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Simon Laplace : «les Français éprouvent une certaine tendresse pour Jacques Chirac»

Simon Laplace signe «Jacques Chirac, une histoire française» aux Editions Nouvelles Sources (préface de Bruno Le Maire). [© Tous droits réservés].

Son nom est connu de tous les Français mais il demeure à bien des égards un mystère. Président de la France de 1995 à 2007, Jacques Chirac s'est éteint, ce jeudi 26 septembre, à l'âge de 86 ans. Dans son livre «Jacques Chirac, une histoire française» (Editions Nouvelles Sources), paru en juin dernier, Simon Laplace avait dressé un portrait juste et précis de l'ancien chef de l'Etat, retraçant l'ensemble de son parcours politique. Un ouvrage fouillé et accessible.

Depuis ses origines familiales corréziennes jusqu'à la mairie de Paris, ses deux élections présidentielles remportées, dont celle marquée par son face-à-face avec Jean-Marie Le Pen, et bien d'autres épisodes encore, l'auteur, jeune trentenaire haut fonctionnaire et élu municipal à Niort (Deux-Sèvres), revient ainsi sur chaque étape de la vie publique de l'ancien président de la République.

Préfacé par Bruno Le Maire, ce récit chronologique fidèle n'évite pas pour autant les «affaires» et scandales entachant son accession au pouvoir.

Mais on conservera avant tout en mémoire le souvenir d'un homme politique hors du commun, héritier du général de Gaulle et de Pompidou, au destin indissociable de l'histoire de la Ve République.

Pourquoi avez-vous décidé d’écrire ce livre ?

Parce que Jacques Chirac est avant tout le président de mon enfance. Sa victoire à l'élection présidentielle de 1995 constitue mon premier souvenir historique et politique.

Je suis né en 1987 et j’ai aussi grandi avec l’élection du 21 avril 2002 lors de laquelle il s'est retrouvé face à Jean-Marie Le Pen et cela m'a beaucoup marqué.

Avec mon regard, qui est donc celui d’un jeune trentenaire et d’un élu local, j'ai ainsi eu envie de redécouvrir l'homme dans sa vérité et, sur le plan politique, de trouver ce qu’il a encore à nous dire dix ou vingt ans après.

Avez-vous rencontré des proches de l’ancien chef de l’État pour écrire votre ouvrage ?

L’idée du livre m’est aussi venue en ayant côtoyé des gens qui l’ont connu. Bruno Le Maire, qui a préfacé le livre bien sûr, mais aussi Jérôme Grand d'Esnon, l'ancien directeur de campagne de ce dernier et éminent chiraquien.

Mais ma démarche a été plutôt de revenir aux sources écrites, aux témoignages déjà formulés au sujet de Jacques Chirac. De toutes les analyser et de les rassembler. Puis de voir, avec plusieurs années de recul, quelle était la cohérence du parcours de l’ancien chef de l’Etat.

Outre l'ascension politique, votre livre lève aussi le voile sur son intimité et montre notamment son ouverture sur le monde, sa passion pour les arts et les cultures orientales. Les Français le connaissaient-ils mal, selon vous ?

Contrairement aux apparences, Jacques Chirac est un homme très pudique. Il s’est constitué l'image d’un homme aux goûts très simples, aimant la bière et la tête de veau, alors qu'il est, aussi, quelqu’un de très érudit.

Ce mystère Chirac, pour reprendre le qualificatif employé par Pierre Péan dans son ouvrage «L’inconnu de l’Elysée», tient en effet aussi par son amour méconnu pour les arts premiers et les civilisations lointaines, orientales en particulier.

Une passion qui lui vient de très loin puisqu’elle remonte à son adolescence. C’est d’ailleurs quelque chose qui va l’influencer profondément et façonner sa vision de l’homme et du monde.

Tout au long de sa vie, Jacques Chirac s'est employé à respecter le principe d’égalité entre les Nations, le droit international.

Son action politique reste marquée par une certaine vision de la dignité humaine, avec la lutte contre l’extrême-droite, le respect du modèle social français ou encore le principe de solidarité avec les plus faibles.

Comment expliquez-vous la sympathie qu’il suscite encore aujourd’hui, sa popularité ?

Beaucoup de Français, qu’ils soient de gauche ou de droite, éprouvent une certaine tendresse à l’égard de Jacques Chirac.

Sa popularité est bien sûr en partie celle que tous les anciens présidents peuvent avoir et, d'une certaine manière, est due également à une sorte de nostalgie envers une époque, allant des années 1970 à 1990. Une période empreinte de liberté, où la vie était plus simple.

Mais je pense surtout qu’il y a une équation personnelle de Chirac qui est faite d’humanité, d’un vrai sens du contact. C’est quelqu’un qui aimait vraiment le contact humain.

Il y avait aussi cette personnalité, à la fois brouillonne et réfléchie, à la fois homme de tradition et de modernité, Gaulois et très ouvert sur le monde.

Il est «le plus exceptionnel de tous les Français moyens» pour reprendre la citation de Jean D’Ormesson utilisée pour qualifier Georges Pompidou, Chirac est très pompidolien dans sa formation et dans son caractère.

Il correspond enfin à une certaine idée française du style présidentiel. A la fois digne et accessible. Je pense que cela peut aussi expliquer en partie pourquoi il reste un président dont les Français gardent un bon souvenir.

Votre ouvrage aborde aussi les sujets qui fâchent, comme les «affaires» ou la malheureuse formule «Le Bruit et l'odeur», employée en  1991 pour parler des immigrés. Pensez-vous que tout est pardonné aujourd’hui ?

Je pense d’abord que dans tout parcours humain – et a fortiori politique – il y a forcément des erreurs et des pages plus obscures que d’autres. Et, pour le coup j’aurais failli à mon devoir d’honnêteté intellectuelle si je n’en avais pas parlé.

Pour les affaires, c’était aussi une autre époque. Si, aujourd'hui, on est entré dans le «nouveau monde» et qu'il y a une attente d’exemplarité de la part des politiques, le contexte à l'époque de Jacques Chirac était totalement différent.

Je rappelle qu'il arrive en politique dans les années 1960, une période qui n'a rien de comparable en termes de financement et de fonctionnement des partis politiques.

Bien sûr, cela ne rend pas les affaires légales ou excusables, mais celles-ci se sont déroulées dans un contexte précis qui pose tout le cadre de la vie politique de l’époque.

Quel est son plus grand moment politique selon vous ? 

Les amateurs de politique retiendront probablement la présidentielle de 1995 où, contre toute attente, il déjoue en quelques mois tous les pronostics, jusqu’à atteindre la victoire. 

Mais pour les Français en général, ce sera peut-être l'année 2003, lorsqu'il va s’elever au nom de la France - et en porte-voix de beaucoup d’autres nations du monde - contre l’intervention des Etats-Unis en Irak.

Il est à ce moment-là, et comme à d’autres moments de sa présidence,  fidèle à cet idéal gaullien de la France et de la fonction présidentielle.

Il est impossible de parler de Jacques Chirac sans aborder son épouse Bernadette. Quel a été son rôle durant toutes ces années ?

Bernadette Chirac a un rôle double et essentiel. Elle à la fois celle qui tient la maison, qui met de l’ordre dans la vie personnelle du président. Elle est la mère de famille frappée de plein fouet par la maladie de leur fille Laurence.

Mais elle a aussi un rôle politique dès le départ. Ainsi, dès les années 1970 et à la demande de son mari, elle s’engage politiquement en Corrèze, d’abord comme conseillère municipale, puis comme conseillère générale.

C’est d’ailleurs grâce à son élection, en 1979, que la droite conservera la présidence de la Corrèze. Bernadette Chirac a enfin ce rôle de conseillère politique «officieuse» auprès de son mari.

C'est ainsi elle qui obtiendra le renvoi des conseillers politiques occultes de Jacques Chirac, Pierre Juillet et Marie-France Garaud.

Surtout, pendant la campagne pour la réélection de son époux en 2002, elle fait preuve d’un flair politique hors-pair puisqu'elle voit la présence de Jean-Marie Le Pen face à Jacques Chirac au second tour.

Depuis toujours, Bernadette Chirac se déplace énormément en France. Elle a beaucoup de contacts et - en dehors du cadre très policé et très habituel des meetings - elle a ce talent de «sentir» les gens et les événements.

Après le fiasco des dernières Européennes, la droite va mal. Diriez-vous qu'il faudrait un Chirac pour la remettre sur pied ?

Je pense qu’avec un Chirac, la droite ne serait pas forcément dans l’état dans lequel elle se trouve aujourd’hui. Ce qui caractérise l’influence chiraquienne, c’était une droite de rassemblement en lien avec l’idéal gaulliste et pompidolien.

C'était une droite qui conciliait libéralisme et progrès social, menant une politique étrangère forte, et restant mesurée sur les sujets de société, tout en réunissant toutes les familles et tous les courants au sein d’un consensus commun.

Aujourd'hui, on voit une droite qui se recroqueville et qui se coupe de toute une partie de la population en assumant un discours très dur, que ce soit sur les questions de société ou les questions économiques.

En somme, je pense que si la droite en est là aujourd'hui - et si d'ailleurs Emmanuel Macron en est là lui-même aujourd’hui - c’est précisément parce que la droite a oublié tous ces messages fondamentaux du chiraquisme.

Que reste-t-il de Chirac aujourd'hui ? Quel est l'homme politique contemporain qui, d'après-vous, se rapproche le plus de lui ?

Il y a une influence Chirac certaine chez beaucoup d'hommes politiques. En fait, Jacques Chirac représente une figure que beaucoup à droite continuent de porter.

Bruno le Maire, pour ne citer que lui, est forcément marqué par la vision humaine et internationale de Chirac. Mais, d'une certaine façon, on peut chez Emmanuel Macron retrouver aussi une certaine influence chiraquienne, dans la nécessité de réformes alliant sauvegarde du modèle social.

Mais, dans l’ensemble, je serais bien en peine de vous citer «le nouveau Chirac . Je pense d'ailleurs que c’est aussi à cela que l’on mesure l’importance et la singularité du personnage.

Dernière question : il existe beaucoup de photos sur Jacques Chirac et, finalement, sur la couverture du livre, ne figure que son emblématique paire de lunettes. Pourquoi ce choix ?

C’est un pari stylistique de l'éditeur qui voulait faire une couverture originale. La plupart des biographies politiques, ou ouvrages historiques, ont bien souvent en couverture le portrait de la personnalité considérée.

Notre idée était plutôt de contourner cette «règle» par une sorte de clin d'œil, en mettant cette paire de lunettes. Un symbole du personnage Chirac et de son époque.

«Jacques Chirac, une histoire française» de Simon Laplace / Editions Nouvelles Sources (18 euros)

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