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Le port du masque peut-il nuire au développement des enfants ?

La plupart du temps ils ne portent pas de masque eux-mêmes mais les enfants voient beaucoup de visages masqués autour d'eux chaque jour.[Loic VENANCE / AFP]

La plupart des enfants ne porte pas de masque mais ça ne signifie pas que ce dernier est sans impact sur leur vie. Chaque jour, ils sont confrontés à des visages tous semblables, masqués. Alors que certains sont en plein apprentissage du langage et de la socialisation, deux psychologues cliniciennes s'inquiètent de possibles perturbations dans leur processus de développement.

En mai, Célia du Peuty et Anna Cognet alertaient déjà à ce sujet dans une tribune publiée par Libération. Plus de trois mois après, l'inquiétude est toujours d'actualité, même si les mesures sanitaires ont été allégées pour certains, dans les crèches notamment.

«Il n'y a qu'à observer notre façon de nous adresser aux enfants, explique Anna Cognet. On parle en caricaturant les expressions, en accentuant le mouvement des lèvres : c'est spontané, on sait qu'ils en ont besoin pour comprendre parce qu'ils sont en train d'apprendre. Ils fonctionnent beaucoup par imitation.»

Lorsque le langage n'est pas acquis, ils ont tendance à lire le visage de leur interlocuteur pour saisir la «tonalité émotionnelle» de l'échange. Avec un masque sur le visage, nous ne sommes plus en mesure de fournir ces informations aux tout petits. C'est pourquoi Célia du Peuty et Anna Cognet évoquent un «risque d'incompréhension relationnelle» et une possible confusion de l'enfant «dans ses interprétations».

Par le passé, des expériences ont déjà montré l'importance des expressions faciales dans la communication avec les bébés. La Still face experiment (L'expérience du visage impassible), menée dans les années 70, consistait à observer les réactions d'un enfant tandis que sa mère restait totalement sans réaction face à lui. Essayant par tous les moyens d'attirer son attention, le bébé finissait par perdre patience puis, à plus long terme, par stopper ses tentatives de communication.

C'est justement l'idée d'un port systématique du masque sur une longue période qui inquiète Anna Cognet. Elle évoque un possible retard de langage, des expressions faciales atypiques ou moins variées, des troubles dans le contact à l'autre ou la capacité à sourire.

Un pronostic inquiétant que Manon Berthod, éducatrice de jeunes enfants, pense pouvoir éviter si les petits passent une bonne part de leur journée avec des adultes référents non masqués, en famille notamment. De cette manière, ils pourront toujours bénéficier de cette association «entre le son entendu et le mouvement de la bouche», qui les aide pour maîtriser le langage.

L'intonation et le regard

Lorsque cette condition est remplie, l'éducatrice se veut plutôt rassurante : «ce sont des êtres très sensoriels, assure-t-elle. Avant 3 ans ils ont d'autres repères que les nôtres, d'autres ressources. Ils se fient beaucoup à l'intonation et au regard».

En ce qui concerne l'apprentissage relationnel et émotionnel, Manon Berthod a néanmoins ressenti le besoin d'aider les bambins à comprendre «que les émotions sont toujours là, sous le masque». Elle a conçu un livre numérique intitulé «Les yeux qui parlent». Chaque page montre un visage masqué exprimant une émotion différente, et donne les indices à repérer pour la reconnaître. L'enfant est encouragé à faire attention aux sons, à l'attitude ainsi qu'aux gestes pour ne pas se laisser entraver par le masque.

Anna Cognet a elle aussi imaginé quelques petites astuces pour aider les plus jeunes en cette période de pandémie. Elle suggère par exemple que, dans les structures accueillant des enfants, chaque adulte référent arbore un signe distinctif sur son masque «pour que l'environnement ne soit pas trop anonyme et étranger». Lorsque la distanciation physique est possible, elle juge opportun de le retirer.

Si l'obligation du port du masque s'étire sur une longue durée, «imaginons 5 ans», la psychologue clinicienne estime malgré tout qu'une réflexion devra être menée. Elle craint qu'à l'image «des effets de l'omniprésence des écrans sur le développement de toute une génération», ceux du port systématique du masque ne soient mesurés qu'après coup, faute de recul.

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