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Cédric Villani : «Une société qui se préoccupe plus de la propreté de ses trottoirs que de l’éducation de ses enfants est à plaindre»

Le scientifique regrette la prédominance des sujets de gestion du quotidien, au détriment des projets d'avenir.[© JOEL SAGET / AFP]

Il est en difficulté dans les sondages, mais Cédric Villani entend bien aller jusqu'au bout de cette élection municipale à Paris. Car le candidat LREM dissident met en avant son indépendance ainsi que son projet. A moins de deux semaines du premier tour, le mathématicien a échangé autour d'un café avec CNews.

Comment jugez-vous la gestion du coronavirus ?

Moi, je ne me permettrai jamais de lancer une polémique sur ce sujet. Pour l’instant il n’y aucune faute dans la façon dont ça a été géré, au niveau de l'information, de l'AP-HP. On ne peut rien dire d’autre que «restons concentrés, serrons-nous les coudes et écoutons bien ce que dit le gouvernement».

Vous dites vouloir être «le premier maire écologiste de Paris»...

L’un des volets principaux de mon programme est l'environnement. Je prévois d'investir près de 5 milliards d'euros pour la transition écologique.

En tant que scientifique, ces sujets de l’environnement et du changement climatique, je les ai vus, j’ai participé à des discussions en France et à l’étranger. J’arrive avec ma culture scientifique et des équipes qui en sont aussi imprégnées, qui savent très bien comment aller au-delà des apparences.

Vous proposez notamment l'automatisation des lignes de métro 7, 8 et 13. Serait-ce vraiment efficace ?

On ne peut pas dire qu’on veut un report de la voiture vers les transports en commun et ne pas s’organiser pour que cela se fasse de la meilleure façon possible. En termes de quotidien et de qualité de vie, c'est ce qu’on fait pour les transports en commun qui a le plus d'impact.

La voiture, c’est environ 13 % des déplacements, le vélo 5 % et le métro 80 %. En accélérant son automatisation en partenariat avec IDF Mobilités, on augmente sa capacité de 25 %. C’est beaucoup plus important que de faire augmenter de moitié la part du vélo.

Cela ne veut pas dire qu’on ne veut rien faire pour le vélo, au contraire, j’y consacre 400 millions d’euros d’investissement. Mais on ne veut pas privilégier un mode de transport par rapport à un autre.

Votre «écologie progressiste», mêlant action immédiate et ménagement du monde économique, serait-elle suffisante face aux défis à venir ?

Je crois que si vous faites contre le monde économique, tout va s’écrouler. Il faut entraîner tout le monde. Je réitère ma conviction que l’écologie n’est ni de droite, ni de gauche. C’est quelque chose qui doit imprégner tous les processus. 

Aujourd’hui, certains acteurs économiques mettent dans leur cahier des charges l’impact écologique en premier critère, avant le coût. C’est une pratique que je favoriserai en tant que maire, à travers les appels d’offres, de façon à montrer l’exemple.

Votre vision de l'écologie peut-elle coller avec celle des Verts ?

Il y a du chemin à faire de la part d'EELV. Les Verts ont de très grosses visées écologiques mais restent dans la tradition d’un corpus idéologique construit de bric et de broc, en partie dans le rejet du nucléaire ou de l’urbanisme.

Je reste où je suis, sur ma vision et mon programme. On propose une vision et des solutions pour régler les problèmes. Il faut regarder de façon rationnelle la question du changement climatique et de la construction d’une société post-carbone. Et parfois, cela dépasse les évidences.

Vous misez aussi beaucoup sur l'éducation...

Paris ville lumière, c’est avant tout un Paris de la connaissance, qui va de la maternelle au laboratoire de recherche. Mais la ville a aujourd’hui de très grandes forces et de très grandes faiblesses, avec certaines des meilleures écoles du monde et d’autres complètement abandonnées, dans lesquelles il n’y a pas une note d’espoir.

C’est pour cela que je propose la mise en place d’une école internationale dans le nord-est parisien. C’est une question d’attractivité et d’excellence, mais aussi pour affirmer : «tous les quartiers de Paris ont le droit à l’excellence et à l’espoir». 

On a un mouvement de repli aujourd’hui, certains sur les communautés. Les écoles publiques se vident au profit de celles du privé. Nous avons le devoir de tout faire pour mettre davantage d’options dans les écoles publiques, faire des projets ensemble, grandir ensemble.

Le sujet de l'accueil des migrants fait polémique ces derniers jours entre la droite et la gauche. Quelle est votre position ?

C’est accueil d’abord, et gestion ensuite. Les conditions dans ces camps sont indignes, il y a de quoi devenir fou. D’autre part, ce sont des problèmes d’ordre public considérables. Mais la mairie de Paris ne décide pas toute seule. Elle peut donner l’impulsion, mais c'est un sujet qui doit être traité à l’échelle plus large, régionale.

Il y a en France de nombreux emplois qui ne sont pas pourvus dans des secteurs où la main d’œuvre se fait rare, dans la culture ou dans l’industrie, par exemple. Ces personnes pourraient être accompagnées vers ces métiers. En travaillant avec la région et l'Etat, il faut renforcer les dispositifs qui existent, pour les formations à la langue française et professionnelles.

Il est là le «en même temps» : on les accueille et on les sort de l’espace public, et puis on les accompagne.

Et pour les sans-abri ?

Je m’engage à mettre à leur disposition 1 % du parc social, pour un accueil inconditionnel. Cela représente 3.000 logements, environ le nombre estimé de SDF à Paris. Plutôt que les hôtels froids qui désocialisent et coûtent cher à la collectivité. Ces personnes seraient aussi prises en charge, avec un accompagnement social et médical.

Et on renverse les perspectives, le logement devient un préalable à l’accompagnement, et non pas une conclusion. L’approche que je propose tient bien sur ses deux jambes : une jambe «ordre public», une jambe «accompagnement».

Outre les mesures politiques, vous proposez un projet de société...

La mairie de Paris, ce n’est pas que de la gestion. C’est aussi de la vision. C’est se projeter, se demander quel Paris on veut dans dix ans. Quelle répartition des pouvoirs ? Plus d’arbres, moins de voitures en surface, plus de transports en commun, la République plus présente, des écoles mieux équipées, des lieux dont on est fier.

Une société qui passe plus de temps à se préoccuper de la propreté de ses trottoirs qu’à l’éducation de ses enfants, c’est une société à plaindre. Et aujourd’hui, cela reflète la faillite de l’équipe d’Anne Hidalgo pour gérer ce quotidien. Cela a pour conséquence qu’on ne se préoccupe pas assez des vrais sujets d’avenir dans le débat public. 

De façon désolante, le débat a été restreint à ces choses du quotidien, qui devraient juste être considérées comme un dû. Propreté et sécurité, on devrait déjà les avoir et ne plus en parler.

Ne retrouvez-vous pas une vision chez d’autres candidats ? 

Ici et là, on va trouver des touches, mais le débat s’est tellement focalisé uniquement sur le quotidien et pas sur la vision, que j’ai du mal à en citer. Prenez les déclarations de Rachida Dati et d’Agnès Buzyn : on est complètement dans l’immédiateté, dans le quotidien, dans la façon dont gérer l’urgence seulement. 

Agnès Buzyn juge «important d'avoir une personnalité comme Cédric Villani à la mairie»...

Si elle me veut comme maire de Paris, je dis d’accord ! (rires)

Pourriez-vous travailler avec elle ?

Pour l’instant je ne vois pas dans le programme d’Agnès Buzyn matière à ce que je le soutienne. Je vois un projet fort différent du mien. Ce qui compte plus que tout dans ma candidature, c’est la cohérence, la liberté, les idées que je mets sur la table, l’indépendance. Et cela, j’y tiens plus que tout. 

Mon objectif n’est pas de savoir qui va rallier qui, c’est de proposer un projet et de convaincre les Parisiens que c’est le meilleur. Et le vote utile, c’est le mien, celui qui permettra de vraiment faire changer les choses.

Car c’est un vote parisien. Dans une sorte de débat national, Agnès Buzyn incarne l'échec de LREM, Anne Hidalgo l’opposition de gauche et Rachida Dati celle de droite.

Pensez-vous pouvoir incarner un bloc central entre Anne Hidalgo et Rachida Dati ?

La troisième voie, c’est ma candidature. Centrale, en équilibre, qui s’inscrit dans le progrès, qui aborde les sujets sans a priori, avec de la rigueur. Un projet budgété, qui regarde à la fois les petits détails et les grands enjeux.

C'est très «macronien» comme définition...

C’est exactement le «en même temps». C'est l’esprit avec lequel je me suis engagé en 2017.

Il y a une grande cohérence dans tout mon parcours. Dès que j'ai reçu la médaille Fields en 2010, cela a été mon obsession : comment utiliser cette notoriété pour servir la société ? Avec des principes dont je n’ai pas varié, refusant de choisir entre une case gauche et une case droite, dès 2010.

En 2014, vous avez pourtant été le président du comité de soutien d'Anne Hidalgo…

Oui, je l’ai soutenue car son projet insistait sur l’écologie et l’innovation. Le projet avait les bons axes, c’est l’exécution qui a été décevante, la méthode, le côté clivant.

D’ailleurs, lors de mon premier discours de comité de soutien, en 2014, j’avais déclaré : «Je ne suis ni de gauche, ni de droite».

Le premier débat télévisé [le mercredi 4 mars] approche...

J’ai hâte, car ce sera une occasion de présenter, d’incarner et de bien rappeler tout ce qui fait la spécificité de ma démarche. Ma liberté, le fait d’avoir fait carrière en dehors de la politique, de travailler sur une vision du quotidien et du progrès. Je ferai tout pour convaincre les indécis.

A quinze jours de l'élection municipale, beaucoup de Parisiens sont encore indécis. Pourquoi voteraient-ils pour vous ?

Je suis le seul candidat libre, le seul qui n’est pas prisonnier d’un parti. Quand je dis quelque chose, il n’y a pas un appareil derrière qui me fera changer de discours. Pour tous les autres partis, la situation nationale influe sur leurs discours, leurs décisions et leurs priorités.

Certains candidats, qui se proclamaient «libres», se sont ralliés quand l’échéance s’est approchée. Moi, je suis resté imperméable aux difficultés. Mon programme a été fait en pensant à Paris, sans reprendre un discours établi ou sans tenir compte d’élections qui viendront après. Ça se voit dans le fait que je peux mettre sur la table certains sujets librement.

Lesquels par exemple ?

L’agrandissement de Paris, qui va dans le sens de l'Histoire. Ce qui serait impossible pour un candidat d'un autre parti, qui se dirait : «attention, je vais me mettre mal avec untel», «ça va casser notre accord avec un autre», ou bien «on avait fait un deal»…

Un autre sujet est celui de la démocratie, qui doit être refondée, avec une bonne dose de démocratie directe et citoyenne. Et il faut davantage de pouvoir pour les maires d'arrondissements. Depuis l’hôtel de ville, on ne peut pas gérer tous les sujets, d’urbanisme, de nettoyage, de sécurité.

Là où les autres candidats sont d’accord pour leur confier des tâches du quotidien, il faut aller plus loin, avec des responsabilités sur la façon dont leur arrondissement va se transformer.

C'est-à-dire ?

L’exemple emblématique est celui de la tour Triangle. Cette décision a été prise contre la volonté du 15e arrondissement. C’est un sujet majeur, controversé. Comment est-ce possible qu’une collectivité grande comme Bordeaux [environ 240.000 habitants, ndlr] se fasse imposer une telle décision depuis la mairie centrale ?

C’est une pratique qui déresponsabilise les maires d’arrondissements. Et aujourd’hui, on a besoin de cette proximité. Tous les gens qui ont manifesté lors des derniers mouvements sociaux disent vouloir davantage d’écoute, de proximité avec les élus pour qu’ils puissent rendre des comptes.

Et ce n’est pas sans lien avec le Grand Paris. Si on dit au maire de Montreuil qu’il peut être un vrai maire respecté, pouvant prendre des décisions avec le reste de Paris, avec un budget important, là il pourrait être intéressé par cet agrandissement.

Vous feriez ainsi adhérer les maires de banlieue à votre projet de «Nouveau Paris» ?

Il faut trouver un bon mix. Il se peut qu’il y ait une dialectique un peu ferme, mais je parlerai plutôt d’une négociation. De toute façon, à la fin, cela ne se fera pas sans une volonté commune, entre le maire de Paris et les maires des communes limitrophes.

On se base sur des projets plutôt que sur de la redistribution d’argent, qui ne sont que des flux financiers. Ça ne vous apprend pas à travailler ensemble. Il faut des infrastructures communes, comme le Grand Paris Express, des gymnases, des crèches, des bibliothèques, des passerelles…

La politique, c’est comme la vie. Vous ne signez pas le contrat de mariage si vous n’avez pas appris à vous connaître. Il faut bâtir une relation de confiance.

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