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Laïcité : ce que dit la loi de 1905, ce qu'elle ne dit pas

Une photo de la Constitution de 1958 prise au Conseil constitutionnel, le 21 juin 2018, à Paris. [© JOEL SAGET / AFP]

Nouvelle polémique sur le port du voile, listes communautaires aux municipales, potentielle réforme dans les tuyaux... Depuis plusieurs semaines, la notion de laïcité est au cœur des débats, au risque d'être dévoyée, caricaturée, voire instrumentalisée pour stigmatiser les musulmans. Mais que dit concrètement la loi de 1905 ?

Dans l'Hexagone, la laïcité est un principe, constitutionnel depuis 1958, qui sépare le pouvoir politique des cultes religieux. La République garantit ainsi à chaque citoyen la liberté d'exercer librement sa religion, dans le respect de celle d'autrui. A l'époque, donc, il n'était nullement question – comme c'est le cas aujourd'hui – de cantonner la religion à la sphère privée, ni d'interdire le port de signes religieux. Retour sur les règles de cette «exception française», secteur par secteur.

dans le milieu scolaire

Julien Odoul, l'élu RN qui a pris à partie une mère de famille voilée il y a quelques semaines, relançant un énième débat sur le foulard islamique, ne connaît visiblement pas la loi, ou choisit de ne pas la respecter. Car, sauf si elle fait acte de propagande ou de prosélytisme, rien n'interdit à une femme voilée d'accompagner des enfants lors d'une sortie scolaire, même au cœur d'une assemblée d'élus.

Et pour cause: la neutralité religieuse, qui induit l'interdiction du port de signes religieux dans les écoles, collèges et lycées, ne s'applique qu'aux élèves, aux enseignants et aux agents de la fonction publique. Et pas aux parents d'élèves accompagnateurs qui, n'exerçant pas une «mission» de service public, restent de simples «usagers» du service public. Une règle réaffirmée par le Conseil d'Etat en 2013, avec une exception néanmoins: lorsque le parent d'élève intervient à l'intérieur d'un établissement scolaire, dans une classe par exemple.

A l'université, le port d'un signe religieux est autorisé sans exception.

DANS L'ESPACE PUBLIC

A ce jour, aucune loi n'interdit pas le port de signes religieux dans l'espace public. Chacun est donc libre d'arborer un voile, une kippa, une croix, ou encore un dastar (turban sikh) sur la voie publique, dans un marché, à la plage... Seules les tenues dissimulant le visage, comme le niqab et la burqa, mais aussi les cagoules ou les casques de moto, sont prohibées dans l'espace public depuis la loi d'octobre 2010. A noter qu'aucune référence à l'islam n'est mentionnée dans ce texte, il s'agit juste d'une question de «sécurité publique».

Pour revenir sur la récente polémique qui divise les politiques, la femme voilée agressée par l'élu d'extrême droite avait donc bien le droit, en tant que simple accompagnatrice, de garder son hijab à l'intérieur du conseil régional, aucun texte de loi ne l'obligeant à le retirer.

Au travail

Dans la fonction publique, le port d'un signe religieux est proscrit. Les agents publics, qu'ils travaillent ou non au contact des usagers, sont en effet assujettis à une obligation de neutralité. Comme le note Le Figaro, les élus ne sont toutefois pas concernés: ils peuvent garder leur foulard ou leur kippa au sein d'un conseil régional ou d'un hémicycle, et ne doivent le retirer que lorsqu'ils exercent en tant qu'officier d'état civil (pour célébrer un mariage, par exemple).

Dans le secteur privé, le port d'un signe religieux est autorisé, mais reste soumis à la discrétion de l'employeur, qui peut choisir de le restreindre pour des motifs strictement professionnels (organisation, sécurité et hygiène). Depuis la Loi travail de 2016, une entreprise peut même inscrire l'obligation de neutralité (politique, religieuse...) dans son règlement intérieur, par exemple pour les salariés qui seraient amenés à rencontrer des clients, rappelle La Voix du Nord.

Vers une réforme de la loi de 1905 ?

Près de huit Français sur dix (78%) jugent la laïcité aujourd'hui menacée en France, contre 58% en 2005, selon un récent sondage Ifop pour le JDD. Et une même proportion pense que «la question de la laïcité se pose aujourd'hui différemment en France s'agissant de la religion musulmane». De quoi encourager le gouvernement à poursuivre son projet, annoncé de longue date, de réorganiser l'islam de France. Une refonte qui pourrait bien prendre la forme d'un toilettage de la loi de 1905.

Dans cette optique, Emmanuel Macron rencontre ce lundi 28 octobre les représentants du Conseil français du culte musulman (CFCM) pour faire avancer cette réforme. L'objectif premier ? Encadrer le financement de l'islam pour éviter les influences étrangères (des pays du Golfe notamment). Il pourrait par exemple s'agir de faire passer la gestion des mosquées – dont la plupart sont actuellement sous le régime des associations prévu par la loi de 1901 – en association de la loi de 1905, un régime bien plus contrôlé. Une réforme plutôt a minima, donc.

Sauf qu'en parallèle, des élus – de droite surtout – demandent d'aller plus loin, en interdisant le voile dans les sorties scolaires (une proposition de loi LR sur ce sujet va être examinée ce mardi par le Sénat), voire en le prohibant dans tout l'espace public. Une perspective décriée à l'unanimité par les associations de défense des droits et les représentants du culte. «Si une loi passe en France sur le port du voile dans l'espace public, ce sera le seul pays d'Europe où une femme ne peut pas sortir avec un voile», s'inquiète auprès de France Info Abdallah Zekri, président de CFCM.

Qu'elle soit de taille ou à la marge, une réforme de la loi de 1905 semble être en marche. Problème : sous couvert d'une «laïcité renforcée» visant toutes les religions, elle ne ciblerait que la religion musulmane. Emmanuel Macron l'a évoqué lui-même en parlant de «précipitation» sur RTL: «[En France] on confond les sujets, on ne me demande pas de parler de laïcité, on veut que je parle d'islam.» D'où une question: peut-on légiférer efficacement et justement dans un climat quasi hystérique de stigmatisation des musulmans ?

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