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Témoignages : ils veulent réinventer leur vie professionnelle après la crise

Avec la crise, certains Français ont ressenti le besoin de se réinventer professionnellement, notamment pour se tourner vers des métiers plus manuels ou au contact de la nature.[PHILIPPE HUGUEN / AFP]

Pour l'instant, personne ne peut dire ce que le monde retiendra de la pandémie de coronavirus. Mais, à l'échelle individuelle, certains savent déjà que cette crise sanitaire va profondément transformer leur vie. C'est le cas de Thibault, Cyril et Christine qui, chacun de leur côté, ont profité de cette période atypique et troublée pour construire un projet de reconversion professionnelle.

En réalité, «ça fait un moment que ça me trotte», lâche la dernière. Agent des services hospitaliers en Ehpad, Christine, 51 ans, avait effectivement déjà songé à changer de métier. Sans se jeter à l'eau. Cette fois-ci, pourtant, c'est différent : elle assure que le confinement a déclenché une «prise de conscience».

«J'ai été arrêtée plusieurs fois depuis 2012, d'abord pour une opération des cervicales, puis mon coeur a lâché. On m'a posé un stent (petit ressort de métal qui renforce les artères ou leur évite de se boucher, ndlr). Actuellement, je suis en arrêt maladie car je suis considérée comme "personne à risque travaillant dans un milieu à risque". Ca m'a fait réaliser que ce métier n'est plus pour moi. Je ne peux pas continuer à m'abîmer comme ça, à me mettre en danger.»

Sa nouvelle vie, Christine l'imagine dans une plantation de baies de goji. «Je raffole de cette baie qui apporte de nombreux bienfaits. J'ai fait des recherches et je sais que ça se cultive plus ou moins facilement. Ça demande peu d'entretien, le rendement est conséquent et puis ça sort de l'ordinaire. Je n'ai pas envie de faire comme tout le monde.»

La future cultivatrice est actuellement à la recherche d'un terrain pour mener son projet à bien. « Je me suis renseignée auprès de ma banque pour un prêt et, sur les conseils de mon fils, j'ai ouvert une cagnotte Leetchi pour éviter un trop gros crédit», explique-t-elle.

«Assurer ses arrières»

Puisqu'elle «garde les pieds sur terre», Christine prévoit de conserver quelque temps encore son emploi d'agent des services hospitaliers, pour «assurer ses arrières». Sauf si «tout se passe bien» plus vite que prévu : alors elle lâchera ce «métier épuisant aussi bien physiquement qu'émotionnellement» sans regret.

Thibault devra lui aussi faire preuve d'un peu de patience avant de pouvoir profiter de sa nouvelle vie. Infirmier libéral, sa «conscience professionnelle» lui dicte de rester auprès de ses patients encore quelque temps : «ce n'est pas le moment de se dispenser de soignants».

Paradoxalement, cette crise qui révèle plus que jamais l'utilité de son métier est aussi ce qui le pousse à le quitter. «Ca aurait pu avoir l'effet inverse et me motiver, remarque-t-il. Parce que se sentir utile, c'est valorisant. Mais là ce n'est pas le cas, on a l'impression de subir, d'aller à la guerre sans arme.»

Le métier d'infirmier lui a longtemps «tenu à coeur», mais Thibault a accumulé de la fatigue en supportant «quotidiennement les situations les plus difficiles humainement». Pour lui, l'épidémie de coronavirus a fait office de «déclencheur».

«Cette situation est révélatrice de ce que les soignants disent depuis longtemps, affirme le jeune homme de 35 ans. On n'a pas cessé de répéter que si une vraie crise se présentait, nous ne serions pas prêts. Et bien voilà, on y est.»

Thibault dénonce des moyens «clairement insuffisants» accordés à la santé en France et le «manque de considération» ressenti par les professionnels du secteur. «On ne demande pas le grand luxe, ajoute-t-il, juste de pouvoir faire correctement notre métier, avec du matériel et un salaire décent».

Alors, quand il estimera pouvoir confier ses patients à quelqu'un d'autre, l'infirmier se tournera sans doute vers l'enseignement. «C'est encore un peu flou, concède-t-il, mais j'envisage différents concours. Pour enseigner dans les instituts de formation en soins infirmiers, ou alors dans un tout autre domaine. Les sciences sont ma passion.»

Thibault dispose d'encore un peu de temps pour affiner son choix mais il sait qu'il «faudra refaire une formation». Une perspective que Cyril préférerait éviter.

«Revenir à l'essentiel»

Cet ingénieur informaticien de 30 ans veut «revenir à l'essentiel». «Aujourd'hui je passe énormément de temps dans des réunions, à attendre des décisions. J'ai envie de faire des choses concrètes, de revenir à un métier plus manuel. Quand vous montez un meuble ou que vous retapez une maison c'est concret, vous voyez le résultat».

Pour sa reconversion, Cyril envisage différentes professions telles que «plaquiste ou peintre». «Des choses simples mais qui sont nécessaires». Seulement voilà : l'exercice de ce genre de métiers nécessite le plus souvent un diplôme spécifique, «au minimum un Cap ou un Bep», selon l'ingénieur.

«Ça implique de retourner sur les bancs de l'école pendant au moins 12 mois, constate le jeune homme. Dans l'immédiat, je ne vois pas trop l'intérêt.» Ce qui ne veut pas dire que le projet est avorté. Cyril estime disposer d'un «bagage assez généraliste» sur lequel compter, et a vu des personnes avec un profil semblable au sien réussir à atteindre les métiers qu'il vise.

De toute façon, l'ingénieur est convaincu qu'une reconversion ne se résume pas à «se focaliser sur ce qu'on était et ce vers quoi on veut aller. C'est une démarche de développement personnel, il s'agit de définir une nouvelle trajectoire».

D'ailleurs, Cyril juge que le changement est «toujours positif». «Rester sur ses acquis c'est se tirer une balle dans la tête», affirme-t-il. Une confiance en l'avenir que Thibault et Christine semblent également exprimer, chacun à sa manière.

Pour le premier, elle est mêlée à une légère dose d'appréhension : «Je suis dans le soin depuis 13 ans, j'ai de l'expérience, je connais bien. Alors forcément, il y a un peu d'angoisse à l'idée de se lancer dans quelque chose qu'on ne maîtrise pas, reconnait l'infirmier. Mais c'est un stress positif et stimulant. C'est l'occasion de réveiller l'intérêt et le plaisir de la redécouverte».

De son côté, Christine aborde son changement de vie avec philosophie. Heureuse de pouvoir compter sur le soutien de ses proches, elle accepte le risque de se tromper sans trembler. «On ne tombe jamais plus bas que terre, dit-elle avec sagesse. Parfois on s'écorche un peu les genoux, mais on se relève toujours.»

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