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La semaine de Philippe Labro : les héros d’ebola, le bourreau khmer

Philippe Labro, écrivain, cinéaste et journaliste. [THOMAS VOLAIRE]

Philippe Labro est écrivain, cinéaste et journaliste. Chaque vendredi, pour Direct Matin, il commente ce qu'il a vu, vécu et observé pendant la semaine. Un bloc-notes subjectif et libre.

 

MERCREDI 10 DÉCEMBRE

Le célèbre magazine américain Time a choisi son «Man of the Year» – l’hom­me de l’année. Cette tradition, établie en 1927 par les fondateurs du magazine (Henry Luce et Briton Hadden) a été, depuis, imitée et reprise par des millions de médias dans tous les pays.

L’idée s’est banalisée. Il faut rendre à César ce qui est à César, et j’aime bien, avant de suivre les autres organes de presse, réfléchir à ce que Time a concocté, car c’est Time qui avait donné la plus évidente définition : «L’homme, la femme, ou le groupe qui, pour le meilleur ou pour le pire, a le plus influencé les événements de l’année écoulée.» Telle était la phrase originelle, la pierre angulaire.

Depuis, «Man of the Year» a été remplacé par «Person of the Year» – parité oblige. L’an dernier, ce fut le pape François. On apprend aujourd’hui, qu’après avoir hésité entre Poutine, le leader kurde Barzani, le patron d’Apple, Tim Cook, le milliardaire de l’Internet chinois, Jack Ma, et quelques autres, la rédaction a distingué celles et ceux qui se sont battus – et se battent encore – contre l’épidémie d’Ebola. Time les appelle «The Ebola Fighters» – les combattants, docteurs, infirmiers, aides-soignants, bénévoles qui ont risqué leur vie pour sauver celle des autres.

Il me semble que c’est un assez bon choix, digne d’un Nobel de la paix. Il relègue loin politiques, financiers, stars de la chanson ou autres people. Il y a un besoin de solidarité face aux épreuves du XXIe siècle, et il n’est pas nécessaire d’avoir généré des milliards de dollars ou d’avoir envahi la Crimée pour symboliser l’actualité. On pourra s’interroger : ce choix est-il fidèle à la définition d’origine ? Les «Ebola Fighters» ont-ils réellement changé la marche de l’Histoire ? C’est une autre question. Je suis cependant touché par l’initiative de Time pour une raison subjective. L’autre jour, j’envoie un mail à une de nos amies américaines, Katy, afin de lui souhaiter un joyeux «Thanksgiving». Elle répond : «Je suis à Buchanan, au Liberia, depuis le 30 octobre. Nous y avons, avec l’ONG AmeriCares, établi une unité de soins anti-Ebola. Aujourd’hui, je compte les “body bags”.» Elle ajoute la photo d’un énorme paquet recouvert de plastique blanc, avec ces lettres en noir : «Adult Size Disaster Bags» – les sacs dans lesquels ces «combattants d’Ebola» enferment les corps des victimes. Photo aussi sobre que son message. L’amie Katy (elle est médecin interniste) appartient donc à ces «Ebola Fighters» honorés par Time – comme les médecins français «sans frontières», ces volontaires venus d’un peu partout, héros et héroïnes anonymes de notre époque. Pour l’anecdote, j’ai répondu par un message d’amitié admirative à Katy. Elle n’a pas réagi. Ces hommes et femmes ne sont pas allés au Liberia pour la gloriole médiatique. Simplement pour aider leur prochain.

 

VENDREDI 12 DÉCEMBRE

Je recommande vivement Le temps des aveux, le nouveau film de Régis Wargnier qui sort en salles le 17 décembre. Remarquable adaptation des livres de François Bizot, cet ethnologue français qui avait été capturé par les Khmers rouges, accusé d’être un espion de la CIA, et eût été condamné à mort et exécuté si son propre geôlier, Douch, responsable de milliers de massacres, n’avait pas cru, contre toute attente, à son innocence. La relation entre le prisonnier et son bourreau est d’une grande puissance. Wargnier réussit son film sans une fois verser dans l’exploitation de ce qui fut une des pires folies meurtrières du XXe siècle.

 

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