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Le procès de Ryanair lève le voile sur une gestion "low cost"

Un avion de la compagnie aérienne Ryanair [ / ANP/AFP/Archives] Un avion de la compagnie aérienne Ryanair [ / ANP/AFP/Archives]

Le procès de la compagnie aérienne irlandaise à bas coûts Ryanair, qui se voit réclamer près de 10 millions d'euros d'indemnités pour avoir enfreint le droit social français à l'aéroport de Marseille, a levé le voile, jeudi, sur sa gestion "low cost" du personnel navigant.

Le champion européen du transport aérien, représenté par quatre avocats en l'absence de tout dirigeant, a tenté une nouvelle fois d'échapper à l'audience, dont il avait obtenu le renvoi fin janvier en faisant valoir notamment qu'il n'avait pas reçu de citation à comparaître.

Celle-ci a pourtant été remise aux autorités irlandaises d'après le tribunal correctionnel d'Aix-en-Provence, qui dénonce à demi-mot obstruction irlandaise et manoeuvres dilatoires. Mais la défense n'en démordait toujours pas jeudi.

"Aucune citation n'a été délivrée à Ryanair et rien dans le dossier ne démontre qu'elle l'a été", a soutenu Me Luc Brossollet. "Le tribunal ne peut retenir cette affaire", a renchéri son confrère Marc-Antoine Lévy.

En vain: le parquet balayait leurs arguments et le tribunal décidait de poursuivre les débats en joignant les incidents au fond.

Michael O'Leary, PDG de Ryanair, pose le 16 janvier 2013 à Vitrolles près de Marseille [Gerard Julien / AFP/Archives]
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Michael O'Leary, PDG de Ryanair, pose le 16 janvier 2013 à Vitrolles près de Marseille
 

Après la condamnation d'easyJet en 2010 pour des faits similaires, Ryanair est poursuivi pour travail dissimulé, entrave au fonctionnement du comité d'entreprise, à celui des délégués du personnel, à l'exercice du droit syndical, et emploi illicite de personnels navigants (non affiliés au régime complémentaire obligatoire de retraite).

Elle encourt jusqu'à 225.000 euros d'amende et une peine complémentaire allant de l'affichage du jugement à la dissolution de l'entreprise. Les parties civiles - l'Urssaf, Pôle Emploi, la Caisse de retraite du personnel navigant et le Syndicat national des pilotes de ligne - réclament aussi 9,8 millions d'euros de cotisations sociales non versées.

A l'origine de l'affaire, la base ouverte à l'hiver 2006-2007 sur l'aéroport de Marignane (Bouches-du-Rhône). Ryanair y base alors quatre avions et 127 salariés sans déclarer cette activité ni au registre du commerce, ni à l'Urssaf. Pas plus qu'elle ne remplit de déclaration fiscale en France, ni n'applique à ses employés la législation française du travail.

Pour Ryanair, c'est le droit irlandais qui prévaut en Provence car elle n'y a pas d'activité pérenne, ses salariés prenant selon elle leurs consignes au siège, à Dublin, pour une activité marseillaise temporaire.

L'enquête des gendarmes, déclenchée en 2009 par des plaintes, révèle cependant que Ryanair dispose à Marignane de 300 m2 de locaux, avec des lignes fixes, 95 casiers au nom des salariés - les étiquettes furent remplacées par des numéros avant une perquisition - des sous-traitants et deux cadres reconnus comme supérieurs hiérarchiques. Une surveillance des parkings révèle aussi que les salariés vivent dans la région.

C'était le cas de l'Américain Morgan Fischer, un ancien commandant de bord-instructeur basé à Marignane pendant quatre ans. "J'habitais Aix, j'aimais beaucoup ma vie en France", a-t-il raconté à la barre. Il travaillait cinq jours d'affilée, revenant chaque soir à Marignane, puis se reposait quatre jours, avec un programme de vols défini "un mois à l'avance". Mais payé en Irlande, il s'acquittait de ses impôts là-bas.

C'était le cas aussi des 56 hôtesses et stewards mis à disposition de Ryanair par deux sociétés, Crewlink et Workforce, répertoriées en Irlande comme des organismes de formation. Sans rémunération fixe, on leur versait, de l'autre côté de la Manche, 16,20 euros de l'heure de vol, plus 30 euros par jour d'astreinte à l'aéroport. Avec in fine l'espérance d'une embauche directe par Ryanair.

Pour l'accusation, la compagnie bénéficiait ainsi "d'une main d'oeuvre flexible, bon marché et particulièrement docile et motivée". Mais c'est le droit français qui aurait dû s'appliquer à ces navigants, en vertu d'un décret de 2006 transposant des règlements européens.

Mise en examen fin 2010, Ryanair avait répliqué par un fracassant faux-départ avec le soutien d'élus locaux, le maire UMP de Marseille, Jean-Claude Gaudin en tête. La compagnie fermait sa base mais trois semaines plus tard, elle rouvrait la plupart des lignes en affectant à Marignane deux avions pour la saison estivale, et non toute l'année, contournant ainsi la loi. Son activité provençale est depuis allée crescendo, contribuant aux 570 millions d'euros de bénéfices engrangés par Ryanair sur le dernier exercice.

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