En direct
A suivre

Bretagne : que savons-nous des algues vertes qui polluent le littoral breton ?

La plage d'Hillion, dans la baie de Saint-Brieuc (dans les Côtes d'Armor). La plage d'Hillion, dans la baie de Saint-Brieuc (dans les Côtes d'Armor).[© FRED TANNEAU / AFP]

Elles existent depuis des années. Tous les ans, du printemps à l'été, les algues vertes polluent le littoral breton, notamment les Côtes d'Armor (22) et le Finistère (29). Comment se forment-elles ? Sont-elles vraiment dangereuses ?

Depuis presque 40 ans, ces organismes vivants capables de photosynthèse – plus connus sous le nom d'algues vertes – se retrouvent sur le littoral français depuis la Normandie jusqu'au sud de la Bretagne.

Très invasives, elle se décomposent en 48 heures, deviennent particulièrement odorantes et sont considérées comme toxiques, car elles produisent des gaz résultant de leur putréfaction. C'est un fléau pour les habitants et les maires de ces communes françaises, touchées chaque année par le phénomène entre les mois de mai et de septembre, en plein milieu de la période touristique.

Mais c'est surtout une vraie question de santé publique, alors que depuis la fin des années 1980, au moins 40 animaux et 3 hommes sont morts sur les plages bretonnes, dans des conditions qui demeurent encore aujourd'hui plus ou moins incertaines.

Retour dans le temps

Dans la revue dessinée «Algues vertes : l'histoire interdite» parue aux éditions Delcourt, la journaliste Inès Léraud retrace l'histoire de la prolifération de ces algues vertes, depuis leur apparition jusqu'à aujourd'hui, en commençant son récit par l'une des toutes premières personnes à avoir «lancé l'alerte» : Pierre Philippe, un médecin urgentiste qui s'est inquiété après la mort d'un homme de 26 ans retrouvé dans un «épais lit d'algues vertes», en juillet 1989, à Saint-Michel-en-Grève (22).

Plusieurs autres dates sont à retenir. En 1999, les scientifiques de l'Ifremer et plusieurs associations conviennent que la prolifération des algues vertes provient à 95 % des excédents de nitrates issus de l’élevage intensif. Un constat qui ressort d’un colloque des pollutions, confirmé par l'INRA et l'Ifremer.

Par ailleurs, en 2009, plusieurs ministres d'Etat dont Bruno Le Maire et François Fillon se rendent sur le terrain, à Saint-Michel-en-Grève (22) justement, reconnaissent le risque de santé publique et assurent mettre un terme à la «politique de l'autruche». Le premier plan algues vertes est alors lancé.

Mais pour elle, c'est le dernier rebondissement – daté de juillet 2019 – qu'il faut retenir. A cette date, la famille du joggeur décédé en septembre 2016 dans un estuaire des Côtes-d’Armor connu pour sa toxicité liée aux algues vertes a en effet saisi le tribunal administratif de Rennes, accusant les pouvoirs publics d'avoir essayé de taire les liens possibles entre la mort de cet homme et les algues vertes.

Toujours pas de déclic

«Dans cette histoire, chacun a sa vérité», remarque Inès Léraud. «Par exemple, l'autopsie du cheval [mort le 28 juillet 2009, ndlr] va donner lieu à des résultats probants, mais quelques mois plus tard, les tribunaux font marche arrière et relaient un discours dans lequel les algues vertes n'ont rien à voir avec la mort du cheval», explique la journaliste.

«C'est un système très bien huilé, et il y a une forme de complicité à la fois des pouvoirs public et des industriels, qui font tout pour préserver la principale activité de la Bretagne : l'agroalimentaire», continue Inès Léraud, qui compare la lenteur de la prise conscience collective avec celle qu'ont connu les affaires d'amiante et des pesticides.

Toujours pas de déclic donc selon elle. Un avis que partage l'association Greenpeace, qui s'est récemment insurgée contre le plan de lutte contre les algues vertes, qui «ne sert à rien si l'on ne s'attaque pas à la cause du problème, le modèle ultra-productiviste de la région», pouvait-on lire dans un communiqué.

Comme l'institution le rappelle, «avec seulement 6 % de la surface agricole française, la Bretagne est la première région pour la production de lait, d'oeufs et de viande de porc, de volaille et de veau». «De très forts intérêts économiques sont en jeu», renchérit Inès, qui assure que les produits bretons sont en grande partie voués à l'export notamment en Asie et au Moyen-Orient.

Une réalité qui n'a pas changé

Or, trois décennies plus tard, et malgré le plan de lutte, la prolifération des algues vertes est toujours une réalité. Cet été a même été l'un des pires depuis des années. Plusieurs baies bretonnes ont de nouveau été envahies par des algues vertes, notamment dans les baies de Morlaix et de Saint-Brieuc.

Et ce, alors que la présence de nitrate dans l'eau n'a toujours pas baissé, ou trop peu. Selon Inès Léraud, l'eau des rivières devrait contenir environ 3 à 4 milligrammes de nitrate par litre d'eau, or, elle a atteint jusqu'à 100 milligrammes par litre d'eau à certains endroits.

«Grâce à la politique menée ces dernières années, la quantité de nitrates a quand même baissé de 20 à 30 milligrammes par litre d'eau, mais l'objectif était d'atteindre les 10 milligrammes par litre d'eau», explique la journaliste qui a vécu plus de trois ans en Bretagne, dans le cadre de son enquête.

Greenpeace saisit le conseil d'Etat

Récemment, à la fin du mois de juillet 2019, Greenpeace a saisi le Conseil d'Etat au sujet d'un décret paru en décembre, qui vise à simplifier les procédures qui autorisent les exploitations agricoles, notamment les élevages. Un décret dont l'association redoute les effets néfastes qu'il pourrait avoir sur l'environnement.

«Face à la crise et aux marées vertes (ici prises en photo par Philippe Latron), la première mesure devrait être d'interdire toute nouvelle ferme-usine, en particulier sur le territoire breton», a ainsi écrit Greenpeace. En déplacement à Saint-Brieuc (22) ce jeudi 25 juillet, où l'unique plage est fermée au public à cause de cette pollution, le député européen Yannick Jadot a assuré que la lutte contre les algues vertes «n'était pas du tout à la hauteur des enjeux».

«Il faut un changement complet du modèle agricole [...]. On ne peut pas dire que 'rien n'a été fait' mais on ne peut pas dire non plus que 'ce problème sera résolu dans 10 ans, dans 20 ans'», a renchéri la députée européenne Delphine Batho, également sur place. Alors que les défenseurs de l’environnement réclament un changement de modèle agricole, l’association Halte aux marées vertes, dont le siège se trouve en baie de Saint-Brieuc (22), continue de se mobiliser et a lancé une nouvelle pétition fin juillet contre la prolifération de ces algues vertes.

À suivre aussi

Ailleurs sur le web

Dernières actualités