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A leur retour, les otages face à la confusion des sentiments

Serge Lazarevic est arrivé en France.[MARTIN BUREAU / AFP]

 A l'euphorie de la libération succèdent la culpabilité, l'incompréhension et le laborieux retour à la vie en société: pour plusieurs anciens otages, Serge Lazarevic va devoir s'armer de patience pour renouer le fil d'une existence interrompue durant trois ans.

 

De l'avis de tous, le seul remède, c'est le temps.

"Dans un premier temps, on est en acier inoxydable... On marche sur l'eau. La priorité, c'est de serrer ses proches dans ses bras", explique à l'AFP Jean-Louis Normandin, pris en otage au Liban en 1986 et libéré après 21 mois de captivité.

"Mais en détention, l'otage est sur un ring de boxe où il n'a jamais le droit de baisser la garde. Il se construit un coffre-fort pour se préserver des affects. Moi, je m'empêchais de penser à mon fils. Et tout ça, il faut le déconstruire", dit-il, "faire face à ce personnage qui a côtoyé l'indicible, renouer le lien vers l'autre".

"On a été avec des êtres humains qui vous attachaient avec des chaînes, avec qui il faut lever le doigt pour aller pisser. On a perdu confiance en l'humanité, et ça, ça ne se résout qu'avec le temps."

Dès sa descente d'avion, l'otage est propulsé sur la scène publique. "On passe de l'ombre perdue au fin fond du désert aux lumières, aux projecteurs, aux interviews... Personne n'est préparé à ça. Je l'ai vécu avec beaucoup d'appréhension", confie également à l'AFP Pierre Camatte, détenu durant trois mois au Mali en 2009.

"On se retrouve personnage public. Les gens me reconnaissaient dans la rue, même s'ils ne savaient plus si j'étais joueur de football ou otage au Liban, ajoute Normandin. Il faut mettre du sens dans les choses. La résilience passe par la prise de sens".

Les polémiques autour de la capture (imprudence) ou de la libération (rançon) "ajoutent à un sentiment de culpabilité", estime le journaliste aujourd'hui à la tête de l'association Otages du monde: "Un otage se dit toujours qu'il a fait souffrir sa famille et en plus, la société lui dit +tu as coûté de l'argent+".

Après des mois d'existence sans autre motivation que la survie, la réadaptation à une vie en liberté, en famille, est une autre épreuve.

"On reste sous l'emprise de ce qu'on a vécu. On a l'impression que nos proches sont incapables de comprendre. Il y a des longs moments de silence qui s'installent parfois, raconte Pierre Camatte. Quand on se sent débordé par les émotions, on a tendance à refermer les écoutilles, à s'isoler."

"Quand on est en détention, on fantasme la liberté, ajoute Normandin. On se dit +c'est magnifique de marcher sur un chemin à l'automne, de sentir les champignons+ mais on se retrouve happé par des contingences et c'est difficile de mettre en application nos fantasmes".

"Il y a plein de choses qu'on veut faire pour rattraper le temps perdu, il faut prioriser. Il faut d'abord se consacrer à retisser les relations d'amour avec les gens qui nous sont importants", a aussi estimé sur RTL Ingrid Betancourt, otage en Colombie entre 2002 et 2008.

"Avec sa famille, on retrouve la douceur, la chaleur humaine qu'on n'a pas eues pendant longtemps", confirme Camatte, qui évoque des nuits "avec les visions de ces geôliers, ces ombres noires, ces canons des kalachnikovs" pointés sur lui...

Les souvenirs ressurgissent parfois bien plus tard, comme lors des libérations ou exécutions d'autres otages. "On pense que ça va mieux et puis les événements nous replongent dedans, explique Camatte. Mais pour moi, le fait de parler aux journalistes m'évite de tout garder, que ça me bouffe de l'intérieur".

D'autres, comme les époux Larribe pris en otage au Niger en 2010 et libérés séparément en 2011 et 2013, refusent les sollicitations médiatiques pour "tourner la page".

"Il faut qu'il (Lazarevic) aille lentement, prévient Ingrid Betancourt. Et il faut avoir de la compassion pour soi-même, savoir que c'est un chemin sur lequel on marche et on tombe. Il faut se relever en se disant qu'on fera mieux la prochaine fois".

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