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Rodolphe Oppenheimer, psychanalyste : «les syndromes post-traumatiques vont se multiplier»

[@ Paul Cloud]

Alors que le confinement, effectif en France depuis le lundi 16 mars, transforme nos habitudes de vie, notre quotidien, et la vie familiale et de couple, l'impact psychologique et psychique dans la population inquiète les professionnels. Le psychanalyste et psychothérapeute Rodolphe Oppenheimer, qui a mis en place une méthode de consultation à distance, livre son analyse.

La situation actuelle a-t-elle transformé votre façon de travailler avec vos patients ?

Je suis allé au devant de mes patients pour leur proposer ce fonctionnement (à distance). Jusqu'au 1er tour des élections municipales, il etait encore possible de faire venir les patients au cabinet, avec de multiples précautions. Mais dès lundi 16 mars, j'ai pris des mesures par SMS pour mettre en place les consultations à distance.

En ce moment, dans la pratique, toutes mes consultations se font par ce biais, par visio-consultation ou par téléphone. Mes patients l'acceptent ou pas, parfois à cause de contraintes dûes au confinement, comme la promiscuité avec ses proches au domicile. Si la famille est juste à côté, il est alors parfois difficile d'aborder certaines questions ou parler librement. Pour d'autres, le refus est choisi. Cela peut concerner les patients qui subissent une angoisse aigüe, et qui ne ressentent alors pas encore le besoin de parler.

Comment s'organise ces consultations ?

On peut appeler ça «Skype thérapie» ou «Télé-thérapie». C'est une méthode sur laquelle j'ai beaucoup travaillé, pour l'approfondir et en tester l'utilisation et la validité. Elle a donné lieu à un livre blanc de ma part. Les patients réagissent différemment selon les profils. Certains seront plus à l'aise en face-à-face, et ne s'adapteront pas à cette méthode. D'autres, au contraire, la plébiscitent. Ils n'ont pas l'impression d'être perçus, ou scrutés par le thérapeute. Je conseille d'ailleurs aux gens qui veulent consulter de privilégier le téléphone, tout simplement parce que les systèmes du type Skype poussent à la «coquetterie», on se sent obligé de s'apprêter pour la séance, il y a alors une perte de concentration. 

Qu'avez vous pu constater après une semaine de confinement ?

Je n'ai pas eu forcément une hausse des demandes de consultations, mais ceux dont je m'occupe m'ont tout d'abord posé des questions médicales, techniques, pratiques, eu égard à mon métier : peut-on vraiment sortir, aller faire des courses, les médecins consultent-ils toujours,...

Ce que j'ai pu constater, dans la période actuelle, c'est la survenance d'un phénomène de sidération face à la situation, la personne est comme en K.O. technique. La multiplication des annonces officielles, leur caractère parfois contradictoire dans le temps (on est passé d'un virus vu comme une simple grippe, à un confinement généralisé et strict, le premier tour des élections municipales s'est tenu, et le lendemain le confinement débutait...) ne font qu'accentuer cette sidération. 

Quel discours tenez-vous pour répondre aux sollicitations des gens ?

Une fois en contact avec le patient, je tiens toujours le même discours, mais  je vais le faire varier selon le profil. Face à un caractère «transgressif», pour qui, «de toute façon, il ne m'arrivera rien», je peux être assez brutal. Je précise bien la gravité des choses, je prèfère ne pas être trop rassurant. A l'inverse, pour des personnes âgées, ou ceux qui suivent bien les recommandations et jouent le jeu des précautions, je serai plus rassurant, et il y a des raisons de l'être. Les mesures sont finalement prises par les pouvoirs publics, notre système de santé reste malgré tout performant, et une certaine marge existe, à l'image des hôpitaux de campagne que l'on installe dans les zones très touchées. Par contre, je précise bien à tous qu'il n'y a pas de petit risque. Pour le ravitaillement, il vaut mieux par exemple se faire déposer les courses devant chez soi si l'on est particulièrement fragile.  

Quel constat faites-vous de vos séances à distance, dans ces premiers jours ?

Le cheminement psychique des personnes confinées suit une évolution en plusieurs étapes. Il ya généralement d'abord le refus de la situation. On se dit «personne ne m'empêchera de vivre». Puis, selon la situation ou le profil, la réaction est différente. Si le sujet est anxieux, il va tout de suite vouloir parler et évacuer ses angoisses de mort ou de maladie, ou ses peurs. Quelqu'un de dépressif, au contraire, va se recroqueviller sur lui-même, et sera tenté de multiplier les abus, comme de trop manger. Pour lui, il sera difficile de demander de l'aide, et malheureusement, ce n'est souvent que plus tard que la crise éclate, sous forme de syndrome post-traumatique.

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Il faut bien expliquer qu'il est normal pour tout le monde, face à une telle situation de confinement et de bouleversement des habitudes, d'avoir peur. Pour les personnes seules, c'est bien évidemment le poids de la solitude qui devient encore plus pesant et s'aggrave avec le confinement. Ce profil-là aura alors l'impression d'avoir raté sa vie, de n'avoir rien construit, de n'avoir personne avec qui partager quoi que ce soit. Il faut dans ce cas trouver les moyens, par téléphone, skype... de garder le contact ou un lien avec l'extérieur, de diminuer ce sentiment d'isolement.

Y-a-t-il une règle de base à respecter pour éviter de perdre pied rapidement face à cette situation ?

Toutes les informations qui circulent, parfois fausses ou inexactes, la multiplication des écrans et moyens de communication, l'afflux de témoignages sur les réseaux sociaux (aussi bien de la part de proches), de fake news, sont particulièrement anxiogènes dans le présent, mais aussi dépressiogènes dès que l'on pense à l'après-pandémie, et la situation précaire dans laquelle tout un chacun pourrait se retrouver. Notre cerveau doit digérer tout cela en très peu de temps. Beaucoup de patients font des cauchemars, ne dorment pas bien, et restent scotchés devant les écrans. L'accumulation d'images et de propos qui n'apaisent pas aggrave leur situation. Dans ce cas, j'explique à ceux qui se sentent noyés sous les informations angoissantes, les images et nouvelles perturbantes, que le plus simple est de se tenir informé - une nécessité à l'heure actuelle - par le biais du point presse quotidien du Directeur général de la santé, le professeur Jérôme Salomon.

Au sein du couple, la situation est bien évidemment inédite. Quels réflexes simples peut-on adopter ?

Pour les couples, la vie va être transformée. Il va falloir trouver un équilibre entre vie de couple et vie professionnelle, pour ceux qui peuvent télétravailler. Ces deux domaines doivent être clairement dissociés, sinon l'empiètement de l'un sur l'autre va augmenter les risques de disputes. Il faut pouvoir garder l'impression qu'une fois le travail réalisé, le temps restant doit comprendre à la fois un temps pour la vie de famille, mais aussi pour soi-même. Tout le monde n'a pas la même attitude face à ses obligations professionnelles.

L'idéal est de pouvoir s'organiser un lieu à soi, se créer une bulle. Tout en sachant qu'il est plus facile de le faire quand on est un couple sans enfants, et que cela dépend beaucoup de la taille du logement. Au sein du couple, il ne faut pas avoir peur de coucher sur le papier les règles de vie, quitte à ressortir cette feuille quand une crise risque d'éclater. Scindez la feuille en deux, et posez les différentes tâches à faire, en visant une répartition égalitaire. Selon les situations, si l'une des personnes à l'habitude de s'occuper du foyer, il faut au contraire faire attention à ne pas lui renvoyer un sentiment d'inutilité soudaine, de ne plus avoir de travail ou d'occupation pour la communauté. A l'inverse, il ne faut pas que l'un des deux membres du couple devienne le «grouillot» de l'autre.

Y-a-t-il une partie de la population qui pourrait être plus fragile face aux semaines d'isolement qui s'annoncent?

Je pense surtout aux sans-papiers, SDF, tous ceux qui vivent dans la rue, et qui n'ont plus, ou très difficilement, de contacts avec le réseau d'entraide qui leur est destiné. Les solidarités du quotidien ont disparu, et leur situation psychique (pas d'informations, sentiment d'abandon face au danger,...) risque de s'aggraver fortement. La grosse crainte de la profession, c'est l'après. En ce moment, tout le monde est en mode «survie», mais dans quel état psychique va se retrouver la population après l'épidémie ?

Rodolphe Oppenheimer : Blog psy-92.net; guide «Peurs, angoisses, phobies,...Par ici la sortie» (Ed. Marie B).

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