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"Opex", affaire Merah : un aumônier parachutiste témoigne

Guillaume Zeller (à g.) et le Père Christian Venard (à d.). [©R.MEIGNEUX/SIPA ]

C'est un prêtre pas comme les autres. Le Père Christian Venard est aumônier parachutiste. Un sacerdoce qui l’a conduit en "opex" du Kosovo au Liban, de l’Afghanistan au Mali. Mais aussi à Montauban, où il était affecté au moment de la deuxième attaque de Mohamed Merah contre des hommes du 17e Régiment de génie parachutiste. Le journaliste Guillaume Zeller a recueilli son témoignage, qu'il rapporte dans un ouvrage paru ce mois-ci. Un éclairage sur le délicat équilibre à trouver entre sacerdoce et condition militaire.

 

Comment est née votre collaboration ?

Guillaume Zeller : Nous nous étions croisés sur un plateau de télévision. Le 22 mars 2012, date de la mort de Merah, le Père Venard m’a envoyé l’homélie qu’il prononçait le jour même pour l’enterrement d’Abel Chennouf, un des parachutistes tués peu avant à Montauban, qui est mort dans ses bras.

Christian Venard : Guillaume m’a ensuite proposé de faire cet ouvrage, et ma première réaction a été hésitante. Mais il a su trouver les mots. Ce qui m’a plus dans ce projet était de pouvoir, à travers un témoignage personnel, rendre hommage à l’engagement de nos militaires. Et peut-être, à travers mon exemple, de faire découvrir au lecteur le parcours d’un jeune homme des années 1980 à aujourd’hui dans cet engagement un peu spécial, à la fois au service de l’Église et au service de nos armées.

 

Vous dites vouloir rendre hommage à ceux dont on parle peu …

C.V. On parle peu et souvent pas toujours bien de nos armées dans les grands médias. Mais tout n’est pas de leur faute ; Église et Armée sont deux institutions qui ont du mal à communiquer. Concernant l’Armée, la disparition du service national a fait que beaucoup de journalistes connaissent aujourd’hui très peu le monde militaire. Et du fait d’une certaine déchristianisation de notre pays, beaucoup de journalistes connaissent peu le fait religieux.
 

 

Le fait de ne pas avoir de grade vous donne-t-il un droit à une parole plus libre ?

C.V. La position transverse de l’aumônier, et le fait qu’il soit hors de la hiérarchie, lui donnent la possibilité d’une parole un peu plus libre. Et ce dans une institution très hiérarchisée, dans laquelle, pour de bonne raisons, on ne peut pas laisser tout un chacun s’exprimer comme il veut. Mais attention, l’aumônier n’est pas un syndicaliste !
 

 

Est-ce un équilibre difficile d’être à la foi prêtre et parachutiste ?

C.V. La vie est une marche, et la marche suppose des équilibres. Autrement on s’arrête, on ne bouge plus. À partir du moment où on accepte de bouger, on accepte de prendre des risques, et c’est vrai que vivre avec cette double casquette est une forme de risque. Parce qu’il n’est pas évident de combiner le métier de parachutiste et celui de curé. Nous sommes là, donc c’est possible. Mais concrètement, dans la vie des aumôniers parachutistes, il y a un perpétuel balancement, un perpétuel tiraillement entre les attentes religieuses et militaires.
 

 

Les hommes vous surnomment “Padre”, mais vous êtes aussi leur ami, voire leur psychologue... Un véritable couteau suisse...

C.V. J’aime l’idée d’être à la fois un frère et un père. Un frère car nous (les aumôniers) partageons la vie des militaires, y compris dans les opérations extérieures. Mais nous sommes aussi pères, car nous avons à jouer un rôle de fédération, d’humanité, et de par notre fonction, nous renvoyons à une réalité qui dépasse l’être humain : la transcendance, c’est-à-dire Dieu.

 

Servir dans l’Armée signifie aussi être confronté à d’autres religions voire à l’athéisme. Est-ce une difficulté ?

C.V. C’est un appel à se dépasser, avec l’envie d’être proche de tous, quel que soit leur culte ou leur absence de culte. Cela me permet, en tant que prêtre catholique, peut-être plus que certains de mes confrères, de mieux sentir ce que vivent nos contemporains. Car certes le militaire porte un treillis, mais il est aussi marié, a des enfants ou va en boîte de nuit. 

G.Z. Un curé de paroisse a ses problèmes, mais les personnes qu'il côtoie sont des chrétiens. Pour le Père Venard, c’est l’inverse, il est plongé dans un environnement sécularisé, à l’image de la société française. C’est une sacrée expérience sacerdotale, qui lui donne une ouverture d’esprit utile à l’Église.

 

Vous partagez avec les “paras” les joies, les peines, et la mort.L’affaire Merah a-t-elle été la plus difficile des épreuves traversées ?

C.V. La plus choquante. Je suis aumônier de parachutistes, donc préparé à vivre cela en opération extérieure. Mais le vivre sur notre territoire national et se rendre compte que des militaires français ont été pris pour cibles parce qu’ils étaient militaires m’a profondément choqué.
 

 

De tels événements ont-ils ébranlé votre foi ?

C.V. Ébranlé, non. Mais questionné, sûrement. La foi chrétienne n’est pas une secte avec une réponse absolue à tout, mais un questionnement. Comment concilier ma foi dans un Dieu d’amour avec la violence et la mort ? C’est une interrogation permanente.
 

 

Dans votre témoignage, on croit comprendre que donner sa vie à Dieu est plus facile qu’un premier saut en parachute...

C.V. J’ai eu des années pour me préparer à donner ma vie à Dieu, mais deux semaines pour le saut en parachute. Mais on ne devient pas aumônier militaire pour cela. Et même si nous sommes très fiers de sauter, nous sommes tous passés au départ par cette foutue porte de l’avion avec la peur au ventre.
 

 

Avec un budget en péril, la situation de l’Armée est-elle alarmante ?

C.V. Concernant le soutien matériel des militaires, on atteint des limites. Les soldats ne peuvent le dire compte tenu de leur devoir de réserve, mais je me le permets.

G.Z. Avec le scandale Louvois, des hommes n’ont pas été payés pendant des mois. Et d’autres rafistolent encore leurs Rangers avec du scotch ou doivent acheter des duvets car ils n’ont pas le matériel adapté au théâtre d'opérations... Ces hommes donnent pourtant beaucoup, et ce pour une mission loin d’être anodine. 

 

Un prêtre à la guerre, le témoignage d’un aumônier parachutiste” (Ed.Tallandier), de Christian Venard et Guillaume Zeller, 18,90 euros.

 

 

Albert Chennouf : "Je ne vis ni dans la haine ni dans la guerre"

 

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