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Crise du coronavirus : quel impact à prévoir sur l'emploi ?

Le taux de chômage en France pourrait passer de 7,8 % au premier trimestre 2020 à plus de 10 % d'ici à la fin de l'année selon le FMI. Le taux de chômage en France pourrait passer de 7,8 % au premier trimestre 2020 à plus de 10 % d'ici à la fin de l'année selon le FMI. [PASCAL GUYOT / AFP]

«Je suis inquiète pour l'emploi. Cette crise n'est pas une parenthèse, elle va durer.» Tenus fin avril, ces propos sont de la ministre du Travail Muriel Pénicaud et n'augurent rien de bon pour le marché de l'emploi en France dans les mois à venir. La crise économique causée par la pandémie de coronavirus devrait provoquer des faillites d'entreprises et des licenciements, laissant présager une envolée du chômage.

Pour l'instant, l'Etat a réussi à limiter la casse, en mettant les sociétés sous perfusion. Il a en effet choisi de prendre en charge intégralement le dispositif de chômage partiel, dont 8,6 millions de salariés auraient bénéficié en avril, selon une estimation du ministère du Travail. «Il s’agit d’une mesure très centrale du soutien à l’économie qui a permis de sauvegarder des emplois», observe Anne Eydoux, maîtresse de conférences en économie au Conservatoire national des arts et métiers (Cnam) et membre des Economistes atterrés, citée par l'AFP. 

Très loin des 38,6 millions nouveaux chômeurs enregistrés aux Etats-Unis depuis le début de la crise du coronavirus (soit plus de 4 millions par semaine), l'économie française a vu son nombre de demandeurs d'emploi sans aucune activité (catégorie A de Pôle emploi) augmenter d'environ 246.000 en mars, selon les chiffres de la Dares, le service statistique du ministère du Travail. Une hausse de 7,1 % malgré tout historique, car la plus importante depuis 1996, qui s'explique essentiellement par le non-renouvellement de CDD et de missions d'intérim, ainsi que par des reports ou annulations d'embauches.

Mais ce dispositif de chômage partiel financé à 100 % par l'Etat n'est pas éternel. Le gouvernement va commencer à s'en désengager progressivement le 1er juin prochain. A partir de cette date, les entreprises assumeront 15 % du coût du chômage partiel, les 85 % restants étant toujours à la charge de l'Etat et de l'Unédic, a annoncé le ministère du Travail ce lundi dans un communiqué, tout en précisant que les secteurs faisant l'objet de restrictions particulières en raison de la crise sanitaire continueront à bénéficier d'une prise en charge à 100 %.

Un désengagement de l'Etat auquel s'opposaient les organisations patronales. «L'arrêt ou du moins le déremboursement partiel du chômage partiel au 1er juin, ça vient trop tôt», avait déclaré le président du Medef Geoffroy Roux de Bézieux mi-mai, appelant à prolonger ce dispositif d'urgence «au moins jusqu'à l'été». Sur la même longueur d'onde, le patron de la Confédération des petites et moyennes entreprises (CPME), François Asselin, avait averti qu'une réduction de la prise en charge par l'Etat du chômage partiel allait se traduire inévitablement par des «licenciements économiques». Selon l'exécutif, cette décision était indispensable pour «inciter au retour de l'activité puisque c'est ça qui nous permettra au bout du compte de créer des emplois et de créer de la prospérité», a déclaré le ministre de l'Economie Bruno Le Maire sur Europe 1 vendredi.

Des entreprises en grande difficulté

Mais cela ne se fera pas sans dégâts. «Il y aura des faillites et il y aura des licenciements dans les mois qui viennent», a prévenu le locataire de Bercy. En effet, «malgré un rebond progressif lié au déconfinement, nous allons nous retrouver avec une perte durable d'activité», explique Emmanuel Jessua, directeur des études à l'institut économique Rexecode, proche du patronat, qui évalue cette perte à «six points de PIB d'ici à fin 2021». «Les ménages auront sûrement un comportement d'épargne de précaution, pénalisant la consommation. Du côté des entreprises, il y aura aussi de l'incertitude vis-à-vis de l'avenir, donc l'investissement va rester durablement plus bas.»

Les sociétés vont également subir une perte de productivité, souligne Emmanuel Jessua. «Elles vont devoir supporter des coûts nouveaux, liés aux mesures sanitaires : les restaurants auront moins de tables, on devra respecter les distances de sécurité au bureau... Bref, ce sera plus compliqué de travailler et de produire», explique l'économiste. Ainsi, «beaucoup d’entreprises - mais c'est très difficile à chiffrer aujourd’hui - vont devenir non profitables pour une durée que ni vous ni moi on sait estimer», a averti lors d'une audition à l’Assemblée nationale le patron du Medef, Geoffroy Roux de Bézieux. 

Malgré les mesures d'aide mises en place par l'exécutif (prêts garantis, prise en charge du chômage partiel, report des charges sociales...), l'hécatombe a déjà commencé : Alinéa, Conforama, La Halle, André et Naf Naf sont au bord de la faillite, tandis que Renault, qui «joue sa survie» selon Bruno Le Maire, envisage de fermer quatre sites en France - dont celui de Flins (Yvelines), une fermeture à laquelle s'oppose Bercy - dans le cadre d'un vaste plan d'économies.

«Une vague de PSE (plans de sauvegarde de l'emploi, NDLR) est en préparation», alerte Pierre Ferracci, président du groupe Alpha, un cabinet de conseil spécialisé dans les relations sociales, cité par Le JDD. Selon une enquête de la start-up StaffMe, dévoilée par Le Parisien, plus d'un patron sur cinq interrogé (22 %) pense devoir licencier dans les mois à venir, des coupes qui concerneraient en moyenne 20 % des effectifs. 

En première ligne de ces risques de faillites ou de lourdes restructurations figurent évidemment les secteurs les plus touchés par le confinement, donc «tout ce qui est lié aux sorties et aux interactions sociales», résume Emmanuel Jessua, citant la restauration, l'hébergement, le tourisme, l'aéronautique - Airbus envisagerait de supprimer 10.000 emplois selon The Telegraph -, ou encore les arts et spectacles.

Bientôt plus de 10 % de chômeurs en France ?

«Il faut donc s'attendre à ce qu'il y ait des pertes d'emplois importantes», prévient le directeur des études de Rexecode. Alors que le taux de chômage s'établissait au premier trimestre à 7,8 % de la population active en France selon l'Insee, il pourrait dépasser la barre des 10 % d'ici à la fin de l'année (10,4 % précisément) d'après le Fonds monétaire international (FMI). Eric Heyer, directeur du département analyse et prévision de l'Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE), est encore plus alarmiste. «On sera à un taux de chômage de l'ordre de 10 % en juin et peut-être au-delà de 12 % à la fin de l'année», déclare-t-il aux Echos. Le gouvernement peut donc d'ores et déjà faire une croix sur son objectif affiché avant la crise d'atteindre 7 % de chômage en 2022.

Face à ces destructions d'emplois qui se profilent, les syndicats sont déjà en alerte. La CFDT, qui s’attend à ce que la crise soit sévère, appelle notamment à une «mobilisation générale sur l'emploi». De son côté, FO réclame «un contrôle strict des procédures de suppressions d'emplois, afin d’empêcher les licenciements quand une entreprise a bénéficié ou bénéficie d’aides publiques en particulier».

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