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Les cinq finalistes du prix BD Fnac France Inter

Cette année, les cinq candidats au Prix BD Fnac France Inter rivalisent de talents, et tous les styles sont représentés. Cette année, les cinq candidats au Prix BD Fnac France Inter rivalisent de talents, et tous les styles sont représentés. [Pierre-Henry Gomont, «Malaterre», Dargaud]

Le Prix BD Fnac, auquel s'associe désormais France Inter, sera remis mercredi 16 janvier par le président de cette édition, Antoine de Caunes. En attendant, cinq finalistes restent à départager entre les vingt titres pré-sélectionnés, dont la qualité devrait rendre difficile le choix du lauréat.  

Et à quelques jours du lancement du Festival international de la bande dessinée d'Angoulême, ce prix, qui offre à un album paru en 2018 une seconde jeunesse et une visibilité accrue, s'inscrit dans une chronologie qui pourrait faire du mois de janvier celui du 9e art. Cette année, les cinq candidats au Prix BD Fnac France Inter rivalisent de talents, et tous les styles sont représentés, entre roman graphique, fable lumineuse, fiction historique, chronique familiale et thriller musclé. Ils ont été choisis par un panel de 30 grands amateurs de bande dessinée.

 «Malaterre» : l'hommage poétique

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Dargaud

Un album on ne peut plus personnel pour Pierre-Henry Gomont. L'auteur du remarqué «Peirera prétend» livre avec le très beau «Malaterre» l'histoire d'un père de famille, Gabriel Lesaffre, hanté par un lointain héritage familial en Afrique. Un domaine autrefois florissant tombé en ruine, qu'il rachète, espérant donner enfin un sens à sa vie, lui qui s'ennuie dans son confort bourgeois avec sa femme et ses enfants.

Le hic : il réussit à convaincre deux des trois enfants de le suivre dans cette aventure rocambolesque, laissant sa femme et son plus jeune fils dans la métropole. Mais ce père fantasque, hâbleur et colérique saura-t-il trouver les ressources pour ne pas faire subir son choix à tous ses proches ? Comme l'auteur l'indique assez explicitement dans son hommage introductif, c'est à son propre père qu'il fait référence, laissant le choix au lecteur de juger ce personnage aussi touchant que détestable. Tout le talent de Pierre-Henry Gomont provient de sa capacité à confronter le texte, en forme de narration officielle, policée et bienveillante de cette histoire, et les dessins, beaucoup plus crus, sortes de révélateurs de ce qu'ont réellement ressenti les protagonistes.  

Malaterre, de Pierre-Henry Gomont, Editions Dargaud. 

«Moi, ce que j'aime, c'est les monstres» : le superbe ovni

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Monsieur Toussaint Louverture

On ne présente plus cet album d'Emil Ferris, pour qui l'expression «roman graphique» semble avoir été inventée. Dans ce récit, l'auteur raconte la vie de Karen Reyes, 10 ans, et de son quartier de Chicago, le populaire Uptown, avec ses immeubles décrépis de la fin des années 1960. Préférant s'identifier à un loup-garou plutôt qu'une femme - question de survie dans ce quartier aux adultes menaçants - elle va enquêter sur la mort de sa voisine, Anka Silverberg, qui se serait suicidée le jour de la St Valentin. Admirative de cette femme solitaire et secrète, autant que belle et fragile, elle va dérouler le fil du passé d'Anka, dans l'Allemagne nazie des années 1930, mais aussi lever les secrets qui entourent sa prore famille...C'est l'oeuvre des superlatifs : six ans de création, plus de 400 pages, 48 refus d'éditeurs avant de pouvoir être publiée...

L'illustratrice américaine offre au lecteur une somme qui fait d'elle l'égale d'un Art Spiegelman et son Maus. Le tout avec un style inimitable fait principalement de dessins au stylo bille, comme posés dans un journal intime, une foule de détails dont tous ont leur importance, et une science du portrait qui révèle l'âme des personnages aussi bien qu'une description. Chose rare dans le neuvième art, les textes sont à la hauteur du dessin, et pourraient se suffire à eux-mêmes, signe d'un travail de traduction exemplaire. L'apparente naïveté du propos de cette adolescente mal dans sa peau renferme en fait une fine analyse des différences, une ode aux héros cabossés, et un point de vue brillant sur les apparences souvent trompeuses.  

Moi, ce que j'aime, c'est les monstres, Livre premier, Emil Ferris, Editions Monsieur Toussaint Louverture.

«l'âge d'or» : le conte féerique

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Dupuis

Un conte médiéval fantastique à l'apparente légèreté qui s'avère être un superbe roman initiatique teinté de conscience politique, et valorisant la place des femmes. Pour l'imposant (et on s'en réjouit) premier tome de «L'âge d'or», le désormais incontournable Cyril Pedrosa, encensé pour son album «Portugal», s'est associé à Roxanne Moreil au scénario. Le lecteur plonge au coeur d'un royaume en crise. Alors que la famine gagne du terrain et que les seigneurs tergiversent, la jeune Tilda doit monter sur le trône quand son roi de père décède. Soutenue par le sage Tankred et du loyal Bertil, elle souhaite réformer le royaume et préserver la population. C'était sans compter sur son petit frère, soutenu dans l'ombre par les grands seigneurs, qui la poussent à l'exil. C'est le début d'un long périple pour Tilda et ses deux compagnons, bien décidés à reconquérir le trône et à rétablir cet âge d'or.

Dessins foisonnants et envoûtants, sublimes doubles pages fourmillant de détails et d'animations, patchworks de couleurs évoquant les tâpisseries médiévales, personnages vivants qui semblent sortis du Merlin l'enchanteur de Disney, tout est décoratif dans le dessin de Pedrosa, et pourtant rien n'est inutile. Côté scénario, Roxanne Moreil parvient à infuser une dose d'utopie politique dans laquelle tous les personnages se poseront, à un moment ou un autre, la question de leur rôle dans les événements qui se déroulent sous leurs yeux : suivre cet appel populaire à la liberté, s'accrocher à sa position sociale, vivre en spectateur ou préserver l'ordre établi. Ainsi, sans jamais asséner une morale toute faite, «L'âge d'or» est tour-à-tour digne des plus beaux contes classiques, comme des romans d'apprentissages des Lumières. 

L'âge d'or, de Cyril Pedrosa et Roxanne Moreil, editions Dupuis.

«il faut flinguer ramirez» : le pulp tarantinesque

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Glénat

Attention, ça va secouer ! Jacques Ramirez, modeste employé technicien de la société de fabrication d'aspirateurs Robotop, est un sympathique personnage, reconnu comme le meilleur du SAV de son entreprise située en Arizona. La bonne poire à qui on demande le moindre service, pour lequel il s'exécute sans broncher, et pour cause, il est muet. Mais quand une bande de mafieux s'intéresse à son cas et souhaite l'éliminer, reconnaissant en lui le pire tueur des cartels mexicains, la confusion est totale, d'autant plus que le bonhomme introverti croisera sur sa route un duo d'escrocs féminin à la Thelma et Louise. L'album «Il faut flinguer Ramirez», signé du jeune Nicolas Petrimaux - passé par l'animation, le cinéma et les jeux vidéo - est un concentré de ce qui faisait le sel des films d'actions des années 1980, et leurs héritiers à la Tarantino. Les couleurs, la typographie, le découpage, tout sent le cinéma dans ce premier tome imposant, dont les bruitages semblent sortir des cases.

En véritable metteur en scène- il se présente ainsi- Petrimaux a pensé l'ensemble de son oeuvre pour en faire un bijou aussi régressif que les thrillers musclés auxquels il rend hommage, habilement truffé de seconds rôles savoureux. On a ainsi droit aux pastiches de publicités en pleine page, au découpage vif et rythmé des séquences, et à une dose d'humour et d'ironie bien sentie. Les temps morts semblent même placés pour offrir au lecteur le temps de laisser son regard parcourir les cases, et se laisser hypnotiser par tant de maîtrise, des filtres pour vieillir l'image à la multiplicité des points de vue. Un travail d'orfèvre que l'auteur a su décliner sous tous les formats sur son site, à voir d'urgence.

Il faut flinguer Ramirez, Tome 1, Nicolas Petrimaux, Editions Glénat.

«Cinq branches de coton noir» : Petite et grande histoire

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Dupuis

La vraie leçon d'une fausse histoire... Ce sublime album, pur exemple du téléscopage entre la grande et la petite Histoire, est une fresque digne des plus belles productions hollywoodiennes, à l'instar d'«Il faut sauver le soldat Ryan», «Monuments men» ou encore «Glory». D'emblée les deux auteurs nous plongent au coeur de l'action. Au fil de pages magnifiquement exécutées par le rennais Steve Cuzor (XIII Mystery, Les Mangeurs de foudre,...), dont les tons varient selon l'époque abordée, entre le sepia de la Guerre de Sécession et le vert de gris de la Seconde Guerre mondiale, le scénariste Yves Sente (Blake & Mortimer, Thorgal, XIII,...) déroule le périple du soldat afro-américain Lincoln, qui ronge son frein sur les plages du débarquement en 1944 avec ses camarades, affectés aux tâches subalternes par l'armée américaine, encore méfiante à l'égard de cette communauté qui n'a toujours pas droit aux honneurs du champ de bataille.

Mais la situation va changer : la soeur de Lincoln, étudiante américaine, hérite de sa tante un manuscrit de 1777, dans lequel une certaine Angela Brown y raconte la fabrication du premier drapeau américain et du secret qu’il contient. Hasard de l'Histoire, ce drapeau serait en possession d'un général allemand combattant sur le front. Une occasion en or pour les trois compères soldats de prouver leur bravoure dans une mission qui pourrait changer le destin de leur pays et faire d'eux des héros. Par des allers-retours savamment scénarisés, les auteurs abordent de nombreux thèmes universels (conflits sociaux, ségrégation raciale,...) sans lourdeur. Impossible de ne pas croire à cette belle histoire, entre dialogues ciselés et dessins immersifs, d'où l'émotion affleure à chaque page. Ne manque plus qu'un réalisateur pour l'adapter sur grand écran.

Cinq branches de coton noir, Yves Sente, Steve Cuzor, Editions Dupuis. 

 

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