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Laetitia Avia (LREM) : «Au moment où l'on se parle, je sais que je suis en train de me faire insulter»

Rapporteuse de la loi contre la cyberhaine, la députée Laëtitia Avia est-elle même la cible d'insultes régulières sur les réseaux sociaux [Bertrand GUAY / AFP]

Les insultes sur Twitter : bientôt du passé ? Les députés doivent plancher ce mercredi sur un projet de loi contre la haine en ligne.

Laëtitia Avia, députée LREM de Paris, qui porte la proposition à l'Assemblée nationale, revient sur ces nouvelles mesures qui ambitionnent de responsabiliser les plateformes et de mieux sanctionner les auteurs de contenus insultants et discriminants en ligne. 

Comment comptez-vous tacler le problème de la cyberhaine ?

Cette proposition de loi repose sur un cœur et des poumons. Le cœur, c’est l’obligation pour les plateformes numériques, comme Facebook, Twitter ou YouTube, de retirer les contenus haineux sous 24 heures. C’est vraiment la mesure principale de ce projet.

Mais pour faire vivre cette obligation, un certain nombre de moyens sont nécessaires. Les poumons, c’est donc de contraindre les plateformes à se doter de modérateurs, d'outils technologiques proportionnés pour traiter les signalements, d'exiger qu'elles informent les utilisateurs et surtout qu'elles coopèrent avec la justice. 

Nous proposons notamment de mettre en place un bouton de signalement unique, qui je l’espère, sera identifié par tous. Ce bouton d’alerte pourrait même être enseigné dans les écoles pour que chacun puisse se dire : quand je suis en présence d’un contenu illicite - pas déplaisant mais bien illicite -  c’est là que j’appuie.

D'ailleurs, si je peux donner un conseil, c’est de toujours signaler. Si on ne le fait pas, c’est comme si on cautionnait. Ca prend du temps, c’est vrai, mais il faut signaler. 

Qu’est-ce que ça peut changer concrètement pour les victimes ?

Pour les victimes, c’est la fin de l’exposition de ces contenus haineux. Avec ces nouvelles obligations que nous comptons mettre à la charge des plateformes, elles seront bien plus diligentes et elles devront faire en sorte que ces propos soient bien retirés.

La loi permettrait également de mettre un terme à ce message, que moi-même j’ai reçu tellement de fois en réponse à mes signalements, qui nous explique que le tweet raciste, homophobe dont on est victime n’a pas été retiré car il n’est pas considéré comme inapproprié. 

A côté de ça, il faut s’assurer que les auteurs soient également poursuivis. C'est pourquoi, dès 2020, le dépôt de plainte en matière de cyberhaine pourra se faire en ligne. En collaboration avec Nicole Belloubet, ministre de la Justice, un parquet spécialisé doit être créé, doté de juges spécialisés, d’enquêteurs spécialisés, à même de traiter ce type de délit.

A la vitesse où sont diffusées les informations sur Internet, est-ce qu'un retrait sous vingt-quatre heures peut vraiment changer la donne ?

Dans les débats parlementaires, certains députés viseront six heures ou douze heures. Mais je préfère mettre un délai sur lequel je sais qu’on est opérationnel, sur lequel je sais que les plateformes peuvent faire le job plutôt que privilégier une approche déconnectée de la réalité. Pour avoir passé beaucoup de temps à travailler avec les plateformes, je sais qu’elles peuvent le faire. Si Facebook ou Twitter peuvent faire mieux, qu’elles fassent mieux.

Plusieurs lois existent déjà pour lutter contre le cyberharcèlement : qu’est-ce que cette loi va apporter de plus ?

La loi Schiappa a en effet permis de sanctionner le cyberharcèlement, c’est-à-dire lorsqu’une qu’une personne envoie une multitude de tweets envers une autre personne, ou alors qu’une «meute» de personnes s’attaque à une autre.

Ici, c’est l’insulte unique qui est visée. Le «sale négresse» ou le «sale pd» envoyé facilement sur les réseaux sociaux, de la part de personnes qui se permettent sur Internet ce qu’elles n'oseraient jamais faire dans la rue. Dans l’espace public, elles ont peur de se faire attraper et ce n’est pas le cas sur les réseaux sociaux. C’est pour cela que la coopération judiciaire des plateformes rendue obligatoire par cette loi est essentielle pour mettre fin à ce sentiment d'impunité.

Mais les géants du Web comme Facebook ou Twitter sont-ils vraiment prêts à se plier aux lois françaises ?

Une chose est certaine : on ne peut plus tolérer le statu quo. On ne peut plus tolérer les prises de positions publiques de différentes plateformes, qui demandent davantage de régulation, sans rien faire. D'autant plus que ce texte propose une sanction assez dissuasive : une amende à 4% du chiffre d’affaires mondial. Je ne peux que les encourager à se conformer à ces règles. Le Conseil supérieur de l'Audiovisuel (CSA) sera en tout cas chargé d'y veiller.

Nous proposons également de créer un Observatoire de la haine en ligne. Je pense que c’est important, car, dans les travaux que j’ai menés, on s’est beaucoup appuyé sur les informations fournies par les plateformes. Mais il nous faut travailler ensemble : plateformes, chercheurs, associations, victimes pour pouvoir mieux qualifier et quantifier ces phénomènes.

Vous souhaitez créer un parquet spécialisé pour punir les auteurs de contenus haineux. Mais, la justice française, déjà surchargée, en a-t-elle les moyens ?

D’abord, la volonté politique, elle est là, elle est ferme. Ensuite, on est, malheureusement, dans l'une des rares matières dans laquelle il n’y a pas d’encombrement judiciaire. Il y a très peu de plaintes, très peu d’enquêtes, très peu de jugements.

L’objectif est de concentrer des enquêteurs et des juges spécialisés qui connaissent aussi bien la législation en matière de liberté d'expression, en particulier l'application de la loi de 1981 sur la liberté de la presse, qu'ils maîtrisent les réseaux sociaux. 

Que répondez-vous à ceux qui considèrent ces mesures comme une limitation de la liberté d’expression ?

La liberté d’expression n’est ni absolue, ni infinie : elle a un cadre, définie par la loi de 1981. On pourra donc toujours critiquer quelqu’un pour ses opinions, mais on ne peut plus critiquer quelqu’un pour ce qu’il est dans sa chair, laisser passer des injures, des incitations à la haine, des discriminations de race, de religion, de sexe, d'orientation sexuelle, de handicap, d'identité de genre. On touche ici à la dignité humaine. 

Ce que je constate aujourd’hui, là où je sens qu’il y a une vraie atteinte à la liberté d’expression, c’est quand j’entends des personnes dire qu’elles quittent les réseaux sociaux car elles ne supportent plus la haine qu’elles voient dessus, ou des personnes qui hésitent avant de publier leurs opinions, leurs idées, par peur de se faire insulter en contrepartie. 

Par ailleurs, avec cette mise en conformité des plateformes, la censure est autant sujet à sanctions que le retrait insuffisant de contenus haineux. 

Quel est votre rapport aux réseaux sociaux ?

Personnellement, je suis très connectée. J’ai créé mon compte Facebook en 2005, avant même qu’il n’arrive en France. Je suis d’ailleurs présente sur tous les réseaux sociaux, et je ne compte pas en partir. Les trolls seront prévenus. Car, au moment où on se parle, je sais que je suis en train de me faire insulter. Des messages comme «sale négresse», j'en ai reçu un hier.

C'est pour cette raison que je m’inscris toujours en faux de toutes les personnes qui assurent qu’Internet n'est pas la vraie vie. Je sais que ces messages haineux, on les reçoit comme une claque sur le visage. Derrière un troll, il y a une personne, quoi qu’il en soit. 

C’est un enjeu de santé publique dont on traite ici. Ce n’est pas la marotte d’une politicienne. C’est le travail d’une députée qui est très exposée aux contenus haineux, qui voit à quel point ça peut générer de la souffrance et qui souhaite que des mesures efficaces soient mises en œuvre.

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