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Erwan L'Éléouet : «Bernadette Chirac a souffert, mais n'a jamais renoncé»

Pour brosser le portrait de la femme de l'ancien président, l'auteur a consulté des archives et des photographies jamais dévoilées.[© Jean Christophe Marmara / Figarophoto]

Après deux ans d'enquête, le journaliste Erwan L'Éléouet avait publié en mars dernier, «Bernadette Chirac - Les secrets d'une conquête». Une biographie sur l'ex-première dame, dont la vie fut faite de triomphes et de sacrifices.

Au fil des 300 pages de cet ouvrage publié aux éditions Fayard, l'auteur, également rédacteur en chef de l'émission «Un jour, un destin» sur France 2, révèle «ce qu'il y a derrière la carapace» de cette jeune fille de bonne famille, née Chodron de Courcel en 1933, que rien ne prédestinait à devenir la première dame préférée des Français. Avec Jacques, ce séducteur croisé sur les bancs de Sciences-Po en 1951, elle a régné sur quarante ans de vie politique. Pour ce portrait intime, le journaliste est allé rencontrer Bernadette Chirac chez elle, rue de Tournon, à Paris, et a recueilli les confidences de nombreux proches.

Pourquoi cet ouvrage sur Bernadette Chirac ?

Nous avions consacré un épisode d’«Un jour, un destin» à Jacques Chirac, au cours de laquelle Bernadette a fini par dire : «Je me suis blindée, et j’ai gagné». J’ai voulu comprendre ce qu’elle avait gagné et quel avait été le prix à payer. J’avais l’image d’une femme très austère, assez dure, parfois cassante. J’ai souhaité savoir ce qu’il y avait derrière cette carapace. A travers cette biographie, j’aborde les deux aspects de sa personnalité : une ex-première dame populaire et aimée des Français, mais avec cette cruauté qui lui est venue du milieu politique. C’est une femme timide qui s’est endurcie, qui a servi l’ambition de son mari et l’a aidé à accomplir son destin.

Au cours de votre enquête, aviez-vous rencontré Jacques Chirac ?

J’en avais envie, mais je ne l’ai jamais vu. Dans leurs appartements, je n’ai croisé que Bernadette Chirac, sa fille Claude, une assistante et le maître d’hôtel.

Comment avez-vous réussi à convaincre son entourage de témoigner ?

Je pense que cette enquête est arrivée au bon moment. Bernadette Chirac s’est retirée de la vie politique. Par conséquent, ses proches parlent peut-être plus facilement. Je n’ai pas rencontré de grosses difficultés, mis à part avec Claude, sa fille cadette, avec qui il fallait être plus persuasif.

Pourquoi ?

Claude Chirac reste la gardienne du temple, la mémoire familiale. Elle s’occupe de ses parents à plein temps et se rend chez eux tous les jours, arrivant dans la matinée et repartant le soir, parfois assez tard. Elle vit cela comme une séquence de sa vie et une expérience.

Pourtant, la relation mère-fille a longtemps été conflictuelle. Claude Chirac fut la conseillère en communication de son père, reléguant ainsi sa mère au second plan…

Je les ai vues ensemble, le 8 juin 2018, en Corrèze, pour l’inauguration d’une avenue qui associait le nom de Bernadette Chirac à celui de son mari, à Brive-la-Gaillarde. Claude poussait le fauteuil roulant de sa mère - qu’elle surnomme «Bernie» -, s’approchait d’elle pour vérifier qu’elle voyait bien son nom, et l’aidait à tirer le cordon qui cachait la plaque. Il y avait un rapport assez tendre, comme si elles s’étaient enfin trouvées. Leurs proches sont aujourd’hui heureux de voir leur relation apaisée, épanouie et sereine.

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© DIARMID COURREGES / AFP

Comment était Bernadette Chirac quand vous l’avez rencontrée, chez elle, en octobre 2018 pour lui montrer des photos de famille ?

Elle était très présente dans la conversation et très heureuse de découvrir ces photos qu’elle ne connaissait pas. J’ai découvert une femme fatiguée et fragile de 85 ans, mais qui a conservé son œil rieur et son humour pince-sans-rire. Surtout quand nous avons regardé ses bulletins de notes et abordé la question des devoirs. Elle semblait très fière de reconnaître certains de ses proches, que la politique a éloigné d’elle. En revanche, elle a très peu parlé de son mari et n’a jamais fait référence à son état de santé.

En se remémorant cette vie passée, s’est-elle montrée nostalgique ?

Oui, la nostalgie des combats passés et la douleur de ne plus être dans l’action sont bien là. Elle s’est lancée dans des luttes politiques et des conquêtes, elle s’est investie dans son rôle de conseillère générale de Corrèze pendant trente-six ans et s’est battue pour ses deux fondations (Hôpitaux de Paris-Hôpitaux de France depuis 1994 et la Fondation Claude-Pompidou à partir de 2007, ndlr).

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© Alain Jocard / AFP

Elle a pris du plaisir dans le devoir, comme a pu le dire Nicolas Sarkozy. C’est une femme qui s’est accomplie dans le combat et la bataille. Elle était capable de taper à la porte du ministre de l’Intérieur pour décrocher des subventions exceptionnelles pour construire une piscine ou une caserne, et elle voulait à tout prix trouver un prêtre avant de quitter le canton de Corrèze. C’est une résistante.

Ce trait de caractère est-il un héritage de sa mère, qui n’a jamais été tendre avec elle ?

Sa mère était en effet très dure. Alors qu’elle fuyait avec sa fille pendant la Seconde Guerre mondiale, elle disait à cette dernière : «Vous pleurerez un autre jour !». Cette éducation a structuré Bernadette Chirac et lui a permis d’affronter la violence du combat politique. Les attaques venaient des opposants politiques, mais aussi de sa propre famille. Et de Jacques Chirac lui-même.

Bernadette Chirac a servi l'ambition de son mari et l'a aidé à accomplir son destin.

Il pouvait se montrer cruel envers sa femme. Vous revenez notamment sur sa colère quand elle lui avait annoncé, en 1972, son intention de reprendre ses études et d’intégrer une licence d’archéologie. «Vous serez fouettée cul nul sur le campus. Vous allez nuire à ma carrière et le président Pompidou va être fou de rage», lui avait-t-il asséné.

Georges Pompidou l’avait prévenue : son mari était un bulldozer qui pouvait l’écraser. Mais, Bernadette Chirac a appris à résister et à se battre, notamment contre elle-même. La jeune fille timide a réussi à imposer Jacques Chirac dans sa famille issue de la grande bourgeoisie, alors qu’il avait un nom sans particule. Cette femme a hiérarchisé ce qui était important dans sa vie : son mari, ses enfants, sa famille. Et malgré son allure au début effacée et coincée, elle s’est révélée plus stratège que ce que l’on imaginait.

Comme le dit sa fille Claude, «elle en a bavé» et a aussi dû gérer les infidélités supposées de son mari…

C’est une femme qui a souffert, qui a bataillé et qui n’a finalement jamais renoncé. Elle a toujours trouvé des alliés, à commencer par sa belle-mère, Marie-Louise Chirac, qui l’a aidée à faire revenir Jacques Chirac des Etats-Unis, alors qu’il souhaitait se fiancer avec une Américaine. Bernadette a ensuite pu compter sur le soutien du directeur de l’ENA qui rappela à Jacques Chirac, en 1957, qu’il avait «signé un contrat avec l’Etat», alors qu’il rêvait d’une carrière militaire. Enfin, elle a fait équipe en 1976 avec Marie-France Garaud, conseillère du président Georges Pompidou, laquelle a mis fin à la liaison entre Jacques Chirac, alors Premier ministre, et une journaliste du Figaro.

Peu à peu, elle s’est muée en animal politique, au même titre que son mari, et est devenue la première dame préférée des Français selon les sondages.

Elle s’est imposée en femme politique, tout en assumant ses idées et ses convictions. C’est une femme de droite, catholique, conservatrice, gaulliste. Et surtout, capable de s’opposer à Jacques Chirac. Elle a soutenu, par exemple, Nicolas Sarkozy qu’elle voyait comme le successeur de son mari, quand ce dernier rêvait d’un autre. Quelle revanche pour la jeune timide dont on n’entendait pas le son de la voix à Sciences-Po et qui est devenue une porte-parole de la droite, et avant tout de son époux. Bernadette Chirac a eu une vraie intuition politique. On a sous-estimé sa part dans la conquête de Jacques Chirac.

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© Thomas Coex / AFP

Sa popularité, elle l’a gagnée en cassant son image austère…

Elle était consciente de son capital sympathie assez faible. Tout comme son directeur de cabinet qui a senti qu’il fallait présenter cette femme sous un autre jour. Bernadette Chirac a donc fendu l’armure. Elle a notamment donné une dimension incroyable à l’opération Pièces Jaunes et s’est confiée dans son livre «Conversation» de Patrick de Carolis, paru en 2001 et écoulé à plus de 300 000 exemplaires. Beaucoup de Françaises ont été touchées par son histoire, celle d’une petite fille qui a connu la guerre, qui est tombée amoureuse d’un homme séduisant et séducteur et qui s’est battue pour sauver sa fille malade.

L’anorexie mentale de son aînée Laurence a-t-il été le combat de sa vie ?

Sans aucun doute. C’est sa plus grande souffrance. Elle ressent une profonde détresse de ne pas avoir décelé assez tôt la maladie et de ne pas avoir trouvé la cause, ni le remède. C’est son chemin de croix. «La Maison de Solenn», qu’elle a fondée avec le journaliste Patrick Poivre d’Arvor, reste sa plus belle victoire. C’est un centre qu’elle aurait rêvé d’avoir quand elle a été confrontée à l’anorexie mentale de son adolescente. Il y a eu des moments d’abattement et de découragement, mais jamais de reproche envers Jacques Chirac. Ce père pudique et souvent absent tentait pourtant de trouver du temps pour sa fille malade. Il lui arrivait de déjeuner deux fois : une première pour faire manger Laurence, et une seconde avec ses collaborateurs.

Catholique, Bernadette Chirac était une fervente pratiquante…

La foi a été pour elle une bouée de sauvetage. Elle conservait toujours un chapelet dans son sac à main, se rendait régulièrement à l’église Saint-Gervais de Paris, derrière l’Hôtel de Ville, et a été admise plus tard à l’Ordre de Malte. Reflet de son éducation, ses convictions religieuses ont structuré sa vie. Lors de la messe d’enterrement de sa fille aînée Laurence, le 16 avril 2016, elle dira au prêtre : «Cet enfant, Dieu me l’a donné et je dois le lui rendre, il ne m’appartient pas.»

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© Archives familiales Courcel

La politique a-t-elle nui à l’équilibre familial ?

S’il y a eu des déjeuners en famille et quelques vacances, la politique a tout dévoré, telle une ogresse. Elle représentait la maîtresse, la mère, et structurait le clan. En 1995, après la victoire de Jacques Chirac à l’élection présidentielle, c’est une famille qui entre à l’Elysée, avec deux femmes au service d’un même homme. Bernadette et Claude sont les deux meilleurs soutiens de cet animal politique, qui mêlent amour et ambition.

Bernadette n’a-t-elle jamais cessé de chercher la reconnaissance de son mari ?

Elle a toujours voulu épater Jacques Chirac. Et cela, dès leur rencontre, quand elle a osé s’afficher en terrasse avec lui ou passer des heures au téléphone telle une midinette, alors que sa famille voyait cela d’un mauvais œil. Elle a montré qu’elle était digne de cette union et de la confiance qu’il lui accordait, malgré le manque de reconnaissance publique. Bernadette Chirac a su trouver sa place à une époque où la parité homme-femme n’était pas un concept. Face à un Jacques Chirac macho, elle n’était pas une femme soumise et avait son franc-parler. Elle a osé lui dire qu’il allait faire une bêtise au moment de la dissolution de l’Assemblée nationale en 1997, qu’il n’avait pas vu Jean-Marie Le Pen arriver au second tour de l’élection présidentielle en 2002, ou qu’il ne savait tout simplement pas s’entourer, en fustigeant «ces petits marquis dans leurs fauteuils» pour désigner les conseillers présidentiels. Jacques Chirac reste l’homme de sa vie, malgré toutes les tempêtes, les incartades et les coups de canif dans le contrat de mariage. C’est un couple qui s’est marié pour le meilleur et pour le pire.

Une attitude presque féministe ?

Sans être Simone Veil, qui s’est illustrée en tant que ministre, Bernadette Chirac a ouvert la voie, à sa manière, à d’autres femmes. Elle a démontré qu’une première dame pouvait avoir un rôle à l’Elysée.

Elle a eu une vraie intuition politique. On a sous-estimé sa part dans la conquête de Jacques Chirac.

Un palais qu’elle considérait comme «sa maison» et sur lequel elle veillait en bonne maîtresse de maison.

Elle s’y sentait comme chez elle et qualifiera ses douze années passées là-bas (de 1995 à 2007) comme les plus belles de sa vie. Elle vérifiait tout, de la propreté des verres à la poussière sur les tables, allant jusqu’à s’intéresser à la décoration florale du parc. Ses inspections étaient craintes par l’ensemble du personnel. La représentation est très importante pour Bernadette Chirac. Elle est encore aujourd’hui très fière d’avoir servi l’Etat et d’avoir soigné cette vitrine de la France.

A-t-elle des points communs avec l’actuelle première dame de France, Brigitte Macron ?

Elles sont arrivées toutes les deux pratiquement au même âge à l’Elysée : à 62 ans pour Bernadette Chirac et à 64 ans pour Brigitte Macron. Ces femmes ont transgressé les règles de leur milieu bourgeois. Bernadette Chirac a imposé un petit-fils d’instituteurs corréziens et Brigitte Macron s’est mariée avec un homme qui n’était pas de sa génération. Lors de leur rencontre au palais de l’Elysée, en septembre 2017, elles ont beaucoup échangé sur les fondations caritatives, ce qui prouve qu’elles partagent certains combats.

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© Fayard / Vincent de Courcel /Archives familiales Courcel

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