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Sécheresse : que faut-il attendre du «plan eau» dévoilé par Emmanuel Macron ce jeudi ?

Emmanuel Macron a choisi les Hautes-Alpes et la commune de Savines-le-Lac, pour venir présenter son grand plan national pour l’eau. [Yoan Valat/REUTERS]

Emmanuel Macron a choisi de se rendre dans les Hautes-Alpes, ce jeudi 30 mars, pour présenter son plan national pour l’eau, une ressource menacée par les sécheresses et le réchauffement climatique. Le président doit présenter des solutions concrètes au sortir d’un hiver très sec et dans un contexte tendu autour de la question des méga-bassines.

Va-t-il couper le robinet ? Alors qu’il n’avait plus quitté Paris depuis près de deux mois, Emmanuel Macron a choisi les Hautes-Alpes et la commune de Savines-le-Lac, pour venir présenter, accompagné par les ministres de la Transition écologique, Christophe Bechu, et de l’Agriculture, Marc Fesneau, son grand plan national pour l’eau. À cette occasion, le chef de l’État va présenter une cinquantaine de mesures pour préserver une ressource de plus en plus menacée par le dérèglement climatique, et par une gestion qui présente de nombreuses failles. 

«Avec le changement climatique, le cycle de l'eau en France a connu d'importantes modifications au cours des dernières décennies», a souligné l'Elysée dans un communiqué citant divers épisodes de sécheresse comme en 2022, la diminution du niveau des nappes phréatiques et le changement du rythme des pluies. «Ces changements affectent de nombreux secteurs comme l'agriculture, l'énergie ou l'industrie» et nécessitent de «tendre vers un système plus sobre, plus résilient et mieux concerté», a aussi précisé la présidence.

«Afin de répondre à ces défis, le chef de l'Etat proposera une série de mesures visant à redéfinir, en lien avec les élus et les collectivités territoriales, notre politique de gestion de l'eau pour l'adapter aux enjeux du changement climatique», a-t-elle ajouté. 

État des lieux 

Après avoir connu en 2022 le deuxième été le plus sec jamais enregistré, ainsi qu'une série de trente-deux jours consécutifs sans véritable pluie entre les mois de janvier et février 2023, la France, qui voit ses nappes phréatiques se vider, devrait à nouveau connaître une importante période de sécheresse au cours de l’été qui arrive. Actuellement, il y a deux zones très sensibles dans le pays : les Pyrénées-Orientales et le Var, qui atteignent déjà des niveaux d’aridité très importants pour la France.

Déjà à l’été 2022, plus de 1.300 communes se sont retrouvées avec des problèmes d’alimentation en eau potable, ce qui est une grande première. La dernière fois que cela s’est produit, en 2005, seulement deux communes étaient concernées. C'est l'un des symboles de l’accélération de la sécheresse. Et cette dernière a également d'autres conséquences que le manque d’eau. En effet, quand l'eau de pluie tombe enfin, elle ne peut s’infiltrer dans les sols devenus trop secs et compacts. Cela provoque des accumulations, des ruissellements et des inondations.

Pourtant, depuis 2008, la France métropolitaine puise en moyenne 32,3 milliards de m3 d’eau par an, que l'on appelle l'eau «prélevée» et qui est pour la majorité restituée dans les milieux aquatiques après utilisation. Au sein de ce volume, une partie (5,3 milliards de mètres cubes d’eau), n'est pas restituée puisqu'elle est utilisée pour l'eau courante que nous buvons, pour l'agriculture (le bétail), ou encore le nucléaire (évaporation). C'est ce que l'on appelle l'eau «consommée». 

Les deux tiers sont captés dans le sous-sol (ce qui est plutôt un gage de qualité) dans des sources ou des nappes profondes. Le tiers restant provient de la surface. Il est pompé dans les fleuves, rivières ou lacs, autrement dit dans des milieux plus exposés aux contaminations diverses. Au total, on prend dans la nature un peu plus de 85 m3 d'eau par habitant et par an, soit 234 litres d’eau par personne et par jour. 

Initialement annoncé pour le 26 janvier et plusieurs fois reporté depuis, ce plan doit donc présenter des mesures qui vont répondre à trois grandes problématiques : la réduction des prélèvements, la réduction du gaspillage, mais aussi une meilleure gouvernance pour éviter les conflits d’usage. 

La réduction des prélèvements

«En France nous faisons face à une problématique de besoin et pas de manque», détaille Charlène Descollonges, hydrologue indépendante et co-fondatrice de l'association «Pour une Hydrologie Régénérative». «Tout l’enjeu de ce plan pour le gouvernement est d’organiser la priorisation de ces besoins», explique-t-elle pour CNEWS. 

En effet, même si le changement climatique contribue à amoindrir les ressources disponibles en eau, (les experts climat anticipent une diminution de 10 à 40% de la ressource en eau, jusqu'ici abondante dans le climat tempéré de la France, dans les prochaines décennies), seuls 18% pour de ces ressources sont puisés. «Lorsque l’on zoome localement, c’est là qu’on se rend compte des véritables situations problématiques, et notamment dans le sud de la France», abonde Charlène Descollonges. 

Le défi pour le gouvernement est donc de trouver un moyen de réduire non-seulement la part de l’eau prélevée mais aussi la part de l’eau consommée. «Nous attendons des décisions fortes du gouvernement, des décisions qui tendront vers la sobriété, et pas seulement vers l’innovation pour améliorer la réutilisation des eaux usées», confirme Charlène Descollonges. 

Pour ce faire, le gouvernement devrait annoncer un objectif de réduction des prélèvements de 10% d’ici 2025 et de 25% d’ici 2035, soit plus de 3, puis 8 milliards de mètres cubes d’eau douce à économiser. «Ce plan va s'occuper de quantité : comment on fait avec moins, et de qualité, puisqu’on n'a que 44% des masses d'eau en France qui sont en bon état écologique», a pour sa part déclaré le ministre de la Transition écologique, Christophe Béchu. 

Réduire le gaspillage

Autre aspect annoncé du plan : la lutte contre les gaspillages. L’eau courante utilisée par les Français représente 4,9 milliards de m3 mis en circulation en 2020, selon les chiffres de l’Office français pour la biodiversité (OFB). Mais environ 20% de ce volume est perdu chaque année à cause de fuites dans les réseaux de distribution (canalisations). On considère donc que «seulement» 3,7 milliards de m3 d’eau potable sont réellement consommés.

Actuellement, environ «un litre d'eau potable sur cinq part dans les fuites», et même «un litre sur deux dans certains territoires, c'est juste pas possible», a déclaré Christophe Bechu sur France Inter. L'un des aspects du plan concernera donc la réduction de ce gaspillage, notamment à travers la rénovation de l'ensemble des réseaux de canalisations. «L’État doit mettre en place un grand plan d’investissement pour soutenir les collectivités dans ce travail de lutte contre le gaspillage», précise Charlène Descollonges. 

Par ailleurs, Les Français consomment environ 148 litres par jour et par personne, soit le volume d'une baignoire, dont 40% pour l'hygiène corporelle et 20% pour la chasse d'eau, selon l'Ademe. Si ce chiffre reste globalement stable depuis une dizaine d’années, des solutions sont attendues pour permettre par exemple l’utilisation d’eau non potable pour les lave-linge ou le fond des toilettes. 

Enfin, le plan prévoit aussi des mesures pour augmenter le taux de réutilisation des eaux usées, inférieur à 1% en France (environ 0,6%), contre 8% en Italie, 14% en Espagne, et même 85% en Israël.

Volet agricole avec les méga-bassines

En plus des luttes contre le gaspillage et de la réduction des prélèvements, l'un des volets les plus scrutés du plan sera très certainement celui concernant l'agriculture, grande consommatrice d'eau via l'irrigation. Si cette pratique concerne seulement sur 7% des surfaces cultivées, elle est utilisée le plus souvent en été, quand la ressource est rare.

De plus, le sujet est pour le moins explosif et des solutions sont très attendues, alors même que des milliers de personnes se sont rassemblées cette semaine dans le département des Deux-Sèvres pour manifester contre les «méga-bassines», de vastes réservoirs dédiés à l'irrigation des cultures, contestés par la quasi-totalité des écologistes et une partie du monde agricole. 

De son côté, le ministre de la Transition écologique a défendu ce projet qui fait polémique. Les bassines ne sont pas «un projet pour remplir le bain bouillonnant des agriculteurs, c’est un projet fait pour assurer de la production agricole pour nous nourrir», a-t-il affirmé. «Les bassines sont des retenues d'eau, remplies l'hiver en pompant dans les nappes phréatiques, pour pouvoir irriguer l'été. À Sainte-Soline, le niveau des nappes déterminera ou non l’autorisation de prélever. C’est prévu dans le projet. Si les nappes ne sont pas remplies, il n’y aura pas d’autorisation de remplissage de la bassine», a-t-il précisé. 

Un projet récusé par Charlène Descollonges : «Ces méga-bassines sont des solutions anachroniques, incompatibles avec l'objectif de sobriété sur l'eau, pourtant affirmé par le chef de l’État. Aucune étude ne prouve avec certitude, l'efficacité de ces systèmes à l'échelle d'un bassin versant. Ce sont des systèmes qui continuent par ailleurs à alimenter une agro-industrie très dépendante des énergies fossiles et donc à rebours des enjeux climatiques», a-t-elle détaillé. 

«L'eau doit rester le plus possible pour les nappes, été comme hiver. L'eau «en excès» profite aux écosystèmes en aval. Et non, ces réservoirs ne sont pas conçus pour surstocker en cas de crue, c'est un mythe», a conclu Charlène Descollonges. 

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