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Mathias Girel : «Pour lutter contre les théories du complot, il faut réexpliquer la science»

Les théories du complots se multiplient sur le coronavirus Les théories du complot se multiplient sur le coronavirus.[Olivier DOULIERY / AFP]

Pas moins de 26% des Français pensent que le nouveau coronavirus a été conçu en laboratoire. C'est le résultat d'un récent sondage publié par l'Ifop, qui met en avant la large diffusion (même si elle est loin d'être majoritaire) des théories du complot sur la crise sanitaire. Pour répondre à cela, il est important de prendre le temps d'expliquer, selon Mathias Girel, spécialiste de la philosophie de la connaissance, qui a notamment travaillé sur le sujet des thèses complotistes.

Pourquoi cette crise est-elle propice à la diffusion des théories du complot ? 

Il est encore un peu tôt pour analyser les différents facteurs, mais il y a plusieurs motifs qui se mêlent là-dedans. Il y a la théorie du complot traditionnelle, que l’on va retrouver au sujet du Sida ou d’autres épidémies, avec l’idée d’une puissance étrangère ou d’une armée qui expérimente des armes biologiques. Il y a aussi la méfiance vis-à-vis des Etats en général. On a vu que certains pays essayaient d’instrumentaliser l’inquiétude au sujet du virus en établissant des controverses sur l’origine réelle de celui-ci. Il y a également une méfiance vis-à-vis de certains laboratoires pharmaceutiques et une inquiétude que chacun peut avoir pour sa propre santé. C'est ce que l’on appelle les biais de proportionnalité, qui font que face à quelque chose de grande ampleur, on a du mal à imaginer qu'une cause infinitésimale soit à la hauteur de l'effet. Ici une variation dans une séquence génétique d’un virus.

On a aussi vu que le phénomène grimpait fortement chez les électeurs d’extrême droite, pourquoi selon vous ? 

Il faudrait vraiment pouvoir comparer dans la durée les théories du complot au fil du temps à propos d’autres épidémies. Mais disons que si l’on est déjà dans un discours de méfiance vis-à-vis de la puissance publique et de la communication officielle, c’est peut-être plus facile d’être dans une position radicale vis-à-vis des explications données de l’épidémie actuelle.  

Est-ce qu’il y a quelque chose à faire pour lutter plus activement contre les théories du complot, où sont-elles endémiques à notre culture actuelle ?

Ce qui n’est jamais trop fait, c'est de réexpliquer la science, les essais cliniques réalisés actuellement. Cela peut être aussi d’expliquer pourquoi il est improbable que ce virus soit issu d’une manipulation militaire. Aucun Etat n’a vraiment intérêt à propager un virus qui atteint directement son économie, qui freine tous les échanges, qui peut se retourner contre la population. Si on pense à l’option «big pharma», c’est-à-dire que certains remèdes ne seraient pas testés car ils nuiraient aux intérêts de certains grands groupes, il suffit de considérer qu’il y a des centaines de labos qui cherchent un remède, et il est donc très improbable que si l'un d'entre eux fonctionne vraiment, il ne soit pas testé, entériné et déployé de manière large et conséquente. Je pense qu’on peut répondre à ces inquiétudes en expliquant comment la recherche est menée en France et dans d’autres pays qui ont les mêmes intérêts que nous à trouver des solutions le plus vite possible. 

Donc il faudrait que l’Etat prenne en main ces explications supplémentaires ? 

On ne le fera jamais trop. C’est important que l’ensemble des chercheurs compétents sur le domaine puisse prendre la parole, expliquer patiemment les choses et, si possible, que ce soit eux qu’on interroge, et pas d’autres voix marginales par rapport au débat ou beaucoup moins compétentes. Après il ne faut pas s’exagérer l’importance des théories du complot dans le problème auquel nous faisons face. Il y a des interrogations dans le public sur la France, grande nation industrielle, qui a des difficultés à fournir et produire des masques en quantité suffisante ou du gel hydroalcoolique, qui n’est tout de même pas une spécialité chimique d’une complexité incroyable. Ce type d’interrogation occupe plus de place dans l’esprit du public selon moi, c'est un ensemble de questionnement qui se recoupent. 

Les réseaux sociaux ont mis en place quelques mesures, est-ce suffisant ? 

C’est difficile car il y a sans doute un comportement différent sur Facebook et sur Twitter. Ce dernier est très suivi par des politiques et journalistes. Quelqu’un qui suit des sources de qualité depuis le début de l’épidémie a pu avoir une information relativement fiable sur les taux de mortalité, la propagation… C’est une source de connaissances et de vérités qu’il ne faut pas écarter trop vite. Alors bien sûr peuvent enfler des polémiques ou des emballements, mais il ne faudrait pas que cela conduise à jeter le bébé avec l’eau du bain. Sur Twitter, l’on retrouve par exemple un onglet automatique quand on fait une recherche qui sélectionne un certain nombre de sources sur le coronavirus. On peut penser ce que l'on veut de la sélection mais ce sont en général des agences, des organismes de recherche, de la communication officielle, c’est intéressant d’avoir cette mise en relief de l’information.

Sur le reste, chacun est libre de s’exprimer. Je comprends que des plateformes prennent des précautions par rapport à certains contenus qui pourraient être dangereux s’ils étaient suivis à la lettre, hors de tout contrôle médical. J’avoue que sur la modération qui est effectuée sur Facebook, je ne pense pas que l’on puisse avoir un retour suffisant pour le moment, il est trop tôt pour le dire. 

Pouvez-vous nous donner quelques astuces pour nos lecteurs si jamais ces derniers croisent des infos dont ils doutent ? 

Les méthodes vont être différentes selon les sources auxquelles on a accès, sa propre culture, son cheminement. En voyant une information étonnante, j’essaye de voir s’il y a des publications qui soutiennent cette affirmation, si elles sont des sources de qualité, exposées à la critique des meilleurs spécialistes du domaine. Il faut essayer de voir si la personne qui avance son propos est spécialiste de ce dont elle parle, ou est-ce qu’elle a une spécialité qui est différente. Il ne suffit pas d’être médecin aujourd’hui pour se prononcer sur l’épidémie même si chacun peut y avoir affaire. Tout cela peut se contrôler relativement facilement, et permettre d’écarter un certain nombre d’informations plus fantaisistes.

Si on a la chance de pouvoir lire une langue étrangère, il est intéressant de voir ce qui est dit du phénomène dans d’autres journaux anglo-saxons, espagnols… L'exemple d'épidémies précédentes est instructif si on a accès à internet, on peut voir comment les théories du complot sur le SIDA ont été instrumentalisés pour polariser l’opinion, c’est-à-dire pour opposer les gens. Cela peut donner un peu de recul pour sortir de l’instant présent et voir les phénomènes dans leurs continuités. Varier les sources, faire attention à l’origine de l’information, aux compétences des personnes qui avancent les propos, permet de se faire une idée sans être spécialiste. L’autre chose importante est que nous ne sommes pas obligés d’avoir une opinion ferme à court terme. Il y a des sujets sur lesquels la recherche est en train de se faire et il faut accepter de ne pas avoir une réponse immédiate. 

 

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