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Antisémitisme: la France confrontée à une hausse des actes, pas des opinions

Des policiers français devant la synagogue Nazareth à Paris le 7 octobre 2012 [Lionel Bonaventure / AFP/Archives] Des policiers français devant la synagogue Nazareth à Paris le 7 octobre 2012 [Lionel Bonaventure / AFP/Archives]

Les incidents près de synagogues parisiennes sont-ils le signe d'une montée de l'antisémitisme en France? Des experts répondent avec prudence, relevant que si une hausse des actes antisémites est observée, ce n'est pas le cas des opinions.

Plusieurs personnalités de la première communauté juive d'Europe ont exprimé leur émotion après un week-end agité: échauffourées rue de la Roquette à Paris, jet de cocktail Molotov contre une synagogue à Aulnay-sous-Bois, insultes devant une autre à Asnières...

"C'était un peu la Kristallnacht (la Nuit de cristal de 1938 en Allemagne, NDLR) et on a échappé de peu à un véritable pogrom", a estimé le président du Conseil représentatif des institutions juives de France (Crif), Roger Cukierman. "Jamais un tel événement ne s'était produit en France depuis le Moyen-Age", a écrit Arno Klarsfeld, ancien avocat des Fils et filles des déportés juifs de France, évoquant les "centaines d'individus" ayant "tenté de prendre d'assaut" la synagogue de la Roquette.

"Ces comparaisons historiques me semblent malvenues pour apprécier la situation", tempère le sociologue Samuel Ghiles-Meilhac auprès de l'AFP. "Les pogroms ou la Nuit de cristal, ce sont des mouvements de violence tolérés voire encouragés par les pouvoirs en place. En France, les autorités publiques réagissent, et absolument rien n'indique qu'une majorité de la population valide cela."

"L'émotion est très forte, mais elle n'est pas uniquement liée à ce qui s'est passé dimanche, elle est le produit de ces dernières années, avec les actes de Mohamed Merah et Mehdi Nemmouche, l'affaire Dieudonné, la manifestation Jour de colère (où des +Mort aux Juifs!+ ont été lancés, ndlr)... Il y a le sentiment, dans une partie de la communauté juive, qu'une lame de fond antisémite s'est installée", ajoute le chercheur.

Directeur de l'observatoire des radicalités politiques, Jean-Yves Camus a assisté aux heurts près de la Bastille. "Quand bien même il ne se serait rien passé rue de la Roquette, je considère qu'à partir du moment où, dans les rues de Paris, des manifestants brandissent le drapeau noir de l'Etat islamique au Levant ou des mini-roquettes, même en carton-pâte, il y a quelque chose qui ne colle pas."

Selon le politologue, lors de l'opération de l'armée israélienne Plomb durci en 2009, "des manifestations avaient déjà dérapé", attirant "beaucoup plus de monde".

"La mobilisation régresse en ampleur. Les radicaux sont d'autant plus visibles que, dans la manifestation, le rapport numérique est en leur faveur", note le chercheur.

- "Antisémitisme de contact" -

Les actes antisémites se maintiennent à un niveau élevé depuis 2000 et la seconde Intifada: le Service de protection de la communauté juive (SPCJ), qui en avait relevé 423 en 2013 selon les plaintes comptabilisées par le ministère de l'Intérieur, a noté une nouvelle hausse au premier trimestre 2014, avec 169 actions violentes et menaces recensées, soit 44% de plus que sur la même période de l'an dernier.

Selon le SCPJ, organisation communautaire qui travaille en lien avec les pouvoirs publics, les Juifs sont victimes de 40% des violences physiques racistes en France, alors qu'ils représentent moins de 1% de sa population.

"On constate une montée des actes antisémites le plus souvent en lien avec l'aggravation du conflit israélo-palestinien", commente la politologue Nonna Mayer. Un "antisémitisme de contact", actif là où les deux communautés (juive et musulmane) sont présentes, et s'en prenant à ce qui est visible dans l'espace public: synagogues, mezouzahs sur les portes, hommes portant la kippa...

Que sait-on des auteurs? "On a le sentiment que, pour les rares cas où les agresseurs sont identifiés, les actes sont non seulement imputables à l'extrême-droite mais à des jeunes issus de l'immigration et qui se font une identité de substitution en s'identifiant aux victimes palestiniennes", répond Nonna Mayer, qui invite cependant à ne pas "disserter doctement sur l'antisémitisme chez les jeunes issus de l'immigration" à partir de cas "extrêmement minoritaires".

Ne pas confondre actes et opinions: l'examen de ces dernières montre qu'"il n'y a absolument pas de progression de l'antisémitisme, plutôt la persistance de deux stéréotypes traditionnels, le pouvoir des Juifs et leur rapport à l'argent", constate la sociologue.

"Tous nos sondages montrent que c'est la minorité juive qui est de loin la mieux acceptée, qui a la meilleure image", poursuit-elle. A la différence des populations arabo-musulmanes et roms qui, selon le dernier rapport sur le racisme de la Commission nationale consultativedes droits de l'homme (CCNDH), "sont les cibles privilégiées" de l'actuelle "recrudescence de l'intolérance".

"Les Juifs ne sont victimes d'aucune discrimination sociale en France, ils sont parfaitement intégrés. Et en même temps, comme minorité, ils sont la cible d'une fixation haineuse", tente de résumer Samuel Ghiles-Meilhac, devant une "conjonction de phénomènes dont on n'a pas les cadres d'analyse".

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