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COP15 : «Notre propre survie doit nous motiver à protéger la biodiversité» alerte Bruno David, président du Muséum national d’histoire naturelle

Paléontologue et biologiste marin, Bruno David est président du Muséum national d'histoire naturelle (MNHN) et auteur du livre «A l'aube de la 6e extinction», aux éditions Grasset.[Crédits : MNHN - Agnès Iatzoura]

Partout sur la planète, le constat est le même : insectes, mammifères ou poissons disparaissent à un rythme effrayant. A l’occasion de l’ouverture de la COP15 sur la Biodiversité de Montréal, CNEWS a interrogé Bruno David, président du Muséum national d’histoire naturelle, sur les raisons et les conséquences de cette disparition.

Un défi de taille pour l'homme. La COP15, qui s'ouvre ce mercredi 7 décembre à Montréal (Canada) aura la lourde tâche d'adopter un nouveau cadre mondial pour ces dix prochaines années pour enrayer la perte de biodiversité, afin d'éviter une «sixième extinction de masse».

Une thèse que défend Bruno David, paléontologue, biologiste marin et président du Muséum national d'histoire naturelle (MNHN) dans son livre «A l'aube de la 6e extinction. Comment habiter la Terre» publié aux éditions Grasset. Le chercheur a détaillé pour CNEWS le constat qu'il dresse sur la biodiversité aujourd'hui.

Qu'appelle-t-on biodiversité ?

B. D. : Il y a une réponse très courte qui dirait qu'il s'agit du tissu vivant de la planète. Dans ce cas-là, c'est presque synonyme de biosphère, mot qui préexistait avant celui de biodiversité qui est assez récent. Ce dernier est apparu dans le langage courant en 1992 avec le Sommet de la Terre à Rio (Brésil).

Or, la biosphère est une entité statique, comme peut l'être l'atmosphère. Alors que nous pouvons voir dans le mot biodiversité une insistance sur le terme diversité, et sur le fait qui nous regardons la biosphère sous différents angles. Nous pouvons à la fois compter les espèces, mais au sein de celles-ci, nous pouvons aussi compter les individus. Nous pouvons aussi regarder les gènes ou encore les interactions entre les espèces et leurs écosystèmes. La biodiversité, ce sont tous ces regards que nous portons sur la biosphère.

Pourquoi parle-t-on beaucoup moins de la biodiversité que du climat ? 

B. D. : Nous parlons moins de biodiversité aujourd'hui car ces sujets sont beaucoup moins portés que ceux sur le climat. Et cela s'explique pour deux raisons. D'une part, nous en parlons depuis bien moins longtemps en raison du décalage de vingt-cinq ans qu'il y a entre la création du GIEC (Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat, ndlr) d'un côté et de l'IPBES (Plate-forme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques, ndlr) de l'autre. 

Et, d'autre part, le message climatique est relativement plus simple à faire passer, car c'est globalement une histoire de température et d'humidité. Lorsque nous parlons de biodiversité, la définition est plus difficile car c'est très compliqué d'en avoir une approche globale et simple à partir de quelques paramètres, comme c'est cas avec le climat. Or, nous devrions attacher bien plus d'importance à la biodiversité que nous ne le faisons aujourd'hui.

Pourquoi le maintien de la biodiversité est-il si important pour la Terre, comme pour l'homme ? 

B. D. : La Terre ne peut tout simplement pas vivre sans le vivant, c'est lui qui l'a fait fonctionner. Et c'est pareil pour le climat, il influence la biodiversité, mais il est en retour très influencé par celle-ci. Sans elle, la composition de l'atmosphère ne serait pas celle-ci. Et c'est pareil pour l'homme. Nous sommes très très liés à la biodiversité, car nous mangeons, nous digérons, nous respirons, nous nous soignons grâce au vivant. Nous sommes totalement dépendants. Et toutes les espèces sont interdépendantes des unes des autres. Et nous sommes une espèce animale parmi d'autres, donc nous ne pouvons pas nous affranchir du vivant. Et si nous le faisons, nous mourons. 

Comment explique-t-on que la perte de biodiversité est beaucoup moins visible que le changement climatique ?

B. D. : L'homme souffre d'amnésie environnementale. Lorsque nous faisons référence au changement climatique, nous nous souvenons surtout d'événements qui nous ont frappés. L'été 2022 aura très certainement marqué un grand nombre de personnes par la longueur des pics de chaleur ou la sécheresse très intense. Ces moments deviennent donc des points de référence.

Quand il s'agit de biodiversité, nous parlons surtout de déclins d'abondance, c'est-à-dire que nous comptons de moins en moins d'individus dans une espèce sans pour autant que celle-ci s'éteigne Mais qui le constate vraiment ? En toute honnêteté, est-ce que cela se voit ? Est-ce que d'une année sur l'autre, nous nous apercevons de ce déclin progressif ? A titre de comparaison, c'est un peu comme notre reflet dans le miroir le matin, où notre visage est identique à celui de la veille. Mais si nous prenons une vieille photo, c'est là que nous nous disons que nous avons changé. Pour la biodiversité, c'est pareil. Nous nous habituons tous les jours à voir qu'il y a moins d'oiseaux, moins d'insectes...

Quel est l'état actuel de la biodiversité ?

B. D. : Il n'est pas très bon. Des scientifiques ont récemment pesé la biodiversité et ont constaté que les mammifères sauvages ne pèsent plus que 3 % du poids total des mammifères sur Terre, le reste étant le cheptel et nous. Pourtant, il n'y en a pas tant d'espèces que cela qui ont disparu, nous sommes sur 3 ou 4 % d'extinction constatée.

Si nous imaginons que nous allons survivre grâce à notre technologie ou notre arsenal thérapeutique, nous nous tromponsBruno David, président du Muséum national d'histoire naturelle

Par contre, si nous regardons la trajectoire de déclin d'abondance des espèces, lorsque l'on compte les individus au sein des espèces, on constate que 20 à 25 % des espèces pourraient s'éteindre dans les décennies qui viennent parce qu'elles sont en fort déclin. Il y aura forcément des répercussions sur les écosystèmes au risque de mettre en péril d'autres espèces. Et ce processus d'extinction peut s'accélérer à partir d'un certain seuil.

D'ailleurs, de nombreux scientifiques, dont vous-même, disent que nous nous trouvons à l'aube de la «sixième extinction». Qu'est-ce que cela signifie ? Et qui est responsable de ce phénomène ?

B. D. : Nous nous trouvons sur la trajectoire d'une extinction de masse. Toutefois, nous ne sommes qu'au tout début de celui-ci si nous nous comparons aux grandes extinctions du passé géologique de la Terre. Par contre, nous allons très très vite sur cette trajectoire. Elle va aujourd'hui cent à mille fois plus vite que lors des grandes crises du passé. La vitesse de cette crise est inédite.

Mais la bonne nouvelle, c'est que comme nous sommes à l'origine du problème, cela signifie aussi que nous sommes à l'origine de la solution, encore faut-il que l'homme veuille changer son mode de vie.

Et pouvons-nous encore faire marche arrière ?

B. D. : Il n'est jamais trop tard. Puisque nous sommes encore qu'au début, nous pouvons encore agir, mais comme cela va très vite, il ne faut pas trop tarder à agir. Et, même s'il y a peut-être trop d'inertie dans le système et que nous allons droit dans le mur, nous pouvons encore réduire son épaisseur, notamment en réduisant les facteurs de pression sur la biodiversité. Nous les connaissons très bien. Il s'agit de la pollution, de l'occupation des espaces ou encore de la surexploitation des ressources naturelles. Alors si nous réduisons tout cela, la biodiversité ira déjà mieux.

Et si nous n'enrayons pas cette «6e extinction», l'homme en fera-t-il partie ?

B. D. : J'en suis persuadé, l'homme en fera partie car nous ne sommes rien sans le reste du vivant. Nous sommes une espèce complexe qui nous fragilise donc nous avons besoin très égoïstement du reste du vivant.  Donc si nous voulons une bonne raison pour lutter contre cette «6e extinction», c'est notre propre survie qui doit nous motiver à protéger la biodiversité. Car si nous imaginons que nous allons survivre grâce à notre technologie ou notre arsenal thérapeutique, nous nous trompons gravement. C'est un péché d'orgueil de l'homme de croire qu'il va s'en sortir sans les autres. 

Alors que s'ouvre aujourd'hui à Montréal la COP15 pour la biodiversité, pensez-vous que ce rendez-vous international est à la hauteur des enjeux pour endiguer la crise de la biodiversité? 

B. D. : J'aurais normalement attendu beaucoup de cette COP15 si elle s'était tenue comme s'était prévue avant la pandémie, au printemps 2020 à Kunming en Chine. Mais malheureusement, elle a été reportée plusieurs fois et la biodiversité a été victime de ces reports successifs.

De plus, j'espérais que la COP15 allait jouer un peu le même rôle que la COP21 sur le climat, avec la prise de grands engagements. Mais, elle va se tenir, selon moi, dans des conditions relativement bancales et elle ne donnera très probablement pas le résultat que nous aurions pu espérer si elle s'était maintenue il y a deux ans et demi. 

Bruno David, A l'aube de la 6e extinction. Comment habiter la Terre, éditions Grasset, 2021, 19,50 euros.

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