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Muriel Pénicaud : «Le travail doit mieux payer»

De la crise des gilets jaunes à la lutte contre le chômage, la ministre du Travail, Muriel Pénicaud défend la stratégie menée par l’exécutif.

Les efforts paieront, selon elle. Dans un climat social très tendu, Muriel Pénicaud est en charge d’un des dossiers les plus brûlants du quinquennat : la lutte contre le chômage et la formation professionnelle, destinées à relancer l’ascenseur social et le pouvoir d’achat.

Une bataille plus que jamais d’actualité, alors que le mouvement des gilets jaunes a pris une ampleur inédite ces dernières semaines. L’ex-cadre dirigeante de Danone est sans équivoque : la politique menée par le gouvernement portera ses fruits dans les mois à venir.

Les annonces du gouvernement en faveur des gilets jaunes vont-elles dans le bon sens ?

Oui. D’une part, il y a des gestes immédiats : l’arrêt de toutes les hausses de taxes sur les carburants qui étaient prévues en janvier, ainsi que la suspension de l’augmentation des tarifs de gaz et d’électricité.

D’autre part, il y a des choses à bâtir ensemble, sur la question du pouvoir. Ces prochaines semaines, nous allons entamer une grande discussion, partout sur le territoire, avec tous les acteurs locaux (associations, syndicats, élus locaux, employeurs…) et les citoyens, pour élaborer des solutions durables.

Concernant la mobilité, par exemple : sept personnes sur dix sont obligées de prendre leur voiture pour aller travailler. Les habitants des grandes villes bénéficient de réductions sur les cartes de transport, mais pour d’autres, notamment dans les territoires, le déplacement a un véritable coût.

Le transport au quotidien est l’un des sujets qui seront abordés avec les acteurs locaux, mais aussi le logement ou la fiscalité. Dès demain, le gouvernement recevra les partenaires sociaux pour construire ensemble des solutions concrètes, com­me la prime de mobilité.

cd5.jpg© Nicolo Revelli-Beaumont / SIPA pour CNEWS

Cette grande concertation va-t-elle vraiment mener à du concret ?

Oui, personne n’a envie de faire du «blabla». Chez les gilets jaunes, on entend la souffrance et les difficultés pour clore les fins de mois. Ce n’est pas nouveau, cela dure depuis des années. Or, les citoyens veulent être associés aux décisions, que les élus les définissent avec eux.

C’est à partir du porte-à-porte, pendant la campagne présidentielle d’Emmanuel Macron, que l’ADN du mouvement «En marche !» a été défini. Dorénavant, il ne faut plus seulement définir un programme, mais discuter dans le détail sur la façon d’améliorer la situation.

Parmi leurs requêtes, une revalorisation du Smic est réclamée…

Le Smic, qui concerne environ 1,6 million d’individus, est un sujet, mais il n’est pas la seule solution. N’oublions pas que les PME et les TPE sont un vivier d’emplois majeur. Une hausse conséquente pourrait mettre en difficulté les employeurs qui n’arrivent déjà plus à payer leurs salariés. Si cela détruit des emplois, on n’aura rien gagné.

Qu’ils soient artisans, employés ou patrons de PME, les gilets jaunes sont des personnes qui travaillent… Et elles ont du mal à en vivre. Or, le travail paie et doit payer. Notre philosophie, c’est qu’il doit mieux payer.

C’est pourquoi nous avons décidé de l’augmentation de la prime d’activité pour les travailleurs modestes, de l’exonération de charges sociales pour les heures supplémentaires, de mesures en faveur de l’égalité salariale… En 2019, le Smic sera ainsi autour de 1 200 euros, contre 1 152 euros en janvier 2017, notamment grâce à la suppression des cotisations de l’Assurance chômage et maladie, décidée par l’exécutif.

Vous visez 7 % de chômage en 2022, contre plus de 9 % aujourd’hui. L’objectif sera-t-il tenu ?

C’est l’ambition, à condition que la situation du monde ne change pas, que les Etats européens ne se referment pas sur eux-mêmes. Car la France perdrait alors beaucoup d’emplois, deux millions d’entre eux étant liés à des investisseurs étrangers et au tourisme, sans compter les exportations.

Notre vision, c’est de rester ouvert à l’international, tout en luttant contre le dumping social. Dès lors, nous pensons que cette ambition de 7 % en 2022 est possible.

cd7.jpg© Nicolo Revelli-Beaumont / SIPA pour CNEWS

Quand le plan pour former un million de demandeurs d’emploi d’ici à cinq ans aura-t-il un effet ?

Cela a déjà commencé. On a lancé 10 000 formations dans le digital et 10 000 dans les emplois verts, des métiers d’avenir. Il faut adapter les formations aux besoins du marché : on cherche 100 000 personnes aujourd’hui dans la transition numérique – et il n’y a pas besoin d’être un «geek».

En outre, le nombre d’emplois nouveaux ou concernés par la transition écologique est estimé à 500 000, mais cela va augmenter. Il y a des métiers nouveaux (énergies renouvelables, gestion de l’eau, des déchets…), et des métiers classiques qui sont transformés. Comme l’agriculture, l‘industrie, ou encore le bâtiment, qui doit désormais utiliser des matériaux différents ou travailler sur les économies d’énergie.

En parlant de formation, la France accuse un gros retard en matière d’apprentissage…

Depuis cinquante ans, on croit que la tête et les mains ne vont pas ensemble. C’est idiot, car l’apprentissage est une grande voie de réussite : sept jeunes sur dix en sortent avec un emploi durable.

La loi Avenir professionnel, tout juste promulguée, ouvre l’apprentissage jusqu’à 30 ans, prévoit des aides pour le permis de conduire, adapte la durée de formation en fonction des acquis… Nous avons libéré tout ce qui bloquait le développement de l’apprentissage.

Et les effets s’en ressentent déjà : cette année, à la sortie de la classe de troisième, le nombre de demandes a bondi de 45 %. Ce n’était jamais arrivé en France.

Comment comptez-vous améliorer le sort des demandeurs d’emploi, tout en faisant des économies ?

Il est très difficile de construire sa vie lorsqu’on a un emploi précaire (CDD, intérim…), qui représente aujourd’hui neuf embauches sur dix. Le but de la réforme de l’Assurance chômage est d’instaurer des règles qui, contrairement à ce qui existe aujourd’hui, incitent au retour à l’emploi durable et réduisent la précarité.

Car, paradoxalement, la précarité coûte cher à l’Assurance chômage. En luttant contre, on fera donc des économies, dans un régime qui a besoin de se désendetter de 35 milliards d’euros.

cd1.jpg© Nicolo Revelli-Beaumont / SIPA pour CNEWS

En réduisant le chômage, ne va-t-on pas précariser l’emploi, comme en Allemagne ou au Royaume-Uni ?

Depuis dix ans, l’emploi s’est énormément précarisé à cause des pratiques du marché du travail, et les anciens gouvernements ont laissé faire.

Notre modèle n’est pas d’avoir des mini-jobs avec des travailleurs pauvres qui gagnent 500 euros par mois. La quantité d’emplois importe autant que la qualité de l’emploi.

Nous voulons tenter autre chose, à savoir la flexisécurité à la française – de la flexibilité pour donner plus d’agilité aux entreprises, contrebalancée par de la sécurité pour les salariés.

Du fait du prélèvement à la source en janvier, doit-on craindre un choc fiscal pour les salariés ?

Ce qu’il faut comprendre, c’est qu’on ne prélève pas un euro de plus à quiconque. Seulement, au lieu d’être prélevés sur leur compte en banque, ils le seront sur leur fiche de paie.

Presque tous les pays européens ont adopté ce système. Ce sera aussi plus sécurisant : aujourd’hui, un salarié peut avoir un accident ou perdre son emploi au moment de payer tous ses impôts. C’est une double peine.

Vous donnez trois ans aux sociétés pour remédier aux inégalités salariales. L’ultimatum est-il suffisant ?

Cela fait quarante-six ans que la loi oblige à travail égal salaire égal, mais il y a un écart de 25 % entre les salaires des femmes et des hommes, et même 9 % à poste équivalent. Désormais, ce sera une obligation de résultat.

Je pense que la plupart des entreprises vont la respecter, car quand ils découvriront ces inégalités, les salariés feront pression. Et puis, qui voudrait entrer dans une entreprise qui ne respecte pas l'égalité ?

Dans trois ans, toutes les entreprises seront contrôlées, et pour les récalcitrantes, les sanctions pourront aller jusqu’à 1 % de la masse salariale par an. Plutôt que de verser l’argent au Trésor public, je suis certaine que les employeurs préféreront le donner directement aux femmes.

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