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Alain Héril, sexothérapeute: «Plus l’angoisse va prendre de la place, moins la libido trouvera la sienne»

Le psychanalyste et sexothérapeute Alain Héril est l'auteur de «L’orgasme thérapeutique» aux Editions Grancher.[@Sophie Benoît]

Sexualité et confinement font-ils bon ménage ? Le psychanalyste et sexothérapeute Alain Héril, auteur de «L’orgasme thérapeutique» aux Editions Grancher, explique l’impact de la situation actuelle sur la libido et donne quelques clés pour s’en accommoder.


Chez vos patients, sentez-vous que la sexualité est un sujet qui interroge voire qui inquiète pendant cette période de confinement ?

Complètement. Mais c'est souvent davantage la relation qui est interrogée que la sexualité en tant que telle. Ce qu’il faut savoir c’est que nous n’avons pas l’habitude de vivre l’un sur l’autre, confinés dans un lieu de vie. C’est quelque chose qui est inédit et que la plupart des couples n’ont jamais vécu. Donc cela réorganise totalement la relation, et modifie complètement les partages émotionnels. Or c’est quelque chose qui peut mettre à mal le couple.


Il y a beaucoup de personnes confinées, en couple ou loin de leur moitié, qui se posent des questions sur leur relation pendant cette période. Que l’on soit en début de relation ou avec quelqu’un depuis 25 ou 30 ans, les questions se posent de la même manière. Quel est le sens de la relation ? Est-ce qu’elle est bonne pour moi ? Jusqu’où je peux supporter la personne que j’ai choisie et avec laquelle je suis engagée ? Et, bien sûr, à l’intérieur de ces questionnements, la sexualité est elle aussi interrogée.


Le confinement correspond à plus de temps passé à la maison avec son (sa) conjoint(e). On peut penser que cela implique une vie sexuelle plus active. Mais dans les faits, est-ce vraiment le cas ?

Non ce n’est pas forcément le cas ! Il y a des couples pour lesquels cela va bien fonctionner et pour lesquels la situation va activer la libido. Mais le problème qui se pose pour beaucoup de couples avec le confinement, c’est le fait de se retrouver 24 heures sur 24 avec son conjoint(e). Comment peut-on se supporter l’un et l’autre dans un même espace ?

Par rapport à cela, les réponses données ne sont d’ailleurs pas du tout égalitaires. Les personnes qui sont dans un grand appartement peuvent chacun avoir leur espace et puis se retrouver à certains moments dans des espaces communs. Mais c’est beaucoup plus compliqué pour les gens qui vivent dans de petits espaces et qui sont l’un sur l’autre. A cela s’ajoute le poids de l’habitude et des contraintes comme le fait d’avoir les enfants 24 heures sur 24.

La question centrale est donc la suivante : comment le désir va-t-il arriver à trouver sa place au milieu de tout ça ? 
Ce qu’il ne faut pas oublier aussi, c’est l’état du couple avant le confinement. Il y a des couples qui, avant le confinement, n’allaient pas bien. Ce n’est pas parce qu’ils sont confinés ensemble qu’ils vont aller mieux et que le désir va revenir. Dans ce cas, la situation fait resurgir des problèmes et des dysfonctionnements que l’on n’avait peut-être pas vus auparavant. 


Vous parliez des contraintes et notamment du fait de voir son (ou sa) conjoint(e) 24 heures sur 24. L’anxiété et l’angoisse, que l’on peut ressentir en raison de l’épidémie de coronavirus et du confinement, compliquent-elles aussi l’apparition du désir ?

Bien entendu. On est dans une situation non seulement inédite mais qui n‘a pas été prévue. On ne nous avait pas annoncé dès le mois de décembre qu’on se retrouverait confiné pendant plusieurs semaines. Donc cela met certaines personnes dans une situation comparable à un évènement traumatique. Et comme dans toute situation qui créé du traumatisme, il y a une montée d’angoisse, une anxiété constante et puis parfois aussi des états dépressifs qui vont se révéler. Or tout cela ne peut pas aller avec une libido effrénée. 

Par ailleurs, l’angoisse est associée à une augmentation de la peur donc de l’adrénaline, de la noradrénaline et du cortisol. Or ce sont des hormones qui ne favorisent pas la circulation des hormones du désir. Par conséquent, plus l’angoisse va prendre de la place, moins la libido trouvera le sienne. Excepté pour certaines personnes qui vont se servir de la sexualité comme moyen de combattre l’angoisse. Mais celles-ci seront davantage dans une sexualité fonctionnelle qu’épanouie. Il s’agira plutôt du «petit coup de cinq minutes» pour évacuer les tensions. 

Vous parliez d’un aménagement du temps et de l’espace lorsqu’on le peut. Y a-t-il d’autres choses à faire selon vous pour créer des conditions plus favorables à une sexualité épanouie pendant cette période ? 

Il y a une règle de base qui est valable pour la sexualité comme pour le reste : la communication. Cela signifie qu’il faut prendre du temps pour parler tranquillement l’un avec l’autre, et pas juste pour échanger des informations.


La période de confinement peut aussi être l’occasion de faire un point sur son couple et se demander où est-ce qu’on en est l’un et l’autre. On peut également prévoir l’après-confinement et se demander ce qu’on va faire ensemble, comme un voyage ou des vacances par exemple. Cela permettra au couple d’être en projet ou d’avoir des rêves en commun, des choses qui alimentent aussi le désir, et ainsi de ne pas alimenter continuellement l’angoisse.

Lorsqu’il y a une baisse de libido, faut-il nécessairement passer outre ? Autrement dit, dans quelle mesure ne doit-on pas accepter ce ralentissement de la vie sexuelle dans une période si particulière ?

Effectivement, il ne s’agit pas d’imposer au couple la nécessité d’une sexualité effrénée pendant le confinement comme un signe de bonne santé de la relation. Les couples ont le droit d’avoir une perte du désir pendant cette période. C’est à dire qu’il faut remettre la baisse du désir dans le contexte qu’on est en train de vivre.


On peut simplement se demander si c’est la période qui amène une baisse du désir ou si la période révèle une baisse de désir qui était déjà présente avant. Mais dans tous les cas un ralentissement de la vie sexuelle ne signifie pas que le couple est en train de disparaître. Lorsque l’on continue à se sentir bien avec l’autre et qu’il n’y a pas de désir, ce n’est pas grave. Le désir reviendra peut-être après le confinement. Mais si l’absence de désir est associée à une insupportabilité dans le lien à l’autre, il faut se poser des questions. Dans ce cas là, il ne faut pas hésiter à consulter et ne pas se dire qu’on va attendre la fin du confinement alors que les choses risquent de s’accentuer et d’aller de plus en plus mal. Beaucoup de psychologues et de psychiatres continuent à donner des consultations à distance. 


«Avoir des orgasmes représente donc une bonne réponse vis-à-vis de la période que nous vivons»

Dans votre livre L’orgasme thérapeutique vous évoquez les nombreux bienfaits de la sexualité et de l’orgasme sur le corps et l’esprit. On peut donc imaginer que le sexe est un plaisir important dans un moment comme celui-là, comme une sorte d’exutoire ou d’anxiolytique ?

Tout à fait. De plus, beaucoup d’études faites aux Etats-unis concluent que l’orgasme renforce les défenses immunitaires. Sans compter qu’il est un antidépresseur naturel. Les hormones que l’on sécrète pendant l’orgasme, comme la dopamine, l’ocytocine et la sérotonine sont des hormones régulatrices de l’humeur. Elles mettent plutôt dans un état de joie et d’agréabilité. De fait, avoir des orgasmes représente donc une bonne réponse face à la période que nous vivons et à l’anxiété entraînée par le Covid-19. 

Mais encore faut-il avoir envie de vivre des situations orgasmiques que ce soit seul ou avec quelqu’un d’autre. Pour vivre des orgasmes il faut au départ un minimum de désir. Si le désir disparaît, l’orgasme ne va pas être au rendez-vous. 


Plus il y a de l’anxiété, plus il y a de l’angoisse et plus c’est difficile. Donc, dans ce cas, c’est presque un combat contre soi qu’il faut mener en essayant de traverser cela et de maintenir le lien avec sa libido. Et ça peut fonctionner ! 

«On peut profiter du confinement pour visiter sa sexualité tel qu’on ne l’a pas fait auparavant.»

On parle d’impact positif du sexe dans un moment de confinement, mais à l’inverse n’y a-t-il pas un impact positif du confinement sur la sexualité ? La situation n’est-elle pas l’occasion de reconnecter avec son désir et d’explorer de nouvelles choses, seul(e) ou en couple ?

Oui, c’est certain. Cela peut être le moment de penser à une autre manière de vivre sexuellement l’un avec l’autre. Il s’agit ainsi de mettre plus de créativité dans sa sexualité, de partager plus de fantasmes, d’investir le corps de l’autre d’une autre manière que ce qu’on a l’habitude de faire.

La plupart des couples font l’amour toujours de la même façon, une espèce de rite se met en place à un moment donné. C’est justement le moment de changer cela. Les ventes de sextoys en ligne ont explosé. Cela raconte bien quelque chose. On peut profiter du confinement pour visiter sa sexualité tel qu’on ne l’a pas fait auparavant. Que l’on soit seul ou à deux d’ailleurs car les sextoys sont de plus en plus utilisés en couple. Cela veut dire qu’il y a des couples qui vont profiter du confinement pour mettre plus de créativité dans leur sexualité et visiter des territoires qu’ils ne connaissent pas l’un par rapport à l’autre.

En résumé, le confinement amène à chercher autre chose, à inventer et à bousculer un petit peu ses habitudes et, il y a là-dedans quelque chose qui est très positif par rapport à la sexualité.

Avez-vous des conseils à donner pour y arriver ? 

Quand on le peut, il faut essayer de ne pas passer tout le confinement dans la même pièce et si possible d’avoir des espaces séparés. Car quand on est un peu éloigné l’un de l’autre, cela peut maintenir le désir quand même. 

Il faut aussi profiter du confinement pour se dire des choses qu’on ne s’était pas dites, partager ses fantasmes par exemple. Et puis également ce qui peut être intéressant, comme on est 24 heures sur 24 avec l’autre, c’est de se donner des rendez-vous sexuels, et, pourquoi pas, à des heures un peu farfelues.

Et puis il faut mettre du jeu aussi. On peut être chacun dans une pièce et s’envoyer des «sextos», ou des images coquines. C’est à dire retrouver la dimension ludique de la sexualité. L’idée est de changer le mode de fonctionnement habituel qu’on a l’un par rapport à l’autre. 

Et pour les personnes confinées seules, privées de leur.s partenaire.s potentiel.le.s, comment gérer la frustration de l’abstinence ?

Il y a tout ce qui est de l’ordre de l’activité masturbatoire qui permet de combattre l’abstinence. Nous avons la chance d’avoir des possibilités via Internet. Quand son compagnon ou sa compagne est loin, on peut dialoguer par écrans interposés et faire l’amour par skype. Il s’agit là-aussi d’être créatif avec de nouveaux outils. 

Quant aux personnes célibataires, elles peuvent se rendre sur des sites de rencontres et tchatter en ligne comme beaucoup le font. C’est alors l’activité fantasmatique qui va se mettre en place en faisant vivre des choses différentes avec des personnes que l’on ne connaît pas pour la plupart. 

La sexualité virtuelle revêt des aspects très positifs, à condition de rentrer dans ces univers-là de manière ludique, joyeuse et innovante. 


La consommation de contenus pornographiques aurait augmenté significativement depuis le début du confinement. Y a-t-il des contre-indications au visionnage trop fréquent de ces vidéos pendant cette période ? 

A situation exceptionnelle, comportement exceptionnel. La question, c’est l’après. Si tout à coup quelqu’un découvre Youporn à l’occasion du confinement et qu’après le confinement il ne peut pas s’en passer, c’est que le confinement aura révélé une petite addiction sexuelle.


Etant donné les nombreuses personnes confinées seules, il est logique que la consommation d’images pornographiques, ou le nombre de visites sur des sites de rencontres augmentent. 


Le dating vidéo qu'encouragent certaines applications ou les appels à envoyer des « nudes » pendant le confinement que l’on peut voir sur les réseaux sociaux ou sur l’application de rencontres lesbiennes Lex par exemple, représentent-ils des outils virtuels intéressants voire salutaires ?  

Il vaut mieux être en lien virtuellement avec quelqu’un qu'être dans un rapport à la solitude pathologique voire dépressif. Pour les personnes, qui étaient déjà avant le confinement dans des difficultés de rapport à la solitude, cela peut être salutaire.


Cela va passer par des dialogues sexuels, par des images ou des conversations virtuelles sur Tinder, Grindr ou ailleurs et des rencontres par téléphone, des relations sexuelles via des écrans… Ces modes de sexualité vont sans aucun doute être en recrudescence pendant le confinement. 


L’image virtuelle ne remplace par l’image réelle mais l’image virtuelle et la virtualité de l’autre a son sens. J’ai tendance à penser que la sexualité s’inscrit du côté du vivant, de l’Eros. Or envoyer des photos nus même à quelqu’un qu’on ne connaît pas, c’est encore de l’Eros. De cette manière, malgré le confinement et la maladie, le corps continue à exister, à être exposé et à être vu. 

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