aux œuvres de son père. Quel conseil donneriez-vous à ceux-ci ?

Il est important de rappeler que d'autres mangakas ont déjà repris des titres d'Osamu Tezuka. J'aurais du mal à donner des conseils à d'autres auteurs. De mon côté, j'ai travaillé avec mon propre style. Je pense que la relation entre l'auteur et les lecteurs n'est pas quelque chose de collectif. Il y a en réalité une relation individuelle, entre l'auteur et chaque lecteur. Je tiens donc à garder cette relation très privilégiée avec chaque lecteur.

Pour me comprendre, lorsque j'allais à un concert de Prince dans un très grand stade, je me disais que j'étais la personne qui comprenais le mieux sa musique. C'est «une relation entre toi et moi».

A travers vos dessins, vous n'hésitez d'ailleurs pas à transmettre votre amour pour la musique. En écoutez-vous en travaillant ? Y a-t-il des morceaux qui ont pu influencer le rythme d'un récit ou le découpage de vos planches ?

Toute la musique et les rythmes que j'entends influencent forcément mes mangas. Car chaque fois que je dessine, je pense à des «tam, dam, pan !».

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La place des femmes est également très centrale dans vos œuvres. Elles ont souvent un caractère fort et sont même plus courageuses que les personnages masculins que vous mettez en scène...

Je parle ici du point de vue d'un homme et je trouve que les femmes sont plus fortes.

Vos héroïnes ont-elles le profil de la femme idéale ?

On peut dire ça. Je suis attiré par les femmes qui n'ont pas besoin de l'aide d'un homme. Très souvent dans les films hollywoodiens, les femmes demandent le secours d'un homme, mais pour tout vous dire ce genre de scène m'ennuie.

Comme Osamu Tezuka ou Alfred Hitchcock, on remarque l'idée de récurrence dans vos personnages, comme des acteurs à qui l'on confirait des rôles. Pourquoi opter pour cela ?

Au niveau des personnages principaux et notamment des héros, je suis incapable de faire un héros qui ne me ressemble pas. Donc forcément, tous les héros se ressemblent d'une certaine manière. Il y a aussi d'autres personnages, plus secondaires, et ils sont tous très variés. Mais dans chacun, là encore, il y a un peu de moi. Il m'est impossible de comprendre tous ces personnages, mais il y a parfois des aspects communs.

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Compte tenu de votre statut actuel, avez-vous carte blanche pour vos projets ?

J'ai toujours tout fait pour avoir carte blanche et les éditeurs savent très bien que je suis quelqu'un qu'on ne contrôle pas.

Vous sentez-vous un peu privilégier d'avoir cette liberté, par rapport à d'autres auteurs moins connus peut-être ?

Depuis quelque temps, je note que plusieurs titres ont eu un grand succès, car les auteurs voulaient absolument les faire. Mais il faut être prêt, car quand un titre remporte un gros succès, l'auteur ne peut pas se permettre d'arrêter. Pour moi, c'est difficile, puisque dès que je commence une série, j'ai tout de suite envie d'arrêter ! (rires).

Pourtant, on a le sentiment que vos séries sont pensées sur le long terme, que ce soit Monster (18 volumes) ou 20th Century Boys (22 tomes) par exemple...

En réalité, dès le début d'un projet j'ai une image de sa quantité. Par exemple, pour Monster, je savais que ce serait plus ou moins 18 tomes. J'ai d'ailleurs souvent l'image d'un rayon de librairie, où telle série va représenter tel espace sur l'étagère. Mais, je ne m'impose pas de faire des mangas longs. Tout dépend du récit, même si parfois je peux étirer l'histoire pour explorer certaines facettes des protagonistes. A ce moment-là ce sont eux qui le réclament pas moi.

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L'avenir de l'humanité est l'un des thèmes centraux que vous aimez dépeindre. Mais avez-vous d'autres thèmes forts que vous aimeriez explorer ?

L'humain me passionne et il restera un thème central à l'avenir pour moi.

L'exposition montre d'ailleurs tout le travail que vous menez autour de l'humain et des sentiments. Quel est selon vous le secret d'un visage expressif dans le dessin ?

Je pense que l'auteur lui-même doit être acteur. J'ai enseigné le manga durant huit années dans une université et à chaque fois je disais aux élèves qu'avant de commencer à étudier le manga en tant qu'art, il faut aller dans une école pour apprendre la comédie.

Si vous aviez à dessiner un personnage tiré de la BD franco-belge ou des comics américains, lequel choisiriez-vous ?

Sans hésiter, les personnages de Moebius.

L'art de Naoki Urasawa, jusqu'au 31 mars, à l'Hôtel de Ville de Paris (4e).

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