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Bébés échangés : 12 millions d'euros réclamés

Une maternité française. [Didier Pallages / AFP/Archives]

"Si ça nous est arrivé à nous, ça a pu arriver à d'autres", lance Sophie Serrano, mère de l'un des deux bébés échangés il y a vingt ans dans une maternité de Cannes. Les deux familles privées de leur enfant biologique ont réclamé mardi un dédommagement de plus de 12 millions d'euros devant le tribunal de Grasse.

 

Le tribunal de grande instance rendra son jugement le 10 février. Le 4 juillet 1994, Sophie Serrano accouchait d'une petite Manon. Atteinte d'une jaunisse, la fillette était placée dans la même couveuse munie de lampes UV qu'une autre nouveau-née, venue au monde le lendemain. Dans la nuit du 8 juillet, elles seront interverties par mégarde et remises à leurs faux parents par une auxiliaire puéricultrice.

Les jeunes mamans exprimeront des doutes, face à la longueur des cheveux des bébés, mise sur le compte des lampes par le personnel. "C'est quelque chose que je ne souhaite vraiment à personne. Il faudrait des peines exemplaires", a commenté mardi Sophie Serrano, émue, à la sortie de l'audience à huis clos, en tenant la main de Manon, sa fille non biologique aujourd'hui âgée de 20 ans.

"On espère vraiment cette reconnaissance, afin de nous libérer de toute cette culpabilité de ne pas avoir pu protéger son enfant, de pas avoir tapé du poing le jour où on a vu qu'il y avait un problème", glisse cette maman de trois enfants.

Manon, elle, se dit choquée quand les parties adverses accusent les mères de n'avoir pas reconnu leurs bébés. "Elle a contesté, elle se retrouve face à une infirmière diplômée, elle est toute jeune, elle vient d'avoir un enfant, mettre la faute sur elle, c'est aberrant, je trouve ça inhumain !", s'insurge-t-elle.

L'autre famille, présente mardi au tribunal, préfère rester anonyme. C'est à l'âge de dix ans que Manon et ses parents découvriront l'erreur. Le père de Manon réclame des tests ADN de paternité, troublé par son absence de ressemblance avec sa fille au teint plus hâlé, source de railleries. Sophie découvrira qu'elle n'est pas non plus la mère biologique.

Une enquête est menée pour retrouver l'autre famille. On s'aperçoit qu'à l'époque, trois nourrissons souffraient de la jaunisse dans la maternité cannoise, un garçon et deux filles, selon l'avocate de l'un des gynécologues accoucheurs mis en cause. Sont également poursuivis un autre gynécologue, deux pédiatres, la clinique et son assureur, et l'auxiliaire puéricultrice.

 

Un face-à-face "bouleversant"

L'autre famille, d'origine réunionnaise, vit dans la région de Grasse (Alpes-Maritimes). Les parents rencontrent pour la première fois leurs filles biologiques de dix ans, sans demander d'échange.

"C'est un moment assez troublant, très bizarre", évoque pudiquement Manon. "On se retrouve devant une femme qui est biologiquement sa mère et qui est une inconnue". 

Depuis lors, les deux familles ont pris leurs distances. "C'est trop difficile, donc chacun prend son chemin parce que c'est tellement bouleversant, c'était le seul moyen de retrouver une certaine stabilité", explique Sophie Serrano, 38 ans.

 

 12 millions d'euros de dommages réclamés par les familles

Les familles ont réclamé mardi à Grasse plus de 12 millions d'euros de dommages. Il est demandé 3 millions d'euros au titre du préjudice moral pour chaque fille échangée à la naissance, 1,5 million pour trois parents, ainsi que 750.000 euros pour chaque frère et soeur. S'y ajoute 100.000 euros de préjudice matériel.

Pour l'avocat de Sophie, Me Gilbert Collard, il faut que le tribunal prononce "une sanction civile sévère, qu'elle soit exemplaire, que les compagnies d'assurance aient peur, que les maternités aient peur".

Pour les dédommagements réclamés ,"on y va fort oui et non", estime l'avocat. "Mais si on veut que ça ait un impact sur les compagnies d'assurance, il faut que la somme soit élevée".

"L'enfant que ma cliente aime, elle l'a adopté sans le savoir et sans le vouloir", note-t-il. Pour Sophie Chas, avocate de la clinique et de sa société d'assurance, il n'y a pas vraiment de jurisprudence car les cas sont très rares en France. "Un autre cas il y a 50 ans a inspiré un film à Etienne Chatilliez", rappelle-t-elle.

"Si l'inversion a eu lieu, c'est le fait d'une salariée alcoolique chronique", attaque-t-elle, en l'absence de cette auxiliaire puéricultrice, tout en s'interrogeant sur l'absence de réactivité des parents durant dix ans.

 

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