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Un Français jugé en Suède pour viols sur fond de scandale Nobel

Il n'est pas jugé pour son rôle dans le scandale qui a ébranlé le Nobel de littérature 2018, mais pour des viols révélés en pleine tempête #MeToo: un Français comparaît devant la justice suédoise à partir de mercredi.

Marié à une membre de l'auguste Académie suédoise, qui décerne depuis 1901 le prix Nobel de littérature, Jean-Claude Arnault, 72 ans, fut une personnalité influente de la scène culturelle à Stockholm jusqu'à la déflagration provoquée par l'affaire Weinstein.

Le Tout-Stockholm courait Forum, son club très sélect. Y gravitaient de nombreuses jeunes femmes férues de lettres et rêvant, entre un concert de jazz et une lecture de Proust, d'approcher un éditeur, un écrivain en vue.

Un mois après les révélations en octobre 2017 des viols et abus sexuels commis par le producteur de cinéma américain Harvey Weinstein, le quotidien Dagens Nyheter publiait le témoignage anonyme de 18 femmes affirmant avoir été violentées ou harcelées par Jean-Claude Arnault.

Le scandale a provoqué un cataclysme au sein de l'académie, avec laquelle M. Arnault entretenait des liens artistiques et financiers étroits.

Une enquête interne a établi que plusieurs académiciennes, conjointes ou filles d'académiciens, avaient elles aussi subi "l'intimité non désirée" et les comportements "inappropriés" de l'accusé.

Jean-Claude Arnault doit comparaître les 19, 20 et 24 septembre devant le tribunal de Stockholm pour deux viols présumés sur une même plaignante, dont l'identité n'a pas été dévoilée. Il encourt six ans de prison.

Comme souvent en Suède dans les dossiers de violences sexuelles, le procès pourrait se tenir à huis clos.

- 'Peur intense' -

Le 5 octobre 2011 dans un appartement stockholmois, Jean-Claude Arnault "a contraint (la plaignante) à un rapport oral", équivalent en droit suédois à une pénétration justifiant la qualification de viol, selon l'acte de mise en accusation consulté par l'AFP.

Il aurait ensuite procédé à une pénétration vaginale alors que la victime présumée se trouvait dans un "état de vulnérabilité" et "de peur intense" l'empêchant de se défendre.

Les faits se seraient répétés dans la nuit du 2 au 3 décembre 2011, dans le même appartement, tandis que la victime dormait.

L'ancienne membre de l'Académie suédoise Katarina Frostenson et son mari, le Français Jean-Claude Arnault, le 11 décembre 2011 à Stockholm. [Henrik MONTGOMERY / TT NEWS AGENCY/AFP/Archives]
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L'ancienne membre de l'Académie suédoise Katarina Frostenson et son mari, le Français Jean-Claude Arnault, le 11 décembre 2011 à Stockholm.

 

Les avocats de la défense et de la partie civile n'ont souhaité faire aucun commentaire avant l'audience. L'avocat de M. Arnault avait indiqué à l'AFP au moment de sa mise en accusation qu'il clamait son innocence.

Une partie de l'enquête préliminaire ouverte contre lui pour d'autres viols et agressions sexuelles présumés commis entre 2013 et avril 2015 a été classée sans suite, frappée par la prescription ou faute de preuves.

L'écrivaine Elise Karlsson, l'une des femmes ayant témoigné dans DN, travaillait sous statut précaire en 2008, à l'époque des faits qu'elle reproche au Français.

"Tout à coup, j'ai senti ses mains sur mes fesses. À aucun moment je ne m'étais montrée intéressée. J'étais sous le choc", a-t-elle raconté l'an dernier à l'AFP. "Je lui ai dit: ne me touche pas, et je l'ai giflé, avant de fuir. Il est venu vers moi et m'a dit que je ne trouverais plus de travail".

- Académie en ruine -

Selon une enquête du quotidien Svenska Dagbladet, Jean-Claude Arnault est né en 1946 à Marseille de parents réfugiés russes. Il serait arrivé en Suède à la fin des années 1960 pour étudier la photographie.

Dans un entretien donné à Dagens Nyheter en 2006, il affirmait être monté sur les barricades parisiennes en mai 1968 contre "la direction réactionnaire de l'université". "L'étincelle a été l'interdiction faite aux étudiants de partager les chambres des étudiantes", se souvenait-il.

Jean-Claude Arnault se vantait d'être le "19e membre" de l'Académie. Selon des témoins, il soufflait le nom des futurs lauréats Nobel à ses amis.

L'affaire a mis au jour le fonctionnement opaque de l'Académie, riche institution privée fondée en 1786 sur le modèle de son homologue française, ses conflits d'intérêt, ses jeux d'influence, et la "culture du silence" qui y régnait.

Huit académiciens se sont mis en congé provisoire ou définitif, dont la secrétaire perpétuelle Sara Danius. L'attribution du Nobel de littérature 2018 a été reportée à 2019, et le prestigieux conclave, en ruines, s'efforce depuis lors de se reconstruire.

L'Académie doit élire au cours des mois à venir de nouveaux membres, qui devront lire des dizaines d'auteurs parmi lesquels ils désigneront deux lauréats Nobel, 2018 et 2019.

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