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La semaine de Philippe Labro : l'homme aux fourneaux, une femme au pouvoir

Le chef Paul Bocuse était un génie de la cuisine française, dont il avait une vision à la fois simple et inventive. [JEFF PACHOUD / AFP]

Philippe Labro est écrivain, cinéaste et journaliste. Chaque vendredi, pour CNEWS Matin, il commente ce qu'il a vu, vécu et observé pendant la semaine. Un bloc-notes subjectif et libre.

LUNDI 22 JANVIER

C’était un grand bonhomme. Grand physiquement, une tour, un pilier, un Porthos de tous les mousquetaires de la cuisine, une masse en mouvement. Grand par son génie culinaire, qui lui fit grimper tous les échelons de la renommée, grâce à sa vision à la fois simple et inventive de ce qui fait le bonheur des tables.

Grande figure, ce Paul Bocuse, que toute la presse et toute la France ont salué à son départ, parce qu’il y avait, autour de cet homme, une unanimité d’admiration, d’affection, d’étonnement, d’éloges. Sur ce visage, dont la rugosité n’était effacée que par un sourire constant et la singulière lumière de ses yeux perçants, on pouvait lire ce qui avait été sa philosophie de la vie : on n’en a qu’une, il faut la vivre comme une farce et comme un sacerdoce. «Monsieur Paul» était terriblement français : il respirait le terroir, la dévotion à la camaraderie, l’amour de la nature, la poursuite de l’excellence et de la perfection dans la fabrication de ce qui est le plus éphémère.

Je me souviens de notre seule visite à Collonges. Nos enfants étaient encore très petits, et Paul les avait reçus comme s’ils étaient d’importants adultes, installant lui-même les chaises hautes faites pour leur jeune âge, et leur prodiguant sourires et douceur. Au moment du départ, alors que je cherchais un «merci» un peu original, il m’avait gratifié d’un retentissant : – Tout ça n’est rien. Revenez ! C’était un chef, avec une majuscule : le Chef.

MARDI 23 JANVIER

J’ai assisté à l’avant-première d’un film que je vous recommande vivement. Il s’intitule Pentagon Papers et c’est une réussite éblouissante. La soirée était organisée par Reporters sans frontières, cette formidable association dirigée par Christophe Deloire, qui défend la liberté de la presse, les journalistes en danger, certains emprisonnés, martyrisés, d’autres disparus sur les fronts de guerre, soldats sans uniforme de la lutte pour la vérité. 

Deloire revenait de Washington, où se déroule toute l’action du film – le récit (parfois authentique, parfois embelli par un peu de fiction) du combat que menèrent deux grands journaux américains (d’abord le New York Times, ensuite, et surtout, le Washington Post), dans les années 1970, pour faire connaître à l’opinion publique américaine le mensonge, le «big lie» des autorités, tous présidents confondus (de Eisenhower à Nixon, en passant par Johnson), sur le désastre de la guerre du Vietnam.

Steven Spielberg parvient à réunir tous les ingrédients qui font la force du cinéma. Dialogues pointus, brillants, corrosifs. Images et tournage de virtuose qui ne se fait jamais plaisir. Rythme vigoureux, avec un montage au couteau. Scénario sans faille. Et, enfin, et peut-être surtout, une interprétation hors norme : Tom Hanks, dans le rôle de Ben Bradlee, l’audacieux et insolent patron de l’info du «Post», et Meryl Streep, sublime dans son portrait de Katherine Graham, veuve d’un grand journaliste, responsable du «Post», qui s’est suicidé, et dont elle va assumer la succession dans un univers où personne n’accepte qu’une femme puisse se transformer en une figure d’autorité, de courage, de décision. 

Elle est merveilleuse, cette actrice. J’avais rencontré la vraie Katherine Graham, propriétaire du «Post». Ce mélange d’intelligence subtile, de faculté d’adaptation, de connaissance de l’exercice du pouvoir, m’avait frappé. Un dîner chez elle, à Georgetown, et vous compreniez ce qu’était la politique – avant Trump. Meryl Streep l’incarne avec une justesse impeccable, permettant, au passage, à Spielberg, de donner une leçon sur la liberté de la presse et sur l’avènement des femmes à l’ère Trump-Weinstein.

Le cinéma, quand c’est bien, c’est comme avec Bocuse : il faut savoir en jouir.

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