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Après 7 semaines de cours à distance compliqués, le personnel enseignant appréhende la reprise prévue le 11 mai

Les enseignants redoutent de devoir reprendre le 11 mai sans des consignes sanitaires applicables. Photo d'illustration. [GUILLAUME SOUVANT / AFP]

Il a fallu s’adapter. Surpris par un confinement «difficile et brutal», les enseignants ont dû vite répondre au défi de l'enseignement à distance. Face aux inégalités sociales et au manque de moyens, ils ont dû faire preuve de volonté et d’ingéniosité pour poursuivre leur mission. Celle-ci à peine en cours d’accomplissement, un autre défi de taille pointe le bout de son nez, le 11 mai prochain, avec le retour des plus petits sur les bancs de l’école. Et cela sans véritable ligne de route officielle et précise regrettent-ils.

Devant les sénateurs, le Premier ministre Edouard Philippe a évoqué ce lundi 4 mai la «bombe à retardement» qu’est le décrochage scolaire. Et le personnel enseignant est en première ligne pour le constater.

Dès le début du confinement, il a dû très vite s’organiser et ne pas perdre le lien avec les familles des élèves. «Les enseignants se sont vite emparés des moyens de communication», confie Jacques, directeur d’une école maternelle dans le Val-de-Marne.

Dans son établissement scolaire situé dans une zone REP+ (Zone d’éducation prioritaire), il était nécessaire de composer avec beaucoup d’élèves en difficulté sociale. «On a tenté de passer par les mails, mais on a très vite compris que c’était une obligation d’utiliser un autre support pour atteindre plus de personnes», ajoute le directeur.

«33% de la classe n’a ni tablette ni ordinateur»

Le manque de moyens a obligé le corps enseignant à varier ses moyens de communications car certaines familles «n’ont pas l’habitude d’utiliser un ordinateur, d’ouvrir les mails ou de tout simplement regarder dans les spams, précise Manu, instituteur dans une école du Val-de-Marne. Donc c’était très compliqué à mettre en route».

Après un sondage réalisé auprès de ses élèves, le jeune enseignant de 30 ans rapporte que «33% de la classe n’a ni tablette ni ordinateur» à son domicile et que «la moitié n’a pas d’imprimante». «Fatalement, beaucoup d’élèves ont pris du retard par rapport au travail qu’on a envoyé, faute de moyens», constate un brin désabusé Manu.

Une difficulté sociale également constatée par Laura, institutrice dans une école située à Paris, qui rapporte que des familles «ont plus de trois enfants et ont juste les téléphones de leurs parents» comme outil de travail.

Pour ne pas laisser des élèves sur le côté, les enseignants ont dû faire preuve d’abnégation. Jacques a par exemple enregistré des messages audios en «arabe ou en sri lankais pour toucher un maximum de gens, dont certains en difficulté avec la langue française».

La communication avec les familles a pu être en grande partie établie malgré quelques-unes «qui ne répondent pas et ne donnent aucun retour», regrette Manu. «C’était des choses qu’on voyait déjà avant le confinement et elles se sont accentuées», confie le trentenaire. Il espère, un peu défaitiste, que «le travail est fait et que les élèves ne peuvent pas l’envoyer, dans le meilleur des cas, sinon ce sont des élèves déscolarisés à domicile».

Une fois la connexion avec les élèves établie, l’outil de travail est validé par l’équipe enseignante. «On a réduit la quantité de travail à faire par peur de les submerger et afin que ça ne soit pas trop dur pour les parents également, précise Laura. Grâce à des associations, on a aussi pu distribuer des ordis à ceux qui n’en avaient pas».

Des cours par téléphone pour ceux qui n'ont pas de tablette

En fin de semaine dernière, cette institutrice d’une classe de CM1 a pu faire sa première classe virtuelle. «C’est mis en place par le CNED, précise la jeune enseignante. C’est comme si tétais en classe mais sur un ordinateur. Tu peux profiter de documents, suivre une leçon. Tu peux entendre les élèves s’ils souhaitent poser des questions, par audio ou le chat, on peut également activer la caméra s’ils en ont. Normalement, tout le monde est apte à suivre la classe virtuelle».

De son côté, Manu a pu commencer les cours en visio-conférence dès le retour des dernières vacances scolaires : «C’est plus facile pour les familles qui peuvent aussi se connecter avec leur téléphone».

Les méthodes sont variées et aident les parents à «dédramatiser la situation, leur inquiétude sur le suivi scolaire», relève Jacques. Dans son établissement, les enseignants utilisent YouTube afin de publier «des cours, des quiz». Si le directeur a constaté une baisse d’attention de la part des élèves durant la coupure des vacances, il a globalement reçu «des retours très positifs des parents, en nous remerciant».

Quant aux élèves, ils «ont l'air assez sereins par rapport à cette période, ils sont très motivés pour travailler», rapporte Elodie, institutrice de 30 ans. Tous sont toutefois d’accord pour dire qu’il est compliqué de juger le réel travail de l’élève à cause de la distance. «Après, on connaît nos élèves, précise Manu. On sait lesquels sont autonomes ou ont besoin d’aide ou ceux qui sont en difficulté». «C’est plus difficile qu’en classe car ils sont seuls face au travail», appuie Laura. Pour motiver ses élèves, elles n’hésitent pas décrocher le téléphone pour les «motiver». «On sait, qu’au moment de la reprise, on va devoir revoir certaines choses et également pour la rentrée de septembre prochain, souligne la jeune femme. On sait qu’il y aura des difficultés à rattraper».

«les réponses ne sont pas officielles et précises»

Le corps enseignant sait que le programme ne sera pas terminé cette année et que les élèves ont également pris du retard pour la prochaine rentrée scolaire. En attendant, cette date du 11 mai les inquiète. «J’ai hâte de reprendre mais j’ai peur que la règle sanitaire ne soit pas respectée par les élèves, craint Jean, CPE dans un collège. Même si ce sont des collégiens, ils s'amusent ensemble durant la récréation et ils seront heureux de se retrouver».

«Au niveau du mobilier, on a des chaises et des tables soudées, on ne peut pas les écarter de leurs voisins, constate Manu. On parle d’une rentrée par groupe de 15 dans les classes, je ne sais pas comment on peut faire avec un mètre d’écart…»

Malgré tout, ils comptent tous retourner dans les écoles. Certains n’ont d'ailleurs pas arrêté car ils ont, sur la base du volontariat, accueilli les enfants de soignants durant le confinement.

Les enseignants sont en outre lucides sur le fait que «des parents n’en peuvent plus», rapporte Laura. «C’est dur à la maison, ils ne savent pas comment aider leurs enfants et sont un peu démunis».

Cependant, selon Élodie, certains collègues «craignent d'être exposés au virus et ne comprennent pas, d'un point de vue sanitaire, que la réouverture soit autorisée alors qu'elle ne l’est pas dans le secondaire». D’où un sentiment général que l’école primaire et maternelle soit considérée «comme une garderie».

«ce n’est pas faire classe mais plus de la garderie»

Comment vont s’organiser les cours, y aura-t-il un groupe le matin et un autre l’après-midi, ou alors un jour sur deux ? «Ce qui génère encore plus d’inquiétude, c’est que les réponses ne sont pas officielles et précises, confie Jacques. On essaie d’avoir un maximum d’informations officielles. Car plus on attend les mesures, moins on peut anticiper. Il y a des préconisations compliquées à mettre en place». Le directeur, qui à cette période de l’année devrait déjà rencontrer des parents en vue de la prochaine année scolaire, redoute des préconisations inapplicables.

«On doit mettre en place une rotation pour faire rentrer les groupes d’élèves sans qu’ils ne se côtoient, détaille le directeur. Et cela pour la rentrée du matin, la récré, le midi… Donc les enfants auront deux fois 1h30 d’accueil car ce n’est pas faire classe mais plus de la garderie».

«Dans ma mission de directeur, je suis responsable de la sécurité des écoles et des biens, mon devoir est donc d’alerter les familles de ce que nous ne pourrons pas garantir, martèle le directeur. Les parents nous font confiance car on a appris à travailler ensemble. Je ne voudrais pas briser cette confiance. On dira la vérité sur ce qu’on peut faire. Mais, pour l'instant, on ne le sait pas».

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