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Moruroa, "l'atoll du grand secret" de l'armée française

Un soldat en faction dans une cabine près de l'aéroport de Moruroa, le 13 février 2014 [Gregory Boissy / AFP] Un soldat en faction dans une cabine près de l'aéroport de Moruroa, le 13 février 2014 [Gregory Boissy / AFP]

Un soldat secoue énergiquement la cloche à l'entrée du réfectoire de la base militaire, au bord du lagon de Moruroa, "l'atoll du grand secret" où l'armée française joue exceptionnellement la transparence.

Les 35 militaires sont un peu tendus: ils reçoivent la visite du contre-amiral Anne Cullere, commandant supérieur des forces armées en Polynésie française.

Un caporal ajuste encore une fourchette, époussette une assiette, et le contre-amiral arrive, escorté d’une dizaine de gradés et d’autant de journalistes.

Pour Mme Cullere, Moruroa n’est plus "l’atoll du grand secret", même s’il est toujours ainsi surnommé par les associations de vétérans des essais nucléaires français dans le Pacifique. Il s'agit de rassurer la population sur les risques d'effondrement, jugés "très improbables", de la structure géologique qui créerait une vague géante.

Le contre-amiral Anne Cullere répond aux journalistes dans une base de Moruroa, le 13 février 2014 [Gregory Boissy / AFP]
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Le contre-amiral Anne Cullere répond aux journalistes dans une base de Moruroa, le 13 février 2014
 

Moruroa et l'atoll voisin de Fangataufa ont servi de 1966 à 1996 de lieu d'expérimentation à près de 200 essais nucléaires français.

Mais l’opération transparence voulue par l'armée connaît quelques ratés. "On nous a dit de pas trop approcher les journalistes, de pas trop leur parler", glisse, un peu candide, l’un des soldats. Un autre reconnaît avoir eu pour consigne de ne parler que de la vie quotidienne et surtout pas de nucléaire ni de pollution des eaux. "Mais si vous saviez tout ce qu’il y a là-dessous, des bagnoles, des camions, des tonnes de ferraille, ils ont tout balancé à la mer", souffle-t-il.

Pendant la pause, un petit groupe s’est formé autour du baby-foot installé au milieu d’un des dortoirs. Avec la musculation et le ping-pong, c’est l’un des loisirs les plus prisés sur la base. Il y a bien un petit bar, mais il sert surtout des sodas. "La hinano, c’est plutôt à Papeete", s’amuse un militaire qui a visiblement apprécié la bière tahitienne.

"On mange aucun produit local, tout vient par avion", regrette son voisin de chambrée. Officiellement, on peut pourtant tout consommer sur l’atoll. "Sauf le poisson, parce qu’il a la ciguatera", une maladie présente dans certains lagons polynésiens, précise un officier. La noix de coco non plus, officiellement parce qu’elle peut "tomber sur la tête des soldats", et parce qu'elle est utilisée pour une expertise annuelle d’échantillons expédiés en France.

Pas non plus de potager : "les militaires ne sont pas des jardiniers", justifie un officier. Reste l’unique papayer de l’île qui "fait de très bonnes papayes", assure le commandant de la base, le capitaine André Roussière.

Télévision ou Bidochon

 

Les soldats et sous-officiers du 31ème régiment de Castelsarrasin (Tarn-et-Garonne) resteront un mois sur l'atoll, à trois heures et demi de vol de Tahiti. Les cadres, eux, restent quatre mois à Moruroa, et le temps est parfois long. Surtout quand les missions essentielles consistent à couper des arbres, à transmettre des relevés radiologiques ou à empêcher d'hypothétiques intrusions.

L'ossuaire de Moruroa, le 13 février 2014, où ont été enterrés des os humains retrouvés en 1963 [Gregory Boissy / AFP]
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L'ossuaire de Moruroa, le 13 février 2014, où ont été enterrés des os humains retrouvés en 1963
 

Les plus solitaires regardent la télévision ou lisent des bandes dessinées, la collection complète des Bidochon est à leur disposition.

Cet après-midi sera consacré au nettoyage de la zone de l'ossuaire, un petit mémorial où ont été enterrés les os des Polynésiens d’autrefois, découverts pendant les travaux du Centre d’Expérimentations du Pacifique (CEP). Un lieu considéré avec respect par les deux seuls Tahitiens de la troupe.

L'un d'eux, le caporal-chef Rudolph Faatau, n'avait pas revu sa famille depuis son engagement dans l'armée, neuf ans plus tôt. Et la vie sur l'atoll lui plaît, même si elle est un peu monotone.

"Ici, y'a pas de boîte de nuit, alors soit on va à la plage, soit on fait du sport, et le soir, c’est manger et dodo, mais bon, c’est la belle vie, c’est un peu les vacances", sourit-il, des touffes d'herbe collées sur le visage par la sueur, avant de continuer à désherber la zone qui lui a été attribuée.

Un capteur sismique sur l'atoll de Moruroa, le 13 février 2014 [Gregory Boissy / AFP]
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Un capteur sismique sur l'atoll de Moruroa, le 13 février 2014
 

Il y a parfois quelques civils sur l’atoll. On les reconnaît à leur barbe et leur short de surf. Ulysse Lesbros, plongeur professionnel, filme les quais sous l’eau après les avoir débarrassés du corail qui y pousse, afin que l'armée puisse évaluer les travaux nécessaires, avant le grand chantier qui devrait débuter à la fin de l’année.

Il s'agira de moderniser le dispositif de surveillance sismologique des sols de Moruroa, afin d'anticiper un éventuel effondrement. Pendant trois ans, l'atoll connaîtra une relative affluence avec jusqu'à 180 ouvriers attendus sur ce chantier.

Mais rien à voir avec la période nucléaire: à l'apogée du CEP, près de 3.000 hommes ont vécu sur cette étroite bande de corail de l’archipel des Tuamotu.

 

 

 

 

 

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